Sous l'emprise du passé

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Une semaine de cours venait de s'achever, et c'était enfin vendredi soir, avec un jour de repos supplémentaire à l'horizon grâce à la fête de Christophe Colomb. Matthew et Chloe sont venus nous rejoindre à l'appartement pour lancer la soirée. Cependant, le débat le plus animé était de choisir où nous allions faire la fête à New York : un bar, une boîte de nuit, un karaoké ou peut-être une autre activité de groupe ? Après un quart d'heure de discussions enflammées entre Adam et Matthew, nous avons finalement tranché en faveur d'un bar. Nous étions familiers avec le "Hair of the Dog", notre repaire depuis que nous l'avions découvert au début du mois de septembre. Nous y avions passé de nombreuses soirées mémorables, et même quelques après-midi.

Ce week-end promettait d'être festif et joyeux, mais une surprise allait chambouler notre programme. Nous étions tous prêts, à l'exception d'Adam qui peaufinait sa coiffure pour obtenir le style parfait. Nous étions déjà en retard, et pour un vendredi soir, chaque minute comptait. Notre table nous attendait, mais nous savions que cela ne durerait pas éternellement.

— Adam, tu te bouges, lança Matthew.

  • Ok, c'est bon, j'arrive, répondit-il en sortant de la salle de bain.

C'était le signal tant attendu. Matthew et Chloe ouvrirent la marche, je les suivis de près, tandis qu'Adam nous rattrapait en courant. Il n'avait pas pu résister à une dernière retouche avant de fermer la porte de l'appartement.

  • C'est bon, tout est en ordre ? demandai-je d'un air moqueur en le regardant arriver essoufflé.
  • La coiffure est le premier détail qu'une fille remarque, fit-il remarquer.

En tout cas, c'était ce qu'il aimait penser, et cela semblait fonctionner depuis son arrivée à New York. Après Gwen, trois autres filles étaient déjà venues à l'appartement, et il en serait probalement de même ce soir.

Nous arrivâmes devant le bar qui était déjà bondé. Heureusement, notre table habituelle était toujours là, grâce à notre barman préféré, Andrew. La soirée commençait bien, nous étions assis à nos places habituelles, une bière à la main. La musique rock résonnait dans les enceintes, les gens étaient de bonne humeur, et nous commençions enfin à nous détendre après une longue semaine de cours.

Nous avions passé environ une heure à discuter, à rire et à boire quand je crus apercevoir un visage familier au loin dans la foule. Cependant, après quelques clignement d'yeux, je ne vis plus rien d'autre qu'une foule interminable d'individus se pressant sur la piste de danse, se dirigeant vers le bar ou les toilettes. J'avais probablement dû me tromper; il y avait peu de chances pour que Gwen soit là.

Une voix familière me tira de mes pensées.

  • Hey ! Comment ça va ? dit-elle.

C'était Julie, accompagnée de Gwen, légèrement en retrait. Celle-ci avait l'air assez contrariée, comme en témoignait son regard désapprobateur dirigé vers notre groupe. La situation me mit mal à l'aise, d'autant plus que je n'avais pas revu Julie depuis notre dernière soirée.

Le lendemain de cette soirée, je n'étais pas resté pour la retrouver. Au lieu de cela, j'avais laissé un petit mot avec mes clés pour qu'elle puisse partir à leur guise : "Merci pour la soirée. Je te laisse mes clés à mettre dans la boîte aux lettres." En rentrant chez moi plus tard, je n'avais trouvé que l'odeur de son parfum sur mon coussin, dernier vestige de sa présence. Depuis lors, je n'avais plus eu de ses nouvelles, car ma timidité maladive m'empêchait de la contacter. Aujourd'hui, elle se tenait devant moi, vêtue d'un petit chemisier noir, d'une mini-jupe bordeaux et d'escarpins. Elle était toujours aussi élégante, ses cheveux étaient parfaitement coiffés coincés dans une baguette.

