Chapitre 58 : La tuile

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— Désolé Gwen, je ne sais pas ce qu'il lui a pris ! Il est un peu soupe-au-lait ces derniers temps. Quelque chose doit lui prendre la tête. Mon autre pote, Richard, m'a dit qu'il picolait plus que d'habitude et que cela l'inquiétait.

— Je comprends, répond-elle, conciliante en se glissant dans ses bras.

— Je m'excuse pour lui, en tout cas. Cela ne doit pas gâcher les trois jours qui nous attendent, ni te donner une mauvaise impression du peuple breton dont je fais partie, explique-t-il avec une pointe de chauvinisme dans la voix.

— Erwann, je suis déjà sous le charme de la Bretagne... et des bretons, ajoute-t-elle, avant de l'embrasser voluptueusement.

A présent, repus et éblouis par la présence l’un de l’autre et par le spectacle des grandes marées déferlant sur le rivage, Gwendoline et Erwann marchent bras dessus, bras dessous sur le sentier des Douaniers. Alors qu'ils passent à côté d'un groupe de cairns, le jeune homme lui conte avec nostalgie sa randonnée d'une semaine passée avec sa fille, au lendemain de Noël. Gwendoline boit ses paroles, séduite par sa voix grave et sa diction parfaite. Le photographe cumule les talents artistiques et si ses photos sont superbes, ses récits le sont presque tout autant. Elle pourrait l'écouter pendant des heures, retenant chaque détail et anecdote qu'elle enregistre comme autant d'informations lui permettant d'en savoir plus sur lui.

Ils arrivent enfin à la voiture du breton, après avoir sillonné le GR34, sur une boucle, pendant un bon moment. Prévoyant, Erwann sort un thermos de café au lait bien chaud et deux gobelets, qu'il avait pensé à préparer avant son arrivée. Il lui en offre une tasse, qu'elle accepte avec plaisir, le gratifiant d'un large sourire. Il semble déjà bien connaître ses habitudes, comme s'il l'avait étudiée à la loupe ces derniers temps.

Faute d’abri autour d’eux, uniquement entourés par la côte sauvage, Erwann ouvre son large coffre et lui propose de s’asseoir à l’intérieur, à l’abri des vents. Le coffre est impeccable de propreté et complètement vide et la jeune femme se demande si c’est lui qui entretient sa voiture ou si c’est un de ses employés. En arrivant sur ses terres, elle comprend que son chevalier servant a une vie plus qu’aisée.

Voilà deux semaines qu'ils se fréquentent, mais ils n’ont pas encore eu l’occasion de beaucoup se rapprocher depuis leur rencontre, ni de s’étreindre tendrement. Leur rendez-vous avorté sur la péniche les a laissés sur leur faim et ils savourent à présent cette nouvelle intimité qui s’installe progressivement entre eux, prenant leurs marques au contact l’un de l’autre.

Alors qu’elle sirote son café, Erwann lui ouvre les bras et l’invite à venir se réchauffer contre lui. Elle s'y blottit sans se faire prier. Profitant du panorama grandiose et de l’ambiance presque apocalyptique offerte par la météo, ils se recroquevillent avec plaisir à l’arrière pour admirer le paysage, l'un contre l'autre. Contrairement à la nature en pleine révolte, eux sont calmes, apaisés. Ils discutent sereinement de ce week-end de trois jours qu'ils vont partager ensemble.

— Ce soir, tu auras ta chambre, celle avec vue sur la mer, une des plus belles de la maison. Tu pourras t’endormir bercée par les va-et-vient de l’océan et te réveiller avec le chant des oiseaux marins.

Ses mots sont une caresse aux oreilles de la jeune femme.

Erwann lui avait déjà dit au téléphone qu’elle aurait son endroit à elle pour passer la nuit. Il avait été clair sur ce point, sans aucune ambiguïté. Pas de sous-entendus à la Konrad, ou de portes ouvertes que l’on pouvait pousser. Le programme qu’il lui avait promis n’avait pas changé. Pourtant, à présent dans ses bras, elle sent leurs corps s’électriser mutuellement. La promiscuité attise le feu de leurs sens engourdis par des années de célibat et elle se demande s’ils vont vraiment faire chambre à part comme convenu. Elle sent qu’Erwann la désire autant qu’elle le désire.

