Chapitre 38 : Visez la Lune. En cas de chute, vous atterrirez dans les étoiles.

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La question qui fâche. Le point sensible sur lequel Manuella aime bien appuyer. Derrière sa question anodine, son jugement réprobateur est à peine voilé.

— Non, je ne lui en ai pas parlé, confie Gwendoline, embarrassée.

— Tu penses qu’il va l’accepter ?

— Je n’en sais rien. C’est prématuré d’y penser, non ? J’ai juste été diner avec lui. Pour le moment, je n’avais aucune raison de tout lui dévoiler.

— T’enflammes pas trop alors. C’est pas le genre de choses que les mecs peuvent encaisser.

— J’ai déjà été en couple, je te le rappelle. J’ai même été mariée, se défend Gwendoline.

— Et on a vu le résultat… lance Manuella, sur un ton acerbe qu’elle regrette déjà.

— Okayyy…

— Nan, mais excuse-moi, mais tu sais bien ce que je pense de tout ça. Ce que je dis, c’est pour ton bien. T’es une fille super et tout, mais ton métier, c’est pas possible ! Tu me dis toujours que tu en as marre que les mecs ne s’intéressent à toi que pour ton cul, mais tu travailles avec, alors il y a de quoi s’interroger !

— Mais cela n’a rien à voir ! Mon métier c’est pour gagner du fric, j’utilise mon corps comme un outil de travail. C’est complètement différent de ma vie privée.

— Aucun mec normal ne peut supporter ça. Regarde Konrad, en acceptant ton taf en apparence, il s’est juste servi de toi et en a profité pour te baiser gratuitement.

— Tu as raison sur ce coup, reconnaît Gwendoline, en acquiesçant vivement de la tête. Mais cela n’a pas été vrai pour tous.

— Combien ont su la vérité ?

— Deux. Le père d’Emma et Guillaume.

Le souvenir de Guillaume réveille en elle un sentiment de tristesse que Gwendoline tente de refouler. Le seul homme qui lui avait fait sentir qu’elle avait été aimée pour ce qu’elle était, non pour ce qu’elle représentait. Lorsqu’il s’était suicidé, elle avait perdu à la fois son meilleur ami et son meilleur amant. Voilà maintenant six longues années que Guillaume avait choisi de quitter ce monde et pas une journée ne passe sans qu’elle n’en ressente de la culpabilité. Elle avait l’impression que la décision de son ex d’en finir avec la vie avait un lien avec elle, avec son métier. À l’époque, elle avait refusé d’abandonner son travail de masseuse, alors qu’elle savait que Guillaume en souffrait. Il ne lui avait rien demandé mais elle avait découvert, après sa mort, qu’il espérait qu’elle choisirait d’arrêter. Il s’en était confié à ses amis. Elle ne l’avait appris que bien après, alors qu’il était déjà trop tard. Elle s’en était mordu les doigts jusqu’au sang.

Sa plus grosse erreur. Son seul regret.

— Ok, donc, avec le premier, vous avez divorcé et le second s’est suicidé, résume une Manuella qui a l’air d’avoir mangé de la vache enragée.

— Et alors ? s’énerve Gwendoline en levant les yeux au ciel.

— Et alors ? Ils avaient tous les deux soi-disant accepté ton « métier », dit-elle en mimant en l’air la ponctuation. Et on voit comment cela s’est terminé.

— Je t’assure que les guillemets, tu n’es pas obligée. Mon métier est un vrai métier.

— Tu le penses vraiment ? Mais c’est ça le pire ! Tant que tu auras un métier aussi tordu, toutes tes histoires se termineront mal.

— Merci Freud. Et merci pour ta séance de divination, mais tu peux ranger ta boule de cristal, Madame Irma. Je n’ai que faire de tes prédictions. En plus, tu radotes ma vieille, tu pourrais changer de disque. Je t’ai déjà expliqué que je ne voulais pas arrêter pour le moment. J’en ai encore besoin de ce travail, pour suivre mon plan.

— Ton plan ? Tu penses vraiment que les plans marchent dans la vraie vie, Gwen ? Tu rêves trop ma belle, sérieux. Redescends sur Terre. On n’est pas dans Pretty Woman, là. Tu ne vas pas changer de vie parce que le sosie de Richard Gere va débarquer et t’offrir une vie de princesse.

Manuella la regarde avec cet air d’indignation mêlé d’incompréhension qu’elle arbore chaque fois que son amie lui parle de son plan.

— Si cela ne te dérange pas, je préfère Kevin Costner, dans Bodyguard, déclare Gwendoline, en souriant, pour détendre l’atmosphère. Tu sais très bien que je n’attends pas d’un homme qu’il m’offre une vie de princesse. Je veux me l’offrir moi-même.

— Comment ? En tant que modèle photo ? En faisant la couverture des magazines ou en devenant l’égérie atypique d’une grande marque de prêt-à-porter ? En gagnant au loto ? Tu n’as pas quelque chose d’un peu plus réaliste, un objectif normal, pour une fois ? C’est toujours pareil avec toi. C’est toujours extraordinaire, hors du commun. Mais c’est pas la vraie vie, ça !

— J'aurai un objectif normal le jour où je voudrai une vie de merde. Mais ce n’est pas au programme, désolée. J’ai envie d’avoir une vie de rêve et pour cela, j’essaie chaque jour de me donner les moyens d’y arriver. Avec ou sans ton soutien, ma chérie. Mais je préfèrerais avec, tu le sais bien. Tu es ma seule véritable amie, la seule qui connaisse mon métier, mon passé, mes galères.

Gwendoline passe sous silence le fait que Manuella n’est pas au courant pour la boulimie, qu’elle lui a toujours cachée. Décidément, à part avec sa thérapeute, qui sait à peu près tout d’elle, la jeune femme ne pourra jamais être honnête avec quelqu’un. Elle reprend :

— Je sais que tu n’adhères pas à mon activité de masseuse mais cela m’a permis de faire tellement de choses ! Tout d’abord, d’élever Emma sans difficultés financières et de pouvoir la gâter. C’est aussi grâce à mon « métier » que je peux me payer une thérapeute toutes les semaines, dit-elle en mimant les guillemets à son tour. Sans parler de tous les stages que j’ai faits pour essayer de comprendre d’où venaient mes problèmes et pour essayer de m’en sortir. Tu sais combien cela me coûte d’essayer de guérir ? Même si tu n’aimes pas mon boulot, sache qu’il m’aide beaucoup et que je suis bien contente d’avoir la possibilité de l’exercer.

— Gwen, je sais tout ça, tu me l’as déjà maintes fois expliqué. Mais, en attendant, avant de faire des plans sur la comète avec ton beau photographe breton, attends au moins de savoir ce qu’il pensera de ton job. Les hommes peuvent être si décevants, parfois, soupire-t-elle. Et tu en sais quelque chose, toi aussi, rappelle-toi. Tu m’as fait remarquer combien tu avais été aveugle avec Konrad. Ne sois pas amnésique non plus, tu t’épargneras sûrement de nouvelles déconvenues. Si j’étais toi, ma belle, je garderais les pieds sur Terre.

Gwendoline sent que son amie, à travers son discours sévère, s’inquiète pour elle et ne veut que son bien. Maladroitement, Manuella essaie de la protéger et de la mettre en garde. Mais Gwendoline se sent plus forte qu’auparavant et refuse d’abandonner ses objectifs ambitieux. Résolue, elle s’accroche à ses rêves d’une vie meilleure. Avec un sourire, elle lui répond :

— Je veux bien garder les pieds sur Terre. À une condition : toujours avoir la tête dans les étoiles…

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