Tempête émotionnelle

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Le mois de novembre avait commencé sous la pluie, et bien que la ville pleurât depuis plusieurs heures, je ne me sentais pas déprimé. Depuis le premier baiser de Julie et ma confession concernant mes crises d'angoisse, une sensation de bien-être avait envahi ma vie, et même le temps maussade ne pouvait effacer le sourire niais qui trônait sur mon visage.

C'était un vendredi soir, et j'avais passé une excellente journée. J'avais hâte de rentrer à l'appartement pour me préparer en vue de notre soirée. Nous avions prévu de nous retrouver dans notre bar préféré pour célébrer la fin de la semaine et accueillir le week-end avec enthousiasme. Depuis que Julie et moi étions ensemble, Gwen passait également plus de temps avec nous. Bien que la situation entre Adam et elle ait été délicate, ils l'avaient maintenant résolue. Elle avait décidé de ne pas laisser son désaccord affecter la relation entre Julie et moi, une décision que j'appréciais grandement. Sa volonté de faire en sorte que tout se passe bien entre nous m'avait rassuré.

En réalité, notre groupe était désormais solide, composé d' Adam, Gwen, Julie, Matthew, Chloe, Tiffany et moi-même. Une jolie petite bande qui appréciait passer du bon temps entre notre bar favori et notre appartement, à discuter, jouer à la console, ou s'adonner à des jeux de société. C'était le début d'une belle amitié, de celle que l'on se forge au début de notre vie d'adulte et qui, je l'espérais, perdurerait dans le temps.

Je rentrai à l'appartement pour prendre une douche et me changer avant de repartir. La pluie n'avait pas entamé ma bonne humeur, même si elle avait réussi à tremper l'ensemble de mes vêtements. La lumière du salon était déjà allumée, ce qui signifait qu'Adam était là.

  • Adam, es-tu là ? demandai-je

Aucune réponse. Il avait dû oublié de l'éteindre, comme d'habitude. J'ouvris la porte de ma chambre, posé enfin mon sac sur le sol, et commençai à me déshabiller.

  • Bang !

Un bruit retentit de la chambre d'Adam. Il devait donc être dans sa chambre et peut-être en train d'écouter de la musique avec son casque. Il ne m'entendait donc probablement pas. J'ouvris la porte de sa chambre pour le prévenir que j'étais rentré.

  • Adam, je...

Adam était dans sa chambre avec une jeune fille dans une position révélatrice de ce qu'il se passait entre eux. Il venait encore d'inviter une nouvelle fille à l'appartement grâce à une application de rencontres pour parfaire un peu plus son tableau de chasse. Il avait oublié que nous devions retrouver nos amis au Hair of the Dog dans une heure pour boire un verre.

Je refermai la porte et retournai dans ma chambre, légèrement énervé. Un quart d'heure plus tard, Adam vint frapper à ma porte.

  • Désolé, j'ai proposé à cette fille de passer à l'appartement à la fin des cours, et je n'ai pas eu le temps de te prévenir, dit-il en levant le poing vers moi pour obtenir un check de validation.

Je n'en avais pas envie, trouvant ce comportement déplacé de sa part, mais je préférai le faire pour éviter le conflit. Grâce à Tinder, son carnet était bien rempli de filles avec qui il avait conclu. Il ne cherchait pas à se caser, et sa stratégie de drague semblait rencontrer un grand succès auprès des New-Yorkaises. Je n'étais pas jaloux, je trouvais juste cela inapproprié, car je n'aurais jamais eu l'idée ni l'envie et même le courage de faire cela.

  • On se prépare pour aller au bar, proposa-t-il, brisant le silence qui s'était installé depuis quelques secondes.
  • Oui, je vais juste prendre une douche, me changer et je serai prêt, annonçai-je.
  • Il faut que tu te fasses beau pour Julie, ajouta-t-il en ricanant.
  • Non, j'avais juste besoin de changer mes vêtements mouillés. J'ai pris l'averse, abruti, lançai-je.
  • Tu vas dormir chez elle ce soir ? poursuivit-il.
  • Je pense, oui. Pourquoi ?
  • Au cas où je ramènerais une fille à l'appartement, bien sûr, répondit-il d'un ton dégagé.
  • Mec, tu viens de coucher avec une fille et ce soir, il y a Gwen, donc évite de faire le con !
  • Oui, grand frère, plaisanta-t-il.

