Chapitre 87 : Coming out

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Gwendoline est d’emblée séduite par la beauté et la gentillesse de l’adolescente. Elle complimente la jeune fille sur sa chevelure dorée et abondante qui déferle en une cascade épaisse sur ses épaules athlétiques finement dessinées.

— Merci Gwendoline, répond cette dernière. Vous pouvez m’appeler Manon, comme mon père, si vous le voulez. Il n’y a que ma mère qui tient à utiliser mes deux prénoms. Mais je trouve ça trop long.

Prise d’un doute, Gwendoline s’interroge intérieurement : est-elle au courant pour sa sœur jumelle et les raisons de son prénom composé ? A l’entendre, on ne dirait pas.

— D’accord, Manon. Et toi, tu peux me tutoyer et m’appeler Gwen, si tu veux, ajoute-t-elle avec un sourire.

— Alors, ma puce, intervient son père, curieux, que s’est-il passé avec Clara ? Vous vous êtes disputées à quel sujet ?

La jeune fille, qui avait l’air de bonne humeur jusque-là, semble soudain se refermer comme une huitre dont on chercherait à extraire la perle. Elle joue machinalement avec un quignon de pain, nerveuse.

— Je n’ai pas envie d’en parler ici Pa’. C’est assez gênant…

— Bien sûr, excuse-moi, réagit de suite son père. De toute façon, ça finira sûrement par s’arranger.

— Je ne sais pas…

L’adolescente semble sur le point d’éclater en sanglots et le désarroi gagne son père. Il aimerait trouver quelque chose de réconfortant à lui dire mais c’est la panne sèche. Heureusement, Richard intervient :

— Comment une jeune fille aussi magnifique et géniale que toi peut-elle perdre son si beau sourire ?

Manon-Tiphaine le regarde avec gratitude. Touchée par le compliment, elle s’en ouvre à lui, évitant le regard insistant de son père, qui s’inquiète pour elle.

— Je ne plais pas aux personnes qui me plaisent, répond-elle avec la tristesse de quelqu’un qui porte le poids de la misère du monde sur les épaules.

Richard lui prend la main et la serre avec affection. Puis s’adresse à elle avec douceur :

— Les mecs de ton âge sont débiles, ma jolie. Je le sais très bien. Ton père et moi étions complètement cons à cette époque.

— Parle pour toi, se défend Erwann en montant au créneau, passablement outré.

— Je m’en fous des mecs. Ils ne m’intéressent pas.

Un blanc est jeté sur la tablée. Erwann se demande pour lui-même : est-ce qu’ils ne l’intéressent pas… pour le moment ? ou pas du tout ? Il a peur de faire une gaffe en s'avançant à faire de fausses suppositions.

Chacun lorgne son voisin, dans l’espoir d’une intervention judicieuse. Erwann, toujours silencieux, commence à paniquer. Il regarde Richard, puis Gwendoline, qui se tourne alors vers Manon-Tiphaine.

— Fille ou garçon, les adolescents connaissent tous les mêmes difficultés, commence la jeune femme. Clara a peut-être eu peur… Ce n’est pas facile de s’exprimer honnêtement, ni de se dévoiler. On se cache souvent derrière des masques, pour ne pas affronter le regard des autres. Surtout lorsqu’il s’agit d’afficher nos différences.

— Tu le penses vraiment ? questionne la jeune fille, un nouvel espoir brillant dans ses yeux bleus.

— Oui. Vraiment. Rien n’est encore perdu. Il faut laisser les choses se faire.

— Je suis sûr que cela va s’arranger, renchérit maladroitement Erwann, qui a retrouvé la parole.

— On ne peut pas arranger le fait d’être gay, Pa’, argumente-t-elle cynique, en soupirant, comme pour évacuer un fardeau trop lourd à porter.

Richard, qui reluquait les fesses d’un passant au jean très étroit, tourne la tête d’un coup et s’exclame, surpris :

— Clara est gay ?

Erwann lève les yeux au ciel, dépité de constater que son pote est toujours autant à l’ouest par moment.

— Non… elle, je ne sais pas justement. Mais… moi, oui… dit l’adolescente dans un souffle, les yeux perdus dans son verre d’eau. Enfin, je crois…

Gwendoline se retient de poser sa main sur celle de la jeune fille mais se réjouit de cet aveu à cœur ouvert, qui ne peut être que bénéfique pour elle. Elle encourage Erwann du regard, l’incitant à parler.

— Ma chérie, intervient son père avec aplomb cette fois, être gay n’est pas un problème. Pas en 2022.

— Je le suis bien moi ! intervient Richard, au comble du bonheur de pouvoir s’afficher.

Gwendoline sourit. Elle adore vraiment ce Richard extraverti.

— Tu l’es vraiment ? demande Manon-Tiphaine, qui n’en croit pas ses oreilles. Je savais pas…

Erwann se sent idiot. Il s’en veut à présent. Il aurait dû en parler plus tôt avec elle et crever l’abcès dès qu’il a eu ses premiers doutes. Même s’il ne voulait pas se montrer indiscret, il se rend compte qu’il a surtout fuit une discussion qu’il imaginait embarrassante, pour se protéger. Manon-Tiphaine aurait sûrement apprécié de se confier plus tôt. Mais maintenant que les vannes sont ouvertes, il se lance :

— Richard est gay. C’est même le gay Paris à lui tout seul, renchérit-il légèrement amusé.

