Chapitre 40 : Le sang des femmes II

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La jeune femme accepte son invitation avec plaisir et lui indique qu’elle sera prête aux alentours de vingt heures. Elle ajoute même son adresse avant qu’il ne la lui demande.

Aux anges, Erwann se précipite dans la salle de bain pour se préparer. Tout en se lavant, il réfléchit déjà à la tenue qu’il va porter : la chemise kaki qu’il adore, son pantalon habillé noir tout frais repassé et son manteau mi-long gris en drap de laine pour terminer l’ensemble. Il hésite encore entre une paire de chaussures classiques en cuir, ou des baskets noires toute simples mais élégantes, qui lui donneront un côté plus décontracté.

Comme pour le lieu du repas, il sort le grand jeu côté vestiaire.

Cela fait si longtemps qu’il n’a pas fait d’efforts pour une femme qu’il s’étonne d’avoir retrouvé ses vieux réflexes. Ceux-là même qu’il avait adolescent lorsqu’il emmenait ses premières petites amies en sortie.

Romantique, il a toujours aimé se montrer généreux et respectueux avec les jeunes filles, puis avec les femmes qu’il courtisait. Son beau-père lui avait appris à faire bonne impression en n’arrivant pas débraillé à un rendez-vous galant, ou pire encore, les mains vides.

Pour le taquiner, lorsqu’il était jeune, sa mère appelait cela gentiment « faire son grand numéro de charme ». En réalité, elle était fière lorsqu’elle voyait son fils ainsi apprêté et qu’il se donnait du mal pour plaire à la jeune fille qu’il convoitait.

Pour Erwann, cette attitude est naturelle. Il le fait sans y penser, simplement pour montrer qu’il est prêt à faire des efforts, à s’engager et à faire de son mieux pour que l’histoire réussisse.

Sentimental, il n’a eu que trois grandes histoires d’amour dans sa vie. Même si son physique plaisant de sportif le lui aurait permis, il n’a jamais tiré avantage de ses atouts pour draguer. Il aurait pu devenir un coureur de jupons, usant de sa séduction pour obtenir ce que la majorité des hommes désirait, mais son éducation l’avait conditionné à prendre soin de l’autre plutôt qu’à en tirer profit.

Il a été le dernier de sa bande à perdre sa virginité, attendant d’être vraiment amoureux pour franchir le pas. Il se souvient de son stress d’alors et de sa peur de mal faire. Elle s’appelait Géraldine, ils avaient tous les deux dix-sept ans et leur histoire avait duré deux ans. Lorsqu’il s’était retrouvé en elle pour la première fois, à sa grande surprise, tout s’était bien passé. Sa patience avait été récompensée. Géraldine, qui était vierge aussi, avait saigné sur les draps mais l’avait aussitôt rassuré :

— Cela n’a pas été douloureux, lui avait-elle promis, souriante, en l’embrassant.

Erwann en avait été soulagé car il aurait détesté que cette première fois soit associée à de la souffrance pour la jeune fille. Il avait été aussi doux et tendre que possible, usant de sa langue et des caresses dont on lui avait parlées pour la faire se détendre et s’abandonner. Il n’avait pas réussi à la faire jouir, il le savait aujourd’hui, mais à l’époque, au moins, elle n’avait pas eu mal et c’était ce qui comptait.

Ses parents lui ont souvent répété qu’il fallait se comporter avec les femmes de la meilleure des façons, avec respect, patience et douceur. Ce qu’il a toujours mis en application, y compris dans son mariage. Alice avait apprécié ce trait de caractère au début de leur relation et puis, en partant, elle lui avait reproché d’être trop gentil. Elle avait peut-être envie d’être malmenée, et peut-être que son nouveau compagnon, Loïc, la traitait mal aujourd’hui et que cela lui plaisait. Mais pour Erwann, ce genre de comportement était inenvisageable. Il l’avait intégré très tôt et rien ne pouvait l’écarter de son droit chemin.