Je finis de me préparer et j'envoyai un message à Julie pour lui dire que l'on serait à l'heure. Adam était plutôt de bonne humeur, et il avait donc anticipé pour ne pas être en retard pour notre soirée. J'avais hâte de la retrouver, on ne s'était pas vu de la semaine à cause de nos emplois du temps respectifs. Quelques instants plus tard, Matthew et Chloe arrivèrent, légèrement en avance. Finalement, Adam réussit une fois de plus à être en retard. Il avait décidé, au dernier moment, de changer de vêtements et de se recoiffer, au grand désespoir de tout le monde. Bien qu'il fût performant pour ramener des filles à l'appartement, il était catastrophique lorsqu'il fallait être à l'heure. Nous avions donc pris la décision d'anticiper nos départs en conséquence.

  • Adam, dépêche-toi !
  • J'arrive, j'arrive. On est pressé ? balança-t-il.
  • Oui, un peu quand même. On nous attend, je te rappelle.
  • Non, on t'attend toi, balança-t-il avec un clin d'oeil peu discret.

Je ne comprenais pas du tout son comportement depuis que j'étais avec Julie. Je ne savais pas si c'était une forme de jalousie ou s'il voulait juste me taquiner. Cela me perturbait de plus en plus, et je devrais probablement lui en parler à un moment. Mais comme à mon habitude, je repoussais cet instant pour éviter les conflits. Je pris mon manteau et mes clés, Adam fit de même, et nous partîmes.

Nous nous dirigions vers le bar tandis que la nuit tombait sur New York. Malgré la pluie encore présente, de nombreux étudiants avaient décidé de sortir pour se changer les idées. Ils affrontaient le crachin des nuages sans difficulté, comparé aux cours auxquels j'avais assisté ces dernières semaines. Les rues fourmillaient de monde. Les lumières des magasins les attiraient, les tentaient, tandis que les odeurs de nourriture nous envahissaient. J'avais faim. Mon estomac me suppliait de m'arrêter dans l'un de ces endroits. Mais notre destination se trouver à quelques centaines de mètre, le bar où Julie se trouvait et qui hantait mes pensées.

Pendant mon adolescence, j'étais souvent seul, mais je découvrais maintenant le plaisir d'être avec des amis, et surtout d'avoir une petite amie. Notre relation était encore naissante, mais sa présence m'obsédait et j'avais du mal à penser à autre chose. Elle me rendait meilleur depuis notre rencontre. J'avais découvert le plaisir de partager des activités, d'être en dehors de ma chambre et de sortir comme ce soir dans un bar avec d'autres personnes que j'appréciais énormément.

Arrivés au bar, nous vîmes directement Julie et Gwen qui nous attendaient à notre table habituelle. Gwen était accompagnée d'un jeune homme que nous ne connaissions pas, et Adam l'avait remarqué immédiatement.

  • C'est qui, lui ? dit-il en désignant le type assis à côté de Gwen.
  • Je ne sais pas.

Je n'avais pas vu Gwen depuis un moment, et je n'avais pas spécialement pris de nouvelles auprès de Julie. Faut dire que nous passions notre temps à faire d'autres activités : des promenades, la visite de monuments ou de galeries d'art, et même du shopping. Elle m'avait rendu plus sociable depuis que nous étions ensemble. Depuis que j'étais avec elle, ma carapace s'était brisée. J'étais maintenant plus enclin à essayer de nouvelles choses, et mes démons semblaient s'être éloignés progressivement. Cela me faisait un bien fou. La culture ne se résumait pas à ce que je pouvais trouver dans mes vieux livres; c'était ce que j'apprenais à New York.