— Nan mais vas-y, traite-moi de grande folle, réagit ce dernier en souriant.

Richard porte la main à sa poitrine, feignant d’être outrageusement offusqué. Son attitude comique décroche un nouveau sourire à Manon-Tiphaine, qui semble se détendre.

— Je disais donc, reprend Erwann très sérieusement sans se soucier de son ami, Richard est gay et ce n’est pas un problème. Quoi qu’il se soit passé, Clara et toi serez à nouveau amies… ou autre chose, peu importe. Et si cela n’est pas le cas, alors c’est elle qui aura perdu une personne extraordinaire.

Gwendoline sourit en écoutant avec quelle tendresse Erwann essaie de consoler sa fille. Maintenant qu’elle a les deux sous les yeux, elle retrouve bien la description qu’Erwann avait fait de leur relation. Une belle complicité unit le père et la fille.

Le serveur apporte les commandes, interrompant momentanément leurs échanges. Chacun se met à saliver en admirant le plat qu’il a commandé. Une fois que tout le monde est servi, l’ambiance redevient plus légère, surtout lorsque Richard fait le pitre pour dérider l’assemblée.

Entre deux bouchées, Manon-Tiphaine interroge Gwendoline sur son activité de modèle photo. Cette dernière lui explique que c’est à cette occasion qu’elle a rencontré son père et que c’est grâce à cet intérêt commun qu’ils ont été réunis.

— J’avais bien remarqué que Papa était différent depuis quelques temps, raconte l’adolescente. Il souriait tout le temps. Il avait l’air très niais. Mais il n’a pas voulu me dire pourquoi. Ou plutôt à cause de qui !

Manon-Tiphaine lance un regard chargé de sous-entendus vers son père.

— Hein, petit cachottier. Tu t’es bien gardé de me dire la vérité, ajoute-t-elle avec un air de reproche à peine dissimulé.

— Tu as de la chance ! déclare Richard avec emphase, moi ça fait des semaines, que dis-je des mois, que ton père me bassine avec sa « charmante modèle » !

— Traitre ! s’insurge le photographe, en rigolant malgré lui.

Erwann lance une œillade à sa voisine de table, comme pour s’excuser de ces confessions intimes. Il regrette d’être ainsi exposé mais Gwendoline lui sourit en retour, amusée par la petite scène qui se joue entre les trois complices.

— En tout cas, je suis contente que mon père ait retrouvé quelqu’un, il commençait à me faire de la peine, reprend l’adolescente à l’intention de Gwendoline.

— Ah bah d’accord. Donc c’est ma fête aujourd’hui. Dis-le tout de suite si je te faisais pitié, continue le père, faussement outré. Je vais vérifier si ce n’est pas la saint Erwann dans le calendrier, il me semble que vous vous acharnez beaucoup trop sur moi.

— Qui aime bien, châtie bien, énonce Richard.

— Oh ! Toi aussi, tu aimes les citations ? demande Gwendoline.

— Carrément.

— Moi aussi, c’est mon petit péché mignon.

— Tope-là, dit Richard en lui tendant une main sur laquelle brille deux belles bagues argentées.

— Tes bijoux sont superbes, dit-elle en lui tapant sa paume ouverte avec le plat de la sienne. Je suis fan des hommes qui en portent, c’est tellement élégant.

Elle regarde également Erwann, comme pour lui confirmer que cela s’adresse aussi à lui. Le photographe lui fait un clin d’œil, flatté.

— Merci Gwen, dit Richard. Enfin quelqu’un qui s’extasie devant moi, ça fait longtemps que j’attendais ça !

— Et tu vas attendre encore longtemps, gredin, le taquine Erwann qui n’a, de toute évidence, pas digéré les confidences que son ami a faites.

— Fais attention Gaz, c’est moi qui m’occupe de ta tête. Un mot de plus et je te fais un scalp de prisonnier, le prévient Richard, en dépiautant ses moules à la crème. Tu seras beaucoup moins élégant avec une tête de taulard, crois-moi !

— Gaz ? S’étonne Gwendoline en regardant les deux amis à tour de rôle.

— C’est le surnom de cet engin, explique Richard, en désignant son compagnon d'un doigt vengeur. Il date de sa jeunesse. Autant dire que cela fait un bail !

Erwann éclate de rire.

— Mais quel enfoiré ! Lui, c’est Bud, comme la Budweiser. Souvenir de son passé d’alcoolique, glisse Erwann sournoisement.

— En parlant d’alcoolique, c’est marrant qu’on n’ait jamais trouvé de surnom à Quentin, remarque Richard.

— C’est vrai, acquiesce Erwann, légèrement mal à l’aise, connaissant désormais les circonstances dans lesquelles lui et Gwendoline se sont probablement rencontrés. On l’a croisé vendredi midi en sortant du restaurant où on a été mangé avec Gwen.

— Oui, je sais, déclare Richard, avec l’air conspirateur de celui qui sait quelque chose. Il m’en a parlé.

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