Chapitre 51 : La chienne et le clochard

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Tout ne s’était pas déroulé comme Gwendoline l’avait imaginé.

Dès son arrivée le premier jour, en tout début d’après-midi, la jeune femme avait senti son compagnon étrangement distant, et cela l’avait refroidi. Elle s’interrogeait sur les raisons d’un tel comportement et se demandait si elle avait eu tort de s’inviter comme cela.

Konrad avait fini le travail plus tôt ce vendredi-là et en rentrant à la maison, il l’avait laissée seule d’emblée, prétextant une grosse fatigue et une subite envie de se reposer. Comme elle savait qu’il avait tendance à veiller tard la semaine, se couchant souvent après minuit, elle avait supposé qu’il manquait de repos et qu’une petite sieste le remettrait d’aplomb.

Le soir, après un diner léger, ils avaient fêté leurs retrouvailles au lit, savourant le plaisir d’être enfin réunis, et ce, pour la première fois, pour une plus longue durée.

Mais le lendemain, Konrad avait encore souhaité faire la sieste et s’était éclipsé deux heures durant l’après-midi, alors qu’ils avaient des invités ce soir-là. Tandis que son compagnon ronflait dans la chambre à côté, Gwendoline s’était mise aux fourneaux, préparant les crudités pour l’apéritif, puis la quiche aux poireaux, la pizza végétarienne et la salade composée pour le plat principal. Le jeune homme avait émergé au moment de la préparation du dessert, une tarte poire-chocolat, dont il s’était attribué les mérites alors que Gwendoline avait passé la majeure partie du temps seule à cuisiner.

Elle avait été très étonnée du comportement grossier qu’affichait son amoureux, car jusqu’à présent, il s’était montré plutôt serviable. Pleine de bonne volonté, elle avait essayé de passer outre ses manières cavalières pour ne pas gâcher leur semaine à deux, ni la soirée avec leurs invités.

Le dimanche avait connu le même scénario et une fois encore, Konrad l’avait abandonnée une partie de l’après-midi pour soi-disant se reposer, la laissant se charger de la vaisselle accumulée et de la préparation du diner. Elle trouvait son attitude étrange durant la journée, mais le soir venu, à chaque fois, il était de nouveau adorable et charmant et la soirée était dédiée à de sympathiques galipettes sous la couette.

Lorsque Konrad était retourné travailler le lundi matin, il l’informa d’une bonne nouvelle : son patron lui permettait de commencer plus tôt le matin pour le libérer de bonne heure en fin de journée, afin que son employé puisse passer plus de temps avec sa chérie. Gwendoline avait été flattée de cette jolie attention et se sentait rassurée à l’idée que Konrad allait se hâter de la retrouver pour profiter de sa présence. Elle avait mis ses premières impressions de côté et se réjouissait déjà de la tournure qu’allait prendre leur petite semaine à deux.

Mais le lundi après-midi, au retour de son aimé, une mauvaise surprise l’attendait. Il n’était pas seul. Son meilleur pote l’accompagnait.

— Je suis passé chercher Greg chez lui, déclara-t-il, sans une once de gêne. Au boulot, j’ai reçu la pièce qui me manquait pour réparer ma voiture. On va s’en occuper maintenant, comme ça, ce sera fait…

Gwendoline n’avait pas osé lui répondre qu’elle avait espéré passer un moment avec lui, puisqu’ils ne s’étaient pas vus de la journée, mais Greg la fusillait du regard et elle avait docilement acquiescé. Les réparations de la voiture avaient trainé jusqu’après la tombée de la nuit et Greg avait été convié à un apéro tardif pour le remercier.

