Chapitre 46 : Une nuit d’orage

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Arrivés devant chez elle, Erwann sort de la voiture, lui ouvre sa portière et la raccompagne jusqu’à la porte, vérifiant une fois encore qu’elle est bien en sécurité. Quand elle allume la lumière, à l’intérieur, il la tire par la main et pose un dernier baiser fougueux sur ses lèvres.

Puis glisse une mèche de cheveux derrière son oreille et lui relève le menton pour la fixer droit dans les yeux.

— Je t’envoie un message dès que possible. Repose-toi bien, murmure-t-il tout près de son visage.

— Appelle-moi, si tu as besoin. N’hésite pas. Je… je suis là.

— Merci de ta sollicitude, renchérit-il le front posé contre le sien.

Elle hoche la tête, consciente de son impuissance à l’aider comme elle le voudrait. Elle ne peut pas faire plus et le rassurer comme si elle le connaissait depuis des années. Tout est encore trop frais entre eux. Sa présence la rend toujours un peu nerveuse, comme si elle était à l’essai, comme si chaque mot, chaque geste allaient être pesés, mesurés, disséqués.

Reculant d'un pas, il lui fait un signe de tête et s’oblige à un dernier sourire, même si son esprit est en plein brouillard. Il sait qu’elle est là, avec sa douceur et sa bienveillance et cela lui fait du bien. Il tourne les talons, la laissant refermer la porte derrière lui.

Dos appuyé contre le mur adjacent, elle écoute l’imposante voiture redémarrer et s’échapper au loin.

Quand bien même la balade en bateau a été écourtée, Gwendoline se sent reconnaissante envers la vie pour cette délicieuse soirée qu’elle a passée en sa compagnie. Il a été si charmant et attentionné, tolérant et ouvert d’esprit. Leur premier baiser lui laisse un souvenir mémorable. Elle en ressent encore l’intensité dans ses lèvres, qu’elle caresse du bout des doigts, comme pour y chercher l’empreinte de sa bouche.

Rêveuse, elle s’assoit à son bureau et ouvre son journal intime, pour y relater cette merveilleuse soirée. Elle est trop excitée pour dormir, malgré le fait qu’elle n’ait pas bu de café. La puissance de ce qu’elle ressent la maintient plus facilement en éveil que n’importe quelle boisson stimulante. Bien que fatiguée par cette deuxième soirée tardive, elle serait incapable de se coucher aussitôt. Elle a besoin de vider son sac, de se confier.

Depuis deux jours, elle a l’impression d’être sur des montagnes russes. Assise devant son carnet, elle se sent en pleine redescente, après avoir été propulsée au sommet lors de leur premier baiser. Ses pensées sont claires et confuses à la fois. Elle ne doute pas du jeune homme, ni de sa sincérité, mais s’interroge sur ce qu’il a vraiment pensé de son métier. Ou ce qu’il en pensera demain lorsque, loin d’elle, il aura dégrisé. Et s’il changeait d’avis ? Si ce bonheur si tangible devenait une chimère ?

Elle avait tellement voulu y croire avec Konrad, et pourtant, trois mois et demi après, tout avait été terminé.

Konrad… Pourquoi lui en veut-elle toujours autant alors qu’il lui a permis d’ouvrir les yeux et de faire le point sur ce qu’elle attendait vraiment d’une relation à deux ?

Elle devrait plutôt se sentir reconnaissante envers lui. Bien sûr, son sentiment d’avoir été utilisée par le jeune homme est toujours bien présent, et elle n’a toujours pas digéré le « cochonne » qu’il avait employé en parlant d’elle et de sa sexualité, mais elle sait aussi que sa rencontre avec lui a été déterminante.

Comme toutes les autres en réalité. Chacun des hommes qui ont traversé sa vie a contribué à faire d’elle la femme qu’elle est aujourd’hui, une personne capable de discernement entre ce qu’elle désire vraiment et ce qu’elle choisit de refuser. Ils lui ont permis d’affiner son jugement, de clarifier ses intentions et d’affirmer ses volontés.