Ce dernier, cependant, tient ses promesses et se montre toujours aussi gentleman. Même si depuis le premier jour où il l’a rencontrée, ses pensées n’ont cessé de se diriger vers ses courbes sensuelles, sa peau tatouée et sa bouche aux lèvres pleines, Erwann tient bon. Bien que des envies plus charnelles le tenaillent inlassablement, il se contrôle avec fermeté, même s'il ne niera pas qu’il aimerait lui faire longuement l’amour, découvrir le velours de sa chair et s’enivrer du parfum de son intimité.

D’ailleurs, à cette seule idée, il se sent soumis aux lois de la nature et son corps réagit au quart de tour. Mais il maitrise ses réactions physiques pour ne pas se laisser dominer par ses instincts. Erwann garde en tête qu’il veut prendre son temps pour la mettre en confiance, la rassurer et pour la découvrir, elle et sa personnalité.

— Et j’ai prévu une surprise pour demain, lui murmure-t-il. Quelque chose de magique et d’hors du commun. Ne me demande pas ce que c'est, je n'en dirai pas plus...

Gwendoline frissonne de la tête aux pieds lorsque la voix de velours du photographe lui susurre ces mots doux aux creux de l'oreille.

— Je m'en remets à toi, Erwann, répond-elle en chuchotant à son tour, la voix à peine audible dans le vacarme qui les entoure. Jusqu'à présent, j'ai toujours été agréablement surprise, donc je te laisse me guider...

Alors qu’elle a posé la tête sur son épaule, il enfouit son nez dans sa chevelure, honoré de la confiance qu'elle lui accorde. Ses yeux se repaissent de la vue de ses cuisses fines, gainées dans un jean skinny, lacéré par endroit, laissant entrevoir sa peau claire et lisse. Il passe une main dessus, la frôlant au début puis la massant plus franchement pour la réchauffer. Elle se laisse pétrir par ses grandes mains aux ongles soignés.

Sous le tissu épais, ses muscles sont délicats mais bien présents. Sur les photos de son profil Instagram, la modèle est dessinée, sculptée et tonique. Elle y partage son mode de vie sain, sans alcool, sans cigarettes et sans drogues. Pas de nourriture industrielle, de la méditation et du sport par petites touches. Erwann sait qu’elle prend soin d’elle. Il y avait vu aussi ses dernières lectures et le plaisir qu’elle prend à partager ses impressions sur les livres qu’elle a aimés. Elle s’intéresse au développement personnel et cultive un état d’esprit optimiste et joyeux. Et tout ce qu’il a vu dans ses différentes publications, au cours des quatre mois précédents leur shooting, apparaît tel quel dans la vraie vie. Bien sûr, en la rencontrant la première fois pour leur séance photo, il avait déjà pu le constater de visu, mais il n'avait pas vraiment eu le temps d'en profiter car il avait dû rester professionnel. Maintenant qu'elle est entre ses mains, il apprécie son authenticité : ce qu'il s'était imaginé d'elle se révèle être la vérité. Pour le reste, ce qu'elle garde privé, il lui tarde d'en savoir davantage.

Malgré les deux cafés bus après le repas, Gwendoline sent une pesanteur s’abattre sur elle et ses yeux devenir lourds… Elle résiste mais ne peut lutter davantage contre cette torpeur qui l'envahit soudain. Le vent fouette le véhicule qui ne bouge pas mais vibre au rythme des rafales qui viennent se jeter contre lui. Ils sont protégés des affres du ciel, dans leur cocon de métal, et elle se laisse aller à partir, rassurée par les bras solides et protecteurs d’Erwann. Adossé contre l'habitacle du véhicule, il la regarde s’assoupir et récupère la tasse presque vide. Elle s’en remet à lui et cela le touche. S’abandonnant dans ses bras, dans une confiance totale, elle lâche prise sur le monde extérieur.

Lorsqu’elle se réveille, légèrement en sursaut, Erwann est perdu dans ses pensées. Voyant l’air quelque peu paniqué de la jeune femme, il la serre fort contre lui, comme le ferait un parent qui console son enfant d’un mauvais rêve.

— Qu’y a-t-il ? tu as l’air inquiet.

Gwendoline s’assoit sur son séant, s’éloignant légèrement d’Erwann pour le regarder bien en face, droit dans les yeux.

— Je pense savoir pourquoi Quentin m’a dit qu’on se connaissait, commence-t-elle, légèrement affolée.

— Ah ? Rassure-moi, ce n’est pas un de tes ex ? la taquine-t-il en repensant à ce gros lourdaud de Konrad.

— Pire que ça. Un de mes clients.

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