Chapitre 48 : Under Pressure

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Nantes, le lundi 11 avril 2022

En ce début de matinée printanière, Véronique, vêtue d’une belle robe fleurie et chaussée de superbes bottines en daim, accueille Gwendoline avec son sourire habituel. Elle l’invite à prendre place sur le canapé.

Dans le cabinet de consultation vaste et blanc, la jeune femme se sent chez elle. Sa parole est protégée par l’épaisseur des murs en pierres du vieil immeuble nantais, qui lui donne la certitude d’une parfaite confidentialité. Elle peut parler ouvertement en toute sécurité.

Ici, elle a trouvé un havre de paix, un endroit où se ressourcer.

Les deux femmes s’installent confortablement et prennent quelques minutes pour respirer en conscience, une des pratiques que la psy utilise pour revenir à l’instant présent.

Une pause bienfaisante avant de démarrer la séance.

Exceptionnellement, la semaine passée, le rendez-vous avait dû être annulé. Alors Gwendoline raconte à sa thérapeute les derniers évènements qui lui sont arrivés, y compris sa jolie rencontre avec le beau photographe breton.

Mais très vite, plutôt que la joie qu’elle devrait éprouver, elle se sent assaillie de doutes et de peurs, comme elle s’en ouvre à Véronique :

— Depuis ma séance photo avec Erwann, il y a dix jours, je n’ai pas été prise de compulsions alimentaires et j’ai mangé presque normalement. Mais je suis stressée. Très stressée.

— Qu’est-ce qui vous stresse, Gwen ?

— Je crains de ne pas être à la hauteur. De ne pas réussir à guérir de la boulimie. L’envie de me goinfrer est toujours là. À tout moment, je sens que je peux déraper.

La jeune femme ne connait que trop bien le processus. Les crises peuvent surgir à tout instant, dès lors qu’une source d’inconfort survient dans sa vie. Cela peut être déclenché par des pensées négatives, des projections inquiétantes ou des ruminations du passé. Cela peut aussi apparaitre lorsque le comportement d’une personne la blesse, l’agresse ou la déstabilise. Ou qu’un imprévu désagréable la prend de court, par le biais d’une mauvaise nouvelle ou d’un contretemps. En quelque sorte, tout ce qui provoque en elle un trouble ou une insatisfaction, peut aboutir à une crise de boulimie.

Malgré le bonheur que lui procure cette belle rencontre avec Erwann, Gwendoline est angoissée. Sa joie apparente ne masque pas sa fragilité intérieure. À tout moment peut se rouvrir la porte de ses démons du passé. Ses démons, ce sont tous ses vieux conditionnements, toutes ses anciennes croyances, ainsi que toutes les critiques qu’elle a entendues à son sujet et qui l’assaillent sans arrêt.

— Avez-vous dérapé ? demande Véronique, qui l’écoute attentivement, tout en sortant ses notes.

— Non. Mais comme souvent lorsque les choses se passent bien, je commence à douter de moi et à tout remettre en cause par la même occasion. J’ai toujours ces pensées qui arrivent de tous côtés, pour me chanter toujours le même refrain : qui peut vraiment vouloir de toi ainsi ? Tu es nulle, moche et grosse et personne ne peut t’aimer. Je sais bien que tout cela est faux, mais j’ai peur de tout faire foirer, comme d’habitude.

— Comme d’habitude, Gwendoline. C’était une habitude. Un mécanisme de défense. Vous ne saviez pas faire autrement. On ne vous avait pas appris à gérer vos émotions différemment.

Véronique a raison. Par moments, la peur, la colère ou la tristesse lui semblent trop désagréables pour être ressenties telles quelles et le recours à l’absorption d’une grande quantité de nourriture lui apporte une forme de douceur pour soulager la douleur. Cela lui semble toujours une bonne idée sur le moment car la boulimie, comme un doudou rassurant, la réconforte et lui procure des sensations agréables. Mais dès qu’une crise est commencée et que l’optique de se retrouver la tête dans la cuvette des toilettes apparaît, la jeune femme regrette de s’y être adonnée.

— Au fond de moi je ne me sens pas assez bien pour lui.

— C’est ce qu’il vous a dit ?

— Non, bien sûr que non. Non, ça c’est moi qui le dis.

Gwendoline vient de s’apercevoir d’une chose encore plus cruelle que la mauvaise opinion qu’elle avait d’elle-même :

— Cette nouvelle rencontre me met la pression. Il est tellement génial et moi, avec mon addiction et mon métier… j’ai peur de le faire fuir… Désolée d’être aussi crue, Véronique, mais je suis une pute, au sens premier du terme.

— Vous vous identifiez à votre activité. Vous n’êtes pas une pute et vous n’êtes pas boulimique, non plus. Ce sont des raccourcis. Vous gagnez votre vie grâce à des prestations sexuelles tarifées et vous avez l’habitude de gérer votre anxiété par des compulsions alimentaires. Il y a vous et il y a vos comportements.

La thérapeute met ses deux mains de chaque côté de ses genoux, pour bien montrer qu’elle veut dissocier l’être humain de ses actions.

— Dans un cas comme dans l’autre, à tout moment, vous pouvez arrêter. Mais vous ne pouvez pas arrêter d’être vous.

— Même si Erwann a bien réagi lorsque je le lui ai annoncé mon activité, j’ai peur qu’il change d’avis par la suite. Peu de gens voient les choses comme vous malheureusement, avec autant de tolérance et d’ouverture d’esprit. J’aimerais bien vivre dans un monde où il n’y aurait que des Véronique partout, ce serait moins fatiguant, dit-elle en soupirant.

La thérapeute sourit, appréciant le compliment déguisé de sa patiente.

— Donc vous avez dit à Erwann votre métier ?

— Oui, je lui ai tout avoué.

— Comment a-t-il réagi ?

Lorsque Gwendoline lui raconte la réaction très décontractée d’Erwann, la psy enchaine :

— Quel regard a-t-il porté sur vous à ce moment-là, Gwendoline ?

Après quelques instants de réflexion, la jeune femme déclare, en souriant timidement :

— Un regard doux et bienveillant. Il m’a regardé d’une belle façon, avec beaucoup de gentillesse, de tendresse. Il a été très compréhensif.

— Respirez quelques instants avec cela, l’invite la thérapeute. Avec cette douceur, cette gentillesse et cette tendresse.

Gwendoline se met à inspirer et à expirer plusieurs fois avec ces mots qui se dilatent en elle, prenant de plus en plus de place, comme s’écoulant dans son corps, dans ses veines, répandant leur chaleur dans chacune de ses cellules.

Tandis que la patiente se concentre sur sa respiration, la praticienne reprend :

— Vous êtes assez bien pour Erwann. Vous êtes assez bien pour n’importe qui. Autrefois, vous n’étiez pas en capacité de prendre soin de vous en ayant recours à de bonnes méthodes de guérison, mais désormais, le travail personnel que vous avez effectué porte ses fruits.

Gwendoline acquiesce, émue, laissant quelques larmes rouler le long de ses joues creuses. Malgré ses peurs et ses doutes, elle a la volonté de mettre un terme à ce mode de fonctionnement qui, au fil des années, lui a fait plus de mal que de bien… Si seulement elle parvenait à se séparer de la boulimie et à trouver la clef qui lui permettrait de guérir définitivement …

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