  • Salut, je vais bien et toi ?
  • Ça va, on vous a vu au loin et on s'est dit qu'on allait venir vous faire un petit coucou, répondit-elle.
  • Vous avez bien fait, dit Adam. Voici Matthew et Chloe.
  • Enchanté, salua Julie.
  • Vous n'avez qu'à vous installer avec nous si vous voulez, proposai-je.
  • Avec plaisir, dit-elle en s'asseyant à mes côtés sans attendre la moindre réponse de la part de Gwen.

Son parfum m'envahit immédiatement, toujours cette fragrance de miel et de fleur d'oranger qui m'enchantait. Je la regardais pensif, sans même remarquer que Gwen fixait Adam depuis cinq bonnes minutes. Si ses regards avaient le pouvoir de faire disparaître quelqu'un de la surface de la Terre, Adam aurait probablement disparu depuis longtemps et si possible dans d'atroces souffrances. Je n'avais pas envie de m'immiscer dans leur histoire, j'espérais qu'ils prendraient une décision indépendante de notre petit groupe.

La soirée battait son plein et nous en étions peut-être à notre quatrième ou cinquième pintes de bière chacun. Je n'avais pas l'habitude de boire autant, mais l'ambiance, les amis et ma timidité m'avaient poussé à ingurgitter autant de ce liquide enivrant. C'était ma manière de prendre confiance en moi et de réussir à sortir de ma coquille.

  • Tu veux venir danser, me demanda Julie, qui semblait avoir entendu une musique qu'elle aimait particulièrement.
  • Je ne sais pas danser, tu le sais...
  • Ce n'est pas grave, dit-elle en me tirant vers la piste de danse. Regarde, tu as juste à bouger tes jambes de cette manière et un peu les bras. Voilà, tu ne t'en sors pas si mal, tu t'en sors même plutôt bien.
  • Merci.

Nous passâmes quelques minutes dans ce territoire hostile, rempli de mille lumières et d'une musique bien trop forte. L'ambiance m'empêchait de réfléchir à chaque mot qui sortait de ma bouche.

  • On va faire un tour ? cria Julie dans ce vacarme assourdissant.
  • Ça marche, on va prévenir les autres.
  • Pas besoin, ils ne vont pas nous en vouloir d'aller prendre l'air, m'assura-t-elle.

Nous sortîmes dans la rue bondée de jeunes qui attendaient de pouvoir entrer dans les différents bars pour faire la fête. Ils semblaient chercher à se vider l'esprit après une semaine de cours bien remplie.

Julie sortit une cigarette de son sac.

  • Tu en veux une ? me demanda-t-elle.
  • Non, merci. Je ne fume pas.
  • Moi, non plus, dit-elle en riant. Je sors une cigarette quand je suis en soirée, mais en général, je la range dans son paquet. C'est une habitude que j'ai prise depuis quelques années, depuis mon voyage en France, en fait.

En effet, ses doigts s'amusaient avec sa cigarette, la faisant tournoyer et virevolter dans tous les sens. Nous marchions sans but précis, observant la ville se dessiner devant nous au fur et à mesure de nos pas.

  • Gwen en veut terriblement à Adam, me confia-t-elle après quelques minutes.
  • Ah...
  • Il faut dire qu'il l'a laissée tomber de manière plutôt brutale et cruelle, franchement, je la comprends cette fois-ci. Je t'avoue que je ne pensais pas qu'il était comme ça. Il avait l'air sincère en fait.
  • On ne peut pas lui en vouloir non plus. C'est juste son style de vie, il s'amuse sans penser aux conséquences sentimentales.

Julie s'arrêta soudainement. Avais-je dis quelque chose de mal ? Je me tournai vers elle, m'attendant à un éventuel courroux de sa part.

  • Et toi, comment es-tu ? demanda-t-elle en me fixant intensément. Fais-tu des promesses que tu ne tiens pas juste pour séduire quelqu'un, pour ensuite la laisser tomber et l'effacer de ta vie ?

Elle venait de résumer le comportement d'Adam en quelques mots, et je me sentais bête d'avoir essayé de le défendre. Son comportement pouvait vraiment blesser les autres, et il ne semblait pas en être conscient, ou peut-être s'en moquait-il ? J'avais pris pour acquis que c'était une entente mutuelle entre lui et ses conquêtes, mais il semblait que ce n'était pas le cas.