Lorsqu’il est prêt à partir, le photographe envoie un message à Manon-Tiphaine pour lui rappeler combien il l’aime et lui souhaiter un bon samedi soir. Elle doit probablement être chez son amie, Clara, une adolescente vivant à proximité de la nouvelle maison de sa mère. Il a peur pour sa fille, parfois, au sujet des relations sentimentales. Mais plus le temps passe, plus il s’aperçoit que sa grande n’est pas attirée par les membres du sexe opposé. Il s’est déjà demandé si Clara était plus qu’une amie pour elle. A son âge, on fait de nouvelles expériences et on se cherche sans cesse. Cela l’avait d’abord troublé, mais, finalement, il ne pouvait que s’en réjouir. Au moins, sa fille chérie n’aura pas a essuyer les comportements désespérément grossiers dont font preuve certains adolescents.

Sur le pas de la porte, Erwann s’asperge de son parfum préféré, Fleur du Mâle de Jean-Paul Gauthier et enfile son caban. Puis, tout en triturant les anneaux en argent qu’il fait tourner autour de ses doigts, il se dirige vers l’ascenseur, le cœur battant. Dans le miroir de la cabine, il observe ses rides naissantes au coin des yeux, et ses quelques cheveux gris épars dans sa tignasse brune, coiffée en un chignon rapide.

La beauté n’a vraiment pas d’âge se dit-il intérieurement. On peut être encore plus séduisant ou séduisante avec les années. Repensant à Gwendoline, dont il apprécie la chevelure argentée, il constate que c'est un atout qui lui donne de la personnalité et du caractère. Elle n'est pas comme les femmes qu'il a l'habitude de fréquenter.

Là où tant de ses amies, une fois dépassée la trentaine, essaient de « cacher la misère », à la poursuite d'une jeunesse chimérique, Gwendoline s’assume pleinement. Son assurance et sa volonté à paraître elle-même la rendent unique. Ni Botox, ni injection n’ont déformé son visage rayonnant et à peine marqué, ses cheveux ont leur couleur naturelle et ses seins, qu’il a pu entrevoir au travers des photos ou lors de leur séance, ont un galbe normal pour une femme ayant porté un enfant. Si, pour certaines personnes, une poitrine manquant de fermeté peut être un défaut, lui trouve cela émouvant. De même qu’il n’a jamais trouvé son ex-femme aussi belle que lorsqu’elle était enceinte, les imperfections de sa modèle lui rappelle qu’elle a porté la vie et cela le touche.

Lors de leur shooting, il avait dû faire preuve de beaucoup de retenue pour ne pas admirer ouvertement son corps de visu. En y repensant, il trouve cela étrange d’avoir vu la femme désirée, nue, avant même de lui avoir fait l’amour. Cela gâche un peu la découverte qu’il aurait pu en faire au fur et à mesure. Cela dit, ses coups d’œil avaient été furtifs et le peu qu’il avait pu en apercevoir n’avait duré qu’une fraction de secondes. Il se souvient pourtant très bien de ses seins et de leur doux mouvement de balancier lorsqu’elle se déplaçait.

Au souvenir de sa poitrine se mouvant librement, Erwann réalise qu’il se retrouve à moitié en érection et cela le surprend. Elle lui fait vraiment beaucoup d’effet, décidément. Soudain, il se rappelle que la dernière fois qu’il s’est masturbé date d’il y a trois jours. Il regrette de ne pas avoir profité de sa douche pour calmer son excitation qui monte crescendo depuis hier soir.

— Bon, redescends d’un cran, mon vieux, se sermonne-t-il dans l’ascenseur.

Un léger mouvement de la hanche lui permet de se sentir à nouveau à l’aise dans son pantalon. Dans le miroir, il s’aperçoit que le tissu fin de ce dernier a le désavantage de laisser paraître plus de choses qu’avec un jean. Il réalise qu’une protubérance se dévoile sur le devant. Merde ! Espérons que les yeux de la jeune femme ne soient pas aussi curieux que les siens, sinon il se sentira probablement très gêné.

— Trop tard pour te changer, pense-t-il à voix haute pour lui-même, il va falloir te contrôler!

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