Chapitre 73 : Dirty dancing

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Prudemment, ils redescendent deux étages en dessous, portant à bout de bras les fringues dégoulinantes d’Erwann, laissant une trace humide sur leur passage dans les escaliers étroits.

Pendant qu’il jette ses nippes détrempées dans une bassine et s’enveloppe dans la serviette de bain, elle prend l’appareil photo pour le mettre en lieu sûr. A peu près sec, les mains rougies et transies de froid, Erwann va remettre des bûches dans le poêle à bois qui trône au milieu de la pièce circulaire, cette dernière s’étant rafraîchie en leur absence.

Il allume la radio pour apporter un peu de vie dans le vieux bâtiment qui grince de part en part. Le vent fait cogner les volets et s’immisce sous les portes dans un ronflement sonore. Le phare semble en souffrance et plongé dans une longue agonie face aux éléments déchainés.

Toujours en caleçon, le breton s’enroule ensuite dans un plaid épais, posé par-dessus une serviette roulée sur son bassin, et s’installe devant les flammes encore timides qui ne vont pas tarder à réchauffer l’atmosphère.

Après avoir posé son précieux outil de travail sur une commode à tiroirs dont elle ignore le contenu, Gwendoline vient se pelotonner contre lui. Elle se glisse derrière lui dans le vieux fauteuil en velours, que la cousine décoratrice de son hôte a pris soin de recouvrir d’un immense plaid de couleur grège, doux et moelleux.

La jeune femme entreprend de lui frictionner vigoureusement les épaules et le dos, se calant derrière lui, sur la plante des pieds, les jambes ouvertes de chaque côté de son corps gelé. Elle défait sa queue de cheval et sèche ses cheveux avec une nouvelle serviette éponge, tout en restant le plus près possible de lui pour que sa chaleur corporelle se transmette rapidement au photographe malmené.

Abritée pendant toute la durée de leur visite en haut du phare, Gwendoline ne s’est pas autant refroidie et dégage une chaleur telle que son contact suffit à le faire arrêter de trembler.

A présent que ses cheveux sont essorés et bouclent naturellement à l’air libre, elle l’entoure de ses bras menus, toujours calée dans son dos. Elle penche son visage dans son cou et pose son menton sur sa clavicule saillante, attendant une réaction de sa part. Mais Erwann savoure juste le bien-être et le réconfort qu’elle lui offre.

— Tu entends ? demande-t-elle.

— Quoi donc ?

— La musique à la radio… c’est celle de Dirty dancing…

— "Time of my life"?

— Non, "She’s like the wind". Connaisseur, dis donc ! Tu me surprends.

— C’est un classique de notre génération, quand même. Adolescent, je ne vivais pas dans une grotte, s’esclaffe-t-il, taquin.

— Mais c’est un film de nanas, argue-t-elle.

— Ma mère adore ce film et mes copines de l’époque étaient toutes folles d’amour pour le beau Patrick Swayze. J’ai bien été obligé de le regarder !

Il saisit ses mains autour de sa taille et les remonte vers sa bouche pour les embrasser, obligeant la jeune femme à se serrer davantage contre lui.

— Tu veux danser ? lui demande-t-il en se tournant vers elle pour la regarder.

— Sérieusement ?

— C’est un slow, on devrait s’en sortir. Promis, je ne t’imposerai pas le porté de la fin. Viens, dit-il en la soulevant du fauteuil.

Il attrape son sac à dos pour en tirer des vêtements secs. Une fois plus chaudement habillé, Erwann la prend par la main et l’entraine vers le centre de la pièce, où, gênée et confuse, Gwendoline se laisse guider. Il pousse les chaises pour avoir plus de place et augmente le volume de la radio. Le refrain se diffuse dans le phare, langoureux et romantique.

Erwann enlace sa partenaire, qui, malgré sa réticence à danser, glisse ses bras autour de sa nuque encore fraîche. Il la colle contre lui, posant les mains dans le bas de son dos, juste au-dessus de ses fesses. Son torse puissant vient s’écraser contre sa poitrine. Gwendoline se laisse peu à peu portée par le rythme doux que son amant imprime dans ses mouvements de balancier. Elle suit sa cadence, agréablement surprise de prendre du plaisir à cet exercice inhabituel.

