Chapitre 36 : Le mirage du mariage

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Gwendoline sait, aujourd’hui, qu’en choisissant ce travail il y a treize ans, elle a mis un pied dans l’engrenage du mensonge et a commencé une vie qu’elle ne pourrait plus étaler au grand jour. Elle sait à présent qu’elle a fait un choix difficile qui allait la conduire à de nombreux échecs sentimentaux. Car après l’enthousiasme des débuts, avec les années, les choses s’étaient gâtées. La jeune femme avait réalisé que son nouveau job, si avantageux financièrement, avait créé des problèmes dans ses relations affectives. C’est lorsqu’elle avait été en couple que les choses s’étaient compliquées. Elle devait alors mentir aux clients qui la croyaient célibataire et épargner son compagnon à qui elle évitait de raconter ses journées. Le tout en continuant de tronquer la vérité pour le reste de son entourage, afin qu’on lui fiche la paix.

C’était un autre des prix à payer.

Pourtant, Gwendoline avait réussi à se marier et à faire un enfant, car à cette époque, elle avait beaucoup levé le pied. Son ex-mari avait été mis au courant et avait accepté qu’elle continue à travailler, à condition qu’elle se limite aux massages avec finition manuelle. Elle avait accepté le deal, consciente de l’effort que faisait son mari, très amoureux, pour la garder.

Et puis, un jour, alors qu’Emma venait de fêter sa première année, il lui avait demandé de tout arrêter et de chercher un autre métier. Il l’avait mise au pied du mur, sans sommation. C’était son mariage, sa famille ou son métier de prostituée.

Comme avec Konrad, son ex-mari avait pourtant été prévenu et mis au courant bien avant leur premier baiser. Comme avec Jérémy, elle avait été claire, dès le début, sur le fait qu’elle ne souhaitait nullement arrêter. Et comme avec Konrad, son ex-mari le lui avait envoyé en pleine tête à la première occasion. Il n’avait de cesse de répéter toujours les mêmes arguments :

— Mais tu penses à Emma, tu ne crois pas que c’est un mauvais exemple pour elle ? Et puis, tu risques ta vie, avec tous ces tarés, tu pourrais te faire agresser ! J’ai peur pour toi et toi, tu ne penses qu’à ton fric ! Tu es égoïste.

Elle en avait soupé de ses reproches. Elle en avait eu marre de payer pour quelqu’un qui faisait pression sur elle, tout en acceptant une partie de son argent. Elle comprenait sa réaction, dans une certaine mesure, mais détestait l’idée qu’une autre personne veuille décider à sa place de sa vie. Gwendoline en avait cultivé du ressentiment et se refusait de plus en plus souvent à lui. Cela s’ajoutait à la liste des choses que son mari lui reprochait. Elle se sentait trahie, flouée et détestait cela, au point qu’elle avait préféré le laisser partir.

Son divorce, après quatre années d’un mariage en dents de scie, avait sonné son retour sur le marché de la prostitution et, malgré la présence de sa fille, Gwendoline avait refusé d’envisager de changer de carrière. Bien au contraire. Elle était seule, ou presque, pour assumer financièrement une gamine en bas-âge, et il n’était pas question que la petite soit privée de quoi que ce soit.

Juste après le départ de son mari, malgré sa solitude et son sentiment d’échec, tout était devenu plus simple pour la jeune femme. Cette dernière n’avait plus de comptes à rendre à personne, l’argent coulait à flot, son corps ne ressentait toujours rien, ses horaires étaient flexibles, ce qui lui permettait d’être très disponible pour s’occuper de sa petite et elle gagnait assez d’argent pour ne travailler que deux jours par semaine. Elle y trouvait son compte et même si tout n’était pas rose dans sa vie, elle n’était pas prête à abandonner les avantages qui découlaient de son métier.

Gwendoline était restée célibataire pendant un an, après sa séparation, et s’occupait d’Emma quotidiennement car aucun jugement n’avait encore été émis concernant la garde de l’enfant. Le père de cette dernière venait la voir à l’occasion et l’emmenait quelques heures se promener. Pendant ces moments de répit, Gwendoline s’écroulait dans son canapé. Elle n’avait plus la force d’envisager de nouvelles rencontres et chaque heure de solitude, qui lui était gracieusement allouée, lui permettait tout juste de recharger ses batteries. Son corps était épuisé.

