Chapitre 43 : Révélations

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— Je t’écoute, répond-il sérieusement, son regard planté dans le sien.

Il n’ajoute pas un mot de plus, attendant qu’elle dévoile ce qui semble lui peser autant. Il ne s’attend à rien de particulier, pas même au pire, mais il sent que c’est important pour elle et qu’elle a besoin de toute son attention.

Gwendoline regarde à droite et à gauche, pour vérifier que personne ne les écoute. Heureusement, leur table est située contre la baie vitrée, dans un renfoncement qui leur offre une certaine intimité. Elle respire un grand coup et se jette à l’eau.

— Tu ne m’as pas encore demandé ce que je faisais dans la vie et j’ai volontairement fait en sorte d’éviter le sujet, car ce n’est pas quelque chose que je raconte à des inconnus. Tu n’es plus un inconnu aujourd’hui, mais on ne peut pas dire que je te connaisse très bien encore. Toi non plus d’ailleurs. Cependant…

Elle respire un grand coup, prenant une pause pour trouver ses mots. Il a les yeux plongés en elle, à la fois grave et attentif. Le comportement de la jeune femme l’intrigue mais il reste calme et ouvert.

— Lorsque l’on me pose la question, je réponds machinalement que je suis traductrice. J’ai un diplôme en langues étrangères mais je n’ai jamais exercé en tant que telle. En vérité, je suis… je suis masseuse érotique. Je suis désolée si cette révélation te choque ou te fait changer de regard sur moi, mais il fallait que je sois honnête avec toi. Je préfère que tu saches où tu mets les pieds, conclut-elle, la gorge nouée.

Impassible, il la regarde en souriant très légèrement et prend quelques secondes avant de répondre.

La jeune femme a les yeux rivés sur les planches contact qu’elle tient toujours et s’aperçoit que ses mains tremblent comme une feuille. Son cœur aussi s’emballe depuis qu’elle a décidé de jouer franc jeu avec lui. Elle n’avait pas du tout prévu de lui annoncer de la sorte mais son intuition est venue lui souffler que c’était le bon moment pour être authentique.

Qu’il le mérite. Qu’il en vaut la peine.

— Dit comme ça, ça à l’air vraiment terrible, commente-t-il d’une voix douce et légère.

Surprise, elle éclate d’un rire nerveux mais le laisse continuer, curieuse d’entendre ce qu’il pense de ses révélations.

— Je suis content que tu me l’aies dit, mais si tu ne l’avais pas fait, j’aurais pu comprendre aussi. Tu as peur que je te juge et tu veux te protéger, ce qui est humain. Merci de ta confiance et merci pour ta sincérité.

— Je t’en prie, parvient-elle à murmurer.

Gwendoline reprend son souffle et relève la tête pour continuer, veillant à parler discrètement :

— Je pense qu’il faut que je t’en dise un peu plus pour tu comprennes mieux… Je…je ne fais pas ça par dépit ou parce que je suis au pied du mur. Ce n’est pas une vocation non plus, dit-elle en souriant, mais j’exerce cette activité sans pression, de mon plein gré, seule, depuis treize ans maintenant. J’ai commencé lorsque je me suis retrouvée avec un gros pépin d’argent. J’étais au chômage, endettée et désespérée et je ne savais pas comment faire rentrer de l’argent rapidement. Un soir, j’ai vu ce reportage qui montrait des femmes gagnant beaucoup d’argent en réalisant des massages, et plus, si tu vois ce que je veux dire, explique-t-elle, d’un air entendu.

Erwann, silencieux, s’amuse de l’attitude de conspiratrice qu’elle arbore malgré elle.

— Car je ne fais pas que masser, en réalité. Je ne vais pas rentrer dans les détails, sauf si tu me le demandes, mais ce que je fais n’est pas illégal. Je suis déclarée, et la seule et unique raison qui me pousse à continuer, c’est que cela m’offre un confort de vie, que je n’aurais peut-être pas autrement. J’élève ma fille seule, et même si son père est là, je ne compte pas sur une pension alimentaire pour vivre agréablement. C’est un choix que j’ai fait en conscience, de vivre une partie du temps dissimulée, car bien, évidemment, comme tu t’en doutes, peu de gens sont au courant. Mais je le répète, j’ai choisi cette situation et je l’assume, dans une certaine mesure. J’aime l’argent et j’aime être indépendante financièrement. Je veux pouvoir gâter ma fille, Emma, et être libre de mon agenda, pour pouvoir lui consacrer le maximum de temps. Emma est ma priorité. Mon job actuel m’offre beaucoup d’avantages malgré les… inconvénients.

Son monologue terminé, Gwendoline se tait, espérant qu’Erwann se satisfera de ses explications, qu’elle espère ne pas avoir présenté comme des justifications. Un court silence s’installe entre eux, avant que le photographe ne reprenne la parole :

— Ce que tu fais ne te définit pas, c’est seulement un métier, un moyen de gagner ta vie, je l’ai bien compris. Cela ne change rien pour moi, si c’est ce que tu veux savoir. Les gens font ce qu’ils font pour de multiples raisons et si tu fais cela, c’est que tu as les tiennes. Comme je vois que le sujet est sensible, je ne crois pas avoir besoin que l’on s’étende dessus, surtout ici, ajoute-t-il en souriant et en regardant autour de lui. J’étais très loin d’imaginer cela car tu n’as pas l’allure d’une fille de joie, mais ce soir… tu es la femme qui m’apporte de la joie.

— C’est joliment dit, intervient-elle, émue, pour saluer son mot d’esprit.

— Comme j’imagine que cela doit te peser, tu peux à présent être rassurée et savoir que cela m’est égal. Cela ne change pas le regard que je porte sur toi. Un regard très positif, cela va de soi.

A ces mots, elle sent les larmes lui monter aux yeux et détourne le regard pour contenir l’émotion qui la saisit. Il lui attrape la main libre et la caresse doucement du bout de ses doigts. Ressentant toute la tendresse et la douceur qu’il essaie de lui communiquer, Gwendoline se laisse consoler en silence. Elle respire profondément et se ressaisit peu à peu, rassurée par le geste plein d'empathie qu’il continue de lui prodiguer.

C’est à ce moment qu’un nouveau serveur, intégralement vêtu de noir, arrive et pose leur cocktail sans alcool devant eux. Elle profite de cet interlude pour s’essuyer discrètement les yeux, puis saisit le menu qu’Erwann lui tend avec un clin d’œil.

Il récupère les planches contact qu’elle lui rend, les range dans sa sacoche et repose machinalement la main sur celle de Gwendoline, continuant sa démonstration de bienveillance.

Le menu est aussi appétissant que celui du Coin des Amis. Même si la modèle n’a plus faim, son appétit ayant été coupé par sa déclaration, elle choisit les mises en bouche au saumon en entrée et le bar en croûte de sel en plat de résistance. Comme ils optent pour un menu « couple », une assiette de profiteroles à partager leur est suggérée. Elle lui avoue que c’est son dessert préféré, ce qui ravit Erwann, heureux d’avoir tapé dans le mille avec son idée de sortie de dernière minute.

Lorsque le serveur a terminé de prendre leur commande, il s’éclipse et Erwann constate avec plaisir que Gwendoline a repris des couleurs et semble plus détendue. Il se lance, à son tour :

— J’ai quelque chose à t’avouer moi aussi, annonce-t-il sans préambule.

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