Front contre front, ils se regardent droit dans les yeux.

— Tu ne danses jamais ? demande-t-il en dégageant les mèches de cheveux de son visage.

— Non, jamais. Mais, c’est sûrement un tort car c’est… plaisant. La dernière fois que j’ai dansé un slow, c’était dans une boum et je devais avoir quelque chose comme douze ou treize ans… C’était au siècle dernier, tu te rends compte, dit-elle en riant doucement.

— On est des dinosaures…

— Oui, cela me paraît si loin tout ça. Les premières boums, les premiers bisous, les premiers roulages de pelle…

— Les premières fois… celles qui nous font peur et nous attirent tout à la fois… continue-t-il en se balançant contre elle, tournant au rythme de la musique et de la voix de crooner de Patrick Swayze.

Il penche la tête dans son cou et respire son parfum, puis goûte sa peau, qu’il découvre salée par les embruns.

— Tu as le goût de la mer maintenant… comme les bretons.

— Je suis une bretonne… de cœur, certes. Mais j’aime la Bretagne, et… les bretons… de plus en plus.

— J’ai toujours aimé Nantes… mais j’ai une préférence pour une jolie nantaise, dit-il en lui caressant le visage, le bassin plus fermement soudé au sien.

— C’est dommage, la chanson arrive à sa fin, intervient la jeune femme, qui commence à se sentir mal à l’aise devant leurs confidences.

Erwann attrape son téléphone et met l’album de la bande original du film sur Deezer.

— On a trente-neuf minutes de plus pour danser, maintenant.

— Un problème, une solution, déclare-t-elle en se blottissant à nouveau contre lui.

Elle passe ses bras autour de sa taille musclée et pose sa tête contre son épaule, là où l’odeur de sa peau vient lui chatouiller agréablement le nez.

— J’aimerais que cela ne s’arrête jamais, confie-t-elle, rêveuse.

— On peut danser aussi souvent qu’on le veut, tu sais. Ici ou ailleurs.

— C’est vrai, je n’y avais jamais pensé avant. J’imagine que j’aurais trouvé ça ringard de proposer un slow sans raison particulière.

— Toutes les raisons sont bonnes pour passer du bon temps. S’il n’y en a pas, il suffit de les inventer, déclare-t-il, philosophe.

— J’aime ton côté Bouddha, Erwann, tu es tellement… reposant !

Les gens passent tellement de temps à se compliquer la vie, pense-t-elle, alors qu’il suffit d’un rien pour la rendre si douce et si belle... Au bout d’une vingtaine de minutes passées à danser contre son hôte, Gwendoline relève légèrement la tête et lui sourit. Les flammes du poêle se reflètent dans les yeux de son partenaire, qui virent de la couleur noisette au caramel, dans cette lumière ambrée.

— Tu as chaud à présent ?

— Toujours, quand tu es contre moi.

— Est-ce que tu veux prendre un thé, un café, une soupe, pour te réchauffer un peu plus ? questionne-t-elle sans arrière-pensée, sentant la peau fraîche de son visage contre le sien et ses mains froides sur son corps.

— A vrai dire, j’ai une autre envie.

— Une autre envie impliquant de retourner en plein cœur de la tempête ? le taquine-t-elle.

— Non… On reste à l’intérieur maintenant, promis. En réalité, je pensais plus à quelque chose que l’on aime faire tous les deux, déclare-t-il, le regard franc et le sourire plein de sous-entendus.

— Tu comptes me faire languir encore longtemps avant de me dire ce que tu as derrière la tête, sourit-elle, aussi joueuse que lui…

— Juste quelques minutes seulement… J’adore te voir te torturer l’esprit, en train de te demander ce que je te prépare, à quelle sauce je vais te manger…

— C’est vrai que tu ne manques pas d’idées originales, éclate-t-elle de rire. D’abord le phare, ensuite le spectacle des grandes marées, j’ai hâte de découvrir la suite...

— Même si cela t’oblige à te déshabiller ?

— Surtout si cela m’oblige à me déshabiller, renchérit-elle, mutine, en levant un sourcil.

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