  • Non, je n'y ai pas vraiment pensé, avouai-je.
  • Pourtant, tu ne m'as pas contacté, ni cherché à me revoir depuis cette soirée.

Un silence pesant s'empara de New York. Le seul bruit que j'entendais était le battement frénétique de mon coeur. J'étais pris au dépourvu, incapable de trouver les mots parfaits pour sortir de cette situation délicate que je détestais tant.

  • Je suis désolé, finis-je par articuler, les mots sortant de ma bouche avec hésitation.
  • Ce n'est pas grave, répondit-elle en reprenant notre chemin en direction du bar. Après tout, je ne t'avais rien demandé. J'ai juste pensé que tu aurais pu vouloir me revoir, peut-être pour boire un verre ou partager une assiette de tapas, ajouta-t-elle en souriant.

Sans m'en rendre compte, nous avions déjà parcouru tout le quartier avant de revenir à notre point de départ. En entrant de nouveau dans le bar, je constatai que les autres n'avaient pas semblé remarquer notre absence. Gwen et Chloe parlaient avec enthousiasme d'un nouveau restaurant qui venait d'ouvrir à proximité de chez nous et qui était, paraît-il, exceptionnel. Pendant ce temps, Adam et Matthew discutaient du concert d'un artiste qu'ils étaient déterminés à voir, et ils étaient même en train d'acheter des billets pour cela.

Julie s'installa avec les filles pour discuter, me laissant nonchalamment aux côtés des gars pour discuter de la sortie imminente d'un nouveau jeu vidéo. Mon regard se porta sur elle, et mon esprit s'égara. Elle était extraordinaire, confiante, imperturbable, et je commençais à vraiment l'apprécier, voire à ressentir quelque chose de plus fort à son égard.

La soirée au bar touchait à sa fin, mais nous avons décidé de rentrer chez nous pour continuer à discuter. Je me suis levé de ma place et j'ai réalisé que je voyais double. Le chemin entre le bar et notre appartement n'était pas très long, mais j'avais trop bu, et chaque pas devenait difficile. L'alcool me montait à la tête sans que je m'en rende compte, et je ne parvenais plus à suivre les conversations. Julie était venue à mon secours, mettant mon bras autour de son épaule pour m'aider à avancer. Adam se retourna et afficha un sourire complice, ne réalisant même pas à quel point j'étais instable sur mes jambes.

Arrivé à l'appartement, je pris une décision simple mais nécessaire pour sortir de cet état pitoyable dans lequel je me trouvais : il fallait que je vomisse pour me sentir mieux. Je n'avais jamais eu à le faire auparavant, mais il n'y avait pas d'autre choix. Le monde autour de moi tourbillonnait de plus en plus vite, et mon malaise s'accentuait. Je pénétrai dans la salle de bains sans prononcer un mot, refermant la porte derrière moi. J'introduis mon majeur et mon auriculaire au fond de ma bouche, et un spasme profond m'a fait évacuer tout ce que contenait mon estomac.

La honte m'envahis. J'étais sûr que les autres dans le salon avaient tout entendu. Je n'avais pas la moindre envie de sortir. Je rinçai mon visage à l'eau froide, puis saisi ma brosse à dents et mon dentifrice pour éliminer l'acidité dans ma bouche. Pendant ce temps, j'écoutais le brouhaha à l'extérieur de la pièce, les autres continuaient de discuter. Je pris une grande inspiration et je sortis de la salle de bains.

Quand j'ouvris la porte, les autres me regardèrent. Julie semblait inquiète, mais je n'avais ni la force ni le désir de m'expliquer davantage. La honte m'accablait.

  • Je vais vous laisser, je vais me coucher. Je suis désolé, murmurai-je.
  • Ce n'est pas grave, on fera attention au bruit, m'assura Adam.

Je me dirigea aussi rapidement que possible vers ma chambre, souhaitant échapper aux regards inquiets et compatissants de mes amis. Une fois dans la chambre, je m'effondrais sur mon lit, espérant que le sommeil m'aiderait à oublier ce qui venait de se produire.

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