Nous entrions dans le bar pour les rejoindre. J'embrassais tendrement Julie, qui me le rendit chaleureusement. Elle ne semblait pas dérangés par notre retard et ne fit même pas de commentaire à ce sujet. Faut dire qu'elle connaissait bien Adam à présent. Gwen avait aussi l'air heureuse, mais elle ne nous avait pas vraiment remarqués. Elle était concentrée sur l'inconnu assis à notre table. Après quelques minutes, je lançais un simple "Coucou, Gwen" afin de la faire immerger et qu'elle puisse remarquer notre présence.

  • Ah, salut, dit-elle en rougissant. Laissez-moi vous présenter Frank, il est dans mon cours.
  • Salut, enchanté, répondis-je, essayant de le mettre rapidement à l'aise. Je m'appelle Marc, voici Adam, Matthew et Chloe, en les désignant chacun.

Tout le monde le salua, à l'exception d'Adam qui fit un simple signe de tête. Il semblait passablement irrité par la situation, ce que je ne comprenais pas. Il avait passé une partie de l'après-midi avec une fille de sa promo et là, il semblait mécontent que Gwen ait invité un autre gars à notre soirée. Mais ce n'était pas mon problème, et je n'avais aucune intention de m'en mêler.

Je tournais mon attention vers Julie. Elle était tout simplement magnifique dans une petite robe noire qui lui allait à merveille. Mon cerveau s'arrêta de fonctionner pendant quelques secondes. J'avais vraiement de la chance.

  • Tu veux qu'on aille chercher des boissons ? proposais-je pour nous retirer brièvement du groupe.

Au cours des quelques semaines passées ensemble, j'avais appris à parler et à me confier à Julie sans crainte d'être jugé. Elle était devenue ma confidente, celle avec qui je pouvais discuter de tout sans réserve. C'était une nouveauté pour moi, qui avait vécu le harcèlement et une adolescence sans amis. Je n'étais pas encore tout à fait habitué à cela, mais c'était indéniable qu'il y avait une énorme évolution.

  • Tu n'as pas trouvé la réaction d'Adam un peu étrange en voyant Frank ?

- Probablement, me dit-elle en appelant le barman pour commander des boissons. Frank est son meilleur ami depuis sa première année d'études, et il est gay. Je pense que Gwen voulait simplement se venger de la façon dont Adam s'est comporté la dernière fois. Elle est comme ça, et puis, je crois qu'elle l'apprécie.

  • Ah, je vois...

Je commençais à comprendre la scène qui se déroulait devant mes yeux. Gwen riait en discutant avec Frank, tandis qu'Adam boudait de son côté, lorgnant de temps en temps le "faux" couple. Je ne pensais pas qu'elle avait été si blessée et surtout qu'elle était capable de se venger des semaines plus tard. Elle avait dû être sacrément affectée pour agir de cette manière.

Julie se tourna vers moi.

  • Gwen n'a rien fait de mal, elle n'a rien dit de mal non plus. Elle vous a simplement présenté Frank. Et puis, c'est de la faute d'Adam, rappelle-toi.

C'était vrai, elle n'avait rien fait de mal. Ce qui était surtout curieux, c'était la réaction d'Adam. Il venait de se comporter de manière jalouse, ce qui ne lui ressemblait pas du tout. Je le connaissais bien, c'était mon meilleur ami, et je ne l'avais jamais vu agir de cette manière. J'espérais secrètement que la soirée se déroulerait sans problème. Nous retournâmes à notre table, et je ne pus m'empêcher de jeter un coup d'oeil à mon ami. Il n'avait vraiment pas l'air dans son assiette. La soirée se poursuivit, et nous passions un bon moment à discuter de divers sujets. Les filles décidèrent d'aller chercher d'autres boissons, et j'en profitai pour parler discrètement à Adam. Je lui demandai s'il allait bien. Il me fit un signe de tête positif, mais je pouvais voir qu'il n'était pas au meilleur de sa forme. Après une heure à discuter, boire et rire, nous décidâmes de rentrer à notre appartement pour nous détendre et jouer à un jeu de société.

