Chapitre 96 : Tableau de vision

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A son arrivée à Nantes, en fin d’après-midi, Gwendoline envoie un message à Erwann, pour le rassurer et le remercier à nouveau pour leur merveilleux week-end de Pâques. Même si elle ne s’attend pas immédiatement à une réponse de sa part, elle espère avoir rapidement de ses nouvelles. En effet, elle a hâte de lui faire part de la décision qu’elle a prise, dans la voiture, sur le chemin du retour.

Elle imagine déjà que cela lui fera plaisir.

La jeune femme est en train de défaire ses valises lorsque l’on sonne à la porte. Ses trois jours sur la presqu’île de Crozon se sont si bien passés qu’elle a convié sa meilleure amie pour lui en faire le récit, avant le retour de sa fille. Elle accueille une Manuella de meilleure humeur que la dernière fois qu’elle l’a vue. Cette dernière, enjouée et joliment apprêtée, lui fait quatre bises sonores. Son parfum de lilas régale Gwendoline qui aime la voir toute pomponnée.

— Raconte-moi tout, lui intime Manuella, impatiente, à peine franchi le seuil de la porte d’entrée.

— Même si je le faisais, tu ne me croirais pas… commence Gwendoline, les yeux brillants et le visage radieux.

— Il est si merveilleux que ça ?

— Plus que tu ne peux l’imaginer. Installe-toi, je nous prépare du café.

Manuella, vêtue d’une pantalon large bleu nuit et d’une chemise blanche, prend place sur la chaise, en veillant à ne pas froisser ses vêtements fraîchement repassés. Elle lisse les pans de sa chemise d’un geste rapide et relève le col sous ses oreilles. Sa maniaquerie a toujours fait sourire Gwendoline qui est peu regardante quant à l’aspect de son linge et des poussières de sa maison.

— Comment est sa baraque ? demande Manuella, dévorée de curiosité.

— Immense. Une villa en pierres perchée sur les hauteurs de la côte sauvage, avec vue sur la mer, piscine et personnel de maison. J’ai croisé son jardinier.

— Connasse.

— Je t’avais prévenu, confirme Gwendoline en riant.

— Et alors, vous avez fait quoi ? demande-t-elle avec un regard qui en dit long.

— Il m’a emmené passer deux jours dans un phare !

— Tu mens ! s’exclame-t-elle la bouche grande ouverte.

— Je te promets que non. Et j’ai une autre bonne nouvelle à t’annoncer.

— Achève-moi. T’es enceinte ?

— Mais non, t’es con, répond-elle en riant.

— Ça aurait pu, c’est quand même un peu ton genre !

La modèle connaît l’image que ses amis ont d’elle. Celle d’une femme passionnée qui se lance à fond dans une histoire, pied au plancher. Et ses trois avortements n’ont fait que souligner cet état de fait, ainsi que sa grande fertilité, un don du ciel dont elle n’a que trop fait les frais.

— On n’a même pas couché ensemble ! se défend la jeune femme.

— Quoi ? Mais vous avez passé trois jours ensemble ! Vous attendez quoi ? Le saint glin-glin ? Oh merde, si ça se trouve, il est impuissant ! Quarante ans, c’est le début des emmerdes pour les mecs…

Gwendoline lève les yeux au ciel mais ne peut refreiner son envie de rire. Son amie n’a jamais eu la langue dans sa poche et n’hésite pas à tacler son entourage dans l’espoir de les amuser, quitte à faire grincer quelques dents.

— Je peux t’assurer que de ce côté-là, tout va bien.

— Comment le sais-tu, puisque tu n’as rien fait avec ?

— J’ai juste dit qu’on n’avait pas couché ensemble, pas qu’on n’avait rien fait.

— Hein, hein, donc tu l’as sucé. Bon, au moins, il est pas mou du sifflet, c’est déjà ça.

Hilare, Gwendoline pose les tasses qu’elle vient de préparer et s’assoie face à son amie.

— T’es infernale, sérieux. Mais non, tu as tort, je ne l’ai pas sucé non plus.

— Ben, je ne comprends pas, là. Vous avez fait quoi à part vous regarder dans le blanc des yeux comme deux débiles ?

— Il s’est occupé uniquement de moi, et à plusieurs reprises, déclare Gwendoline, en affichant un air triomphant, la tête relevée, les épaules rejetées en arrière.

— Mais non ! Tu déconnes.

— En ai-je l’air ?

Manuella la dévisage avec un air interrogateur, à la recherche de quelque indice qui témoignerait de la véracité des propos de son amie. Elle lève les mains en guise de reddition et déclare :

— Effectivement, vu le visage réjoui que tu affiches, c’est crédible. Je suis officiellement jalouse. Le dernier qui est descendu à la cave n’en est jamais remonté.

— Quelle expression pourrie, s’esclaffe Gwendoline avec une moue de dégoût.