Aussi difficile que cela soit pour elle de l’admettre, ils lui ont tous apporté une part de positif. De même qu’elle aussi leur avait sûrement permis d’avancer ou d’apprendre quelque chose. Konrad avait été le dernier de cette longue liste d’amants qu’elle avait initiée. Elle lui avait enseigné comment la caresser, comment la faire jouir et comment faire durer les préliminaires.

Son crayon coincé entre ses dents, Gwendoline se souvient de leur première nuit, orageuse et caniculaire.

La France était alors traversée par la dernière vague de chaleur d’un été indien qui venait tout juste de commencer. Une semaine après la rentrée scolaire, le département de la Loire-Atlantique avait été placé en alerte sécheresse, comme cela arrivait souvent ces dernières années. Malgré la fournaise, Konrad et la jeune femme s’étaient obligés à aller au cinéma, pour éviter de tomber dans le cliché du plan d’un soir. Au moins, dans cet espace fréquenté, il y avait peu de chance pour qu’ils se grimpent dessus, même s’ils avaient conscience tous les deux que cela ne faisait que repousser l’échéance. Et puis, le cinéma Gaumont avait l’avantage d’être climatisé et ils allaient profiter de deux heures dans un endroit frais, une aubaine avec la chaleur étouffante qui sévissait. Trente-huit degrés et l’impression que le goudron collait sous leurs pieds.

Elle n’avait pas embrassé un homme depuis des lustres, lui semblait-il. Le coup de cœur avait été réciproque et instantané, alors au retour à la maison, et malgré les températures élevées, dans ses bras elle s’était lovée.

Une fois, deux fois, trois fois, Konrad tenait le compte de chacun de leur rapport sexuel. Juste avant l’aube, alors qu’il venait de lui faire l’amour pour la quatrième fois, entre deux cycles de sommeil expédiés, le tonnerre s’était mis à gronder. La jeune femme avait ouvert les volets et les fenêtres en grand, pour faire entrer la fraîcheur qui s’annonçait. Sous leurs yeux embrumés de fatigue, un spectacle saisissant leur avait alors été offert. Des éclairs d’une rare intensité zébraient le ciel d’un mauve bleuté, illuminant la nuit agitée. Dehors, les coups de tonnerre grondaient si près d’eux que Gwendoline sursautait sur le lit à chaque fois. Elle était restée ébahie devant tant de beauté, mêlée de férocité. Il y avait de la rage dans cette démonstration de l’univers furieux qui les enveloppait. Elle avait trouvé cette colère de la nature si belle ce soir-là. Mais n’en avait pas saisi le message…

Arrivés au compte de huit fois, le lendemain matin, Konrad faisait le kéké dans sa chambre, fier de sa performance. Elle ne comprenait pas. Elle n’en était même pas vexée, juste sidérée.

Performance ? Se répétait-elle en pensée, avait-elle rêvé ? Peut-être la foudre lui avait-elle électrocuté les méninges. Malgré les doutes qui s’installaient déjà, elle avait laissé couler. Fatiguée de lutter, de réfléchir ou de s’énerver, elle s’était noyée dans cette relation qui avait pris l’eau dès le premier jour. Elle voulait juste essayer de vivre, ressentir, aimer.

Démarrée une nuit d’orage, cette romance ne pouvait que les brûler…

Tard dans la nuit, Gwendoline entend la sonnerie de la messagerie de son téléphone, qu’elle avait exceptionnellement laissé allumer à l’intention d’Erwann. Attrapant son portable d’une main, elle ouvre la boîte de réception et lit :

« Bien arrivé. Ai pensé à toi sur la route pour me tenir éveillé. Ton parfum m’a envoûté. Ta bouche me manque déjà. Mais pas autant que ta voix et ton sourire. Merci pour tout, Gwen, sincèrement. »

Il est 3h57 du matin. Son téléphone éteint, elle se rendort dans la foulée, le sourire aux lèvres, le cœur gonflé de gratitude.

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