Matthew, Chloe, Gwen et Frank menaient la marche, Julie et moi suivions légèrement en retrait. Adam, quant à lui, se tenait entre nos deux groupes, titubant sous l'effet de l'alcool qu'il avait consommé en excès pendant la soirée. Il était festif, mais cela ne correspondait pas à son comportement habituel. Il semblait perturbé par l'arrivée de Frank dans notre groupe, ou peut-être qu'il n'appréciaut pas ce nouvel ajout. C'était la première fois qu'il réagissait de cette manière, et en tant qu'ami, je me demandais si je devais intervenir. Le problème était que je ne savais pas comment m'y prendre. Je n'étais pas habitué à réconforter les autres, non pas parce que je ne le voulais pas, mais parce que je ne savais pas comment faire. Une tape sur l'épaule ? Lui offrir une oreille attentive ? Je n'en avais aucune idée. Julie me jeta un regard, consciente de mon inquiétude quant au comportement de mon pote. Cependant, elle ne pouvait pas deviner à quel point j'étais préoccupé.

  • Hé, tout va bien ? Ne te fais pas de souci pour lui, me dit-elle en passant son bras autour du mien.
  • Tu as probablement raison. Que penses-tu que je devrais faire ?
  • Tu devrais lui parler, mais pas maintenant.

En effet, nous arrivions à l'appartement, ce n'était pas le moment de discuter de sa réaction et de son état d'esprit. Je préférais attendre jusqu'au lendemain pour aborder le sujet avec lui.

Mais les choses ne se sont pas déroulées comme je l'espérais. La soirée allait tourner au cauchemar dès notre arrivée à l'appartement. Adam avait clairement un problème avec Frank, mais ce n'était pas tout. Nous rentrions dans le salon, et il se dirigea directement vers sa chambre. Je ne voulais pas que mon meilleur ami gâche sa soirée en se renfermant sur lui-même au point de s'enfermer dans sa chambre. Je le rattrapai rapidement, et c'est à cet instant que tout dérapa. Adam péta un câble, criant des phrases incompréhensibles.

  • Dégage, Marc ! Je n'ai plus envie de faire la fête.
  • Mais que se passe-t-il ?
  • Rien, rien. Retourne avec ta greluche.
  • Pardon ?
  • Tu m'as bien compris. Tu n'as même pas remarqué que je n'allais pas bien depuis des semaines, vu que l'on ne se voit plus.
  • Mais si, je suis toujours là. Je t'écoute.
  • Non, tu ne m'écoutes pas. Tu préfères passer ton temps avec ta copine et tu me laisses tomber. Je ne pensais pas que tu agirais de la sorte, surtout pour une meuf.

Il claqua la porte de sa chambre, me laissant seul et abasourdi devant nos amis. J'étais pétrifié, fixant la bande qui ressemblait à des anges pleureurs, que je n'osais pas quitter des yeux. Je ne savais plus quoi dire ni comment sortir de cette situation. Je me tournai vers Julie, désemparé. Ses yeux étaient remplis de larmes. Le silence s'abattit sur la pièce, un silence assourdissant succédant à l'éclat de la dispute que nous avions tous été témoins. Je fis un pas vers Julie, mais elle recula et s'échappa à son tour, claquant la porte d'entrée sans que je ne puisse dire un mot. Avais-je mal agi pendant cette dispute qui venait de m'exploser au visage ? Les personnes restées dans le salon semblaient mal à l'aise. Elles balbutièrent quelques mots de réconfort imprécis avant de disparaître tour à tour, comme le vent s'engouffre dans une maison aux fenêtres grandes ouvertes.

Un instant plus tard, l'orage était passé, et la pièce était vide. Une profonde solitude m'envahit. Le stress refit surface, me frappant de plein fouet, et la tension retomba lourdement dans mon ventre, au point de me faire perdre l'équilibre. Je rerefusai de retourner parler à Adam. Après tout, c'était de sa faute si la soirée avait été ruinée. Je lui en voulais. Je me dirigeai vers ma chambre, me glissai sous mes draps, puis ouvris le tiroir de ma table de nuit, saisis ma boîte de médicaments, pris un comprimé que je laissai fondre sous ma langue pour m'endormir au plus vite.

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