— Que veux-tu que je dise ? Brouter le minou ?

— Mon dieu non ! C’est encore pire.

— Manger de la tarte aux poils ?

— Stooooop ! Tu veux que je te dise ? Laisse tomber ! Ce qui s’est passé avec Erwann, c’était magnifique et je n’ai pas envie de salir la beauté de nos échanges avec cette vulgarité. Il faut vraiment qu’on perde cette mauvaise habitude de parler du sexe comme si c’était quelque chose de honteux, de ridicule ou de drôle. Faire l’amour, c’est si beau, si pur, quand…

— Quand on est avec la bonne personne ? la coupe-t-elle, grinçante. Arrête, je vais vomir. Les derniers mecs qui m’ont sautée ne m’ont pas laissé cette impression de pureté…

— Arrête de les laisser te sauter alors. Attends le bon. Prépare-toi pour lui.

— Comment ça ?

— As-tu utilisé le tableau de vision dont je t’ai parlé ?

Le tableau de vision en question est un assemblage d’images et de mots ou de phrases inspirantes, découpés dans les magazines et collés ensemble afin de créer un mood board. Le résultat se veut inspirant et a pour but de donner une direction, une orientation pour l’avenir. C’est une sorte de panneau d’affichage qui représente les rêves d’une personne. En visualisant quotidiennement son tableau, cette dernière imprime dans son conscient et son inconscient ce qu’elle veut voir se concrétiser dans sa vie. C’est un des outils de développement personnel préféré de Gwendoline, qui en fait régulièrement, pour être mieux guidée vers ses objectifs.

— Tu crois vraiment qu’en scotchant des photos sur un bout de carton, je vais arrêter de me faire baiser par des mecs ?

— Commence déjà par arrêter de parler de toi en ces termes. Ton corps est sacré. Une union, c’est sacré. Tu es sacrée. Considère-toi comme un temple que personne n’a le droit de venir profaner. Quand un homme ne te montre pas de respect et de considération, ne le laisse pas entrer dans ta vie.

— Tu me parles de temple, d’union sacrée, mais tu ne penses pas que c’est un peu hypocrite avec ton métier ?

— Justement, c’est amusant que tu m’en parles. Figure-toi que j’y ai longuement réfléchi et que j’ai pris une décision, déclare Gwendoline, très solennelle.

— Ah ?

— J’arrête.

— T’arrêtes quoi ?

— Mon métier.

— T’es pas sérieuse ? reprend Manuella, choquée.

— Si. Je le suis.

Gwendoline se sent soudainement libérée d’un poids en s’entendant énoncer à voix haute ce qu’elle a décidé il y a seulement quelques heures. Sa révélation la soulage. Il y avait si longtemps qu’elle voulait le dire haut et fort. Son activité de masseuse érotique lui pesait plus qu’elle ne voulait bien le reconnaître jusqu’alors.

— C’est Erwann qui te l’a demandé ?

— Pas du tout. J’ai pris ma décision sur le chemin du retour, en revenant de Crozon. Il n’est pas encore au courant. Je voulais l’en informer mais je n’ai pas encore eu de ses nouvelles. Il doit être occupé.

— Pourquoi cette décision alors ?

— Déjà parce que j’en ai plus que marre. Treize ans à subir les assauts de tous ces tarés, c’est déjà une bonne raison pour dire stop.

— Tu n’as pas toujours dit ça, la contre sa meilleure amie, dubitative.

— Il fallait que je tienne, donc je me conditionnais mentalement. Mais la vérité c’est que cela devenait de plus en plus dur, crois-moi. Et puis, c’est étrange… ajoute-t-elle songeuse, après un instant de réflexion. On ne dirait pas que c’est moi qui ai pris cette décision. Elle s’est plutôt imposée à moi. Comme une évidence. Je ne peux pas faire autrement, en fait.

— Ouais. Tu vas faire comment pour vivre maintenant ? Tu comptes faire quoi ? Te faire entretenir par Erwann ?

— Bien sûr, c’est tout à fait mon genre, répond Gwendoline en levant les yeux au ciel. Si tu me vois comme ça, c’est vraiment que tu me connais mal.

— Disons qu’il est riche et que soudainement tu décides d’arrêter ton job, alors forcément, ça pose des questions…

— Je ne suis pas attirée par son fric si c’est ce que tu te demandes. Je n’ai jamais dépendu de personne et ce n’est pas demain la veille que cela va commencer, explique la jeune femme avec plus de hargne qu’elle ne le voudrait.

— Oui, mais enfin, s’il peut subvenir à tes besoins, c’est toujours bon à prendre, non ?

— Non, cela ne m’intéresse pas du tout. Je ne supporterais pas qu’il m’aide justement. Je veux m’en sortir par moi-même.

— Bien. Et comment comptes-tu t’y prendre, alors ?

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