Les deux hommes avaient enchainé trois verres sous les yeux effarés de la jeune femme qui ne pouvait s’empêcher de regarder l’heure tourner. Elle comprenait, avec désappointement, qu’avec la douche et le diner, Konrad et elle ne se retrouveraient que pour aller se coucher. Ce soir-là, Konrad, grand seigneur, avait trouvé la force de lui faire l’amour rapidement, bien que le réveil allait sonner plus tôt le lendemain et qu’il allait être crevé. Après avoir accompli son devoir conjugal, il s’allongea sur le dos, lui faisant part de sa satisfaction d’avoir réparé sa voiture et du déroulement de leur semaine « en amoureux », comme il disait.

Gwendoline avait gardé les yeux ouverts un moment, fixant l’opacité de la nuit qui l’enserrait.

Le mardi, Konrad avait convié des amis à manger le soir pour les lui présenter et comme Gwendoline avait été mise au courant avant son arrivée en Vendée, elle n’y voyait pas d’inconvénient, même si, à nouveau, leur intimité allait se réduire à peau de chagrin. Le jeune homme avait, une fois encore, fait la sieste en rentrant du boulot, la laissant gérer la préparation du repas en solitaire, avant de réapparaitre frais comme un gardon, pour accueillir ses invités. La soirée avait été bonne même si Konrad avait beaucoup picolé, ce qui apparemment ne le dérangeait pas vu qu’il tenait bien l’alcool, tout comme les autres convives, d’ailleurs. La force de l’habitude apparemment, commençait à supposer la nantaise, en observant la table remplie de bouteilles vides. Elle connaissait la réputation des bretons en matière d’alcoolisme latent, mais n’avait pas le souvenir que cela concernait aussi les vendéens. Elle en était rendue à un point où elle avait le sentiment d’être la seule personne sobre dans cette France qui avait érigé l’apéro en sport national.

Le soir venu, Konrad s’était glissé sous les draps l’haleine avinée et lui avait fait l’amour avec autant de délicatesse qu’un engin de démolition.

— Mets-toi à quatre pattes, lui avait-il presque ordonné.

— Je n’aime pas cette expression. J’ai l’impression que tu parles d’un chien. Ou d’une chienne, en l’occurrence.

— Ben, en levrette alors ! s’était-il impatienté.

— C’est moche aussi.

— Ben, qu’est-ce qu’il faut que je dise ?

— Ne dis rien, ça vaut mieux, l’avait-elle fusillé du regard.

Silencieusement, il l’avait retournée avec ménagement cette fois, comprenant qu’il marchait sur des braises ardentes. Gwendoline s’était laissée faire, car finalement, le sexe avec Konrad était la seule chose à peu près valable depuis qu’elle était arrivée chez lui. Bien évidemment, vu l’ambiance à couper au couteau qui régnait dans la chambre à coucher, personne n’avait réussi à venir au bout de cet accouplement dénué de romantisme, et Konrad avait abandonné le premier :

— J’ai dû trop boire ce soir, j’y arrive pas, avait-il lâché pour se justifier.

— Pas grave.

— Ou alors je suis trop crevé…

— Ouais, ça doit être ça. Bonne nuit.

Alors que son amant sombrait lourdement, assommé par la fatigue et l’alcool, Gwendoline s'était mise à bouquiner. Elle se sentait si mal qu’elle ressentait le besoin de lire pour se calmer, comme à chaque fois qu’elle était stressée avant de dormir. C’était le moyen le plus efficace pour elle de se détendre et de se laisser gagner sereinement par le sommeil.

Quelques années en arrière, elle avait pris la mauvaise habitude de consommer des somnifères pour pallier à ses insomnies mais désormais, c’était du passé et la lecture fonctionnait toujours aussi bien pour l’aider à gérer son anxiété nocturne. Ce soir-là, elle avait lu jusque très tard dans la nuit, pour que son esprit soit vraiment apaisé. Lorsqu’elle avait éteint la lumière, Konrad était en train de ronfler bruyamment à côté d’elle; elle avait commencé à se demander ce qu’elle était venue faire dans ce trou à rat qu’était devenue, à ses yeux, la Vendée.

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