Emma n’avait qu’un an et demi au moment de la séparation de ses parents et était toujours allaitée. Gwendoline se voyait comme un véritable couteau suisse, cumulant tous les postes en simultané. Elle devait s’occuper de son bébé et travailler pour assurer le paiement des charges de la maison qu’elle louait en campagne, là où elle avait accepté de s’exiler pour suivre son mari. Ce dernier ayant quitté le domicile, la laissant seule pour régler les factures qu’autrefois ils se partageaient, elle envisageait de revenir sur Nantes, sa ville natale. Pour ce déménagement, elle prévoyait de faire appel à des professionnels et tout cela coûtait de l’argent. Elle n’avait pas assez de bras autour d’elle pour demander de l’aide et de toute façon, elle préférait se débrouiller seule car elle n’aimait pas déranger.

Elle avait aussi besoin de faire rentrer beaucoup de liquidités car son ex était parti avec la voiture familiale et elle devait en racheter une autre rapidement.

Cette nouvelle vie de mère célibataire avait été un vrai défi mais Gwendoline s'était consolée dans les sourires et les câlins de sa fille. Elle aurait aimé le soutien d’un homme à cette époque, mais elle avait été tellement refroidie par le discours contradictoire de son ex-mari, qu’elle craignait qu’on lui refasse le même coup. Et puis, elle ne voulait pas perturber Emma, qu’elle avait la majorité du temps avec elle. Même si la petite ne comprenait pas ce qui se passait autour d’elle, Gwendoline n’envisageait pas de ramener un nouvel homme à la maison.

Tout l’inverse de son ex-mari, qui s’était déjà recasé. A peine deux mois après leur séparation, Emma avait une belle-mère, car son ex avait emménagé chez sa nouvelle compagne, juste après l’avoir rencontrée.

Gwendoline l’avait très mal pris car elle avait tout fait, de son côté, pour préserver sa fille mais le père de la petite ne voulait pas entendre raison et refusait d’attendre quelque temps pour que sa compagne et l’enfant s’apprivoisent.

Tout avait été si vite, trop vite. En quelques mois, toute la vie bien rangée de Gwendoline avait volé en éclats. Elle était passée du statut de femme mariée à celui de divorcée, sa fille était à présent ballottée entre deux parents qui terminaient parfois leurs phrases par des noms d’oiseaux lorsqu’ils se voyaient, la mère et l’enfant avaient déménagé presque en urgence.

Les seuls repères qui restaient à la jeune femme de trente et un ans étaient sa gamine et son métier.

Elle prenait soin de la première grâce à tous les avantages que lui procurait le second.

Les années étaient passées et son quotidien se partageait toujours entre ces deux objectifs : être la meilleure maman possible et gagner le maximum d’argent en un minimum de temps.

Pendant longtemps, il n’avait plus été question de changer de carrière.

Jusqu’à l’année dernière où, Gwendoline avait entrevu, pour la première fois, la possibilité de gagner sa vie autrement. La reprise des séances photos lui avaient ouvert une nouvelle voix, plus épanouissante, moins critiquable et moins honteuse. Puisque la jeune femme ne voulait pas travailler comme tout le monde, trente-cinq heures par semaine pour un salaire de misère, elle avait commencé à démarcher les agences de modèles avec son petit book papier. Afin de vivre honnêtement, elle s’était convaincue qu’elle pouvait y arriver et, depuis qu’elle avait laissé sa publication sur le groupe Facebook, entre modèles et photographes, de nouvelles opportunités s’étaient ouvertes à elle.

Pour sa vie professionnelle et pour sa vie sentimentale. Un heureux hasard.

A présent, elle rêve d’une autre vie, d’un autre univers.

Gwendoline sent qu’elle est à un tournant de sa vie, mais le virage à prendre est serré. C’est peut-être sa dernière chance, son dernier espoir. Elle doit rester concentrée.

Elle espère que son plan marchera.

Véronique l’encourage dans cette direction.

Il faut que son plan marche. Elle ne voit pas d’autres options.

Lorsque son dernier client quitte son domicile, Gwendoline soupire.

Est-ce que sa vie allait enfin bientôt changer ?

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