Le temple de l'Humanité

4 minutes de lecture

La structure tenait à la fois du gothique et du brutalisme. Au style gothique, elle empruntait sa masse grandiose, ses flèches et ses arrêtes dantesques qui semblaient dessiner une silhouette divine dans l’espace sombre. Du brutalisme, elle tenait des formes géométriques pures et massives, une surface lisse presque dépourvue d’ornements, d’un blanc nu, pur, qui par sa seule simplicité resplendissait dans la noirceur mouchetée de la toile spatiale. La bulle d’atmosphère qui l’entourait miroitait comme un diamant translucide, déformant légèrement la vision au gré des ondoiements énergétiques du générateur d’atmosphère. Le temple de l’Humanité resplendissait dans le paysage vide d’une lune poussiéreuse.

La navette se posa avec un mouvement gracieux, sa trajectoire courbe et sa vitesse délicatement mesurée. Trois silhouettes en émergèrent, échangèrent quelques signes, puis se dirigèrent d’un pas résolu vers le temple dont la large ouverture en arche rectangulaire révélait l’immense escalier de la sagesse.

Chaque marche du temple portait gravée le nom d’une science, échelonnées dans l’ordre, chacune découlant de la précédente. Mathématiques, astronomie, physique, chimie, biologie, psychologie, sociologie, morale.

En montant les marches, ils virent se déployer autour d’eux des projections retraçant l’histoire des sciences et du genre humain. Des bustes, des stèles et des écrans témoignaient des grandes prouesses de l'humanité, commémoraient les grandes inventions et honoraient les hommes et femmes d’importance en énumérant leurs hauts faits dans le progrès de l’humanité. Des reproductions des visages de Voltaire ou de Socrate scrutaient les visiteurs d’un regard bienveillant, et les bustes de scientifiques importants comme Alan Turing, pionnier du numérique, et Ascylte Rétri, le premier homme à avoir créé un trou de ver permanent, leur souriaient d’un air inspirant.

Ils parvinrent finalement devant un autel sur lequel brillait un projecteur quadridimensionnel qui illuminait le transept d’extraits des écrits d’Auguste Comte, le premier grand-prêtre de l’Humanité.

Avec un soupir d’hésitation, les trois visiteurs finirent par s’agenouiller devant l’autel, chacun fermant les yeux et joignant les mains pour méditer en silence. Le calme s’installa, leurs souffles se firent plus tranquilles, et un bruissement délicat vint emplir le transept.

Un chuintement mécanique vint des chapelles latérales du transept. Avec un léger cliqueti, un sacristain s’approcha en déployant des implants tentaculaires qui jaillissaient de différentes parties de son corps. Sa robe blanche, brodée des devises du positivisme était trouée en maints endroits pour laisser passer les excroissances de métal. La partie de son visage visible était couverte d’un masque de peau métallique, ses yeux remplacés par des polycapteurs microscopiques disséminés sur la surface de son faciès, le reste de sa tête étant camouflée sous une large capuche. Il s’avança lentement, en déroulant ses bras mécaniques qui luisaient d’une pléthore de diodes blanches et bleues.

À l’opposé du transept, son collègue émergeait également. Lui était une machine complète, dont la forme était celle d’un cylindre de métal opaque constellé de petits appendices de métal et de plastique qui ondoyaient en le portant. Il roulait sur ses innombrables pattes flexibles pour se déplacer, émettant des chuintements discrets et des émissions lumineuses infrarouges.

Ils se placèrent de part et d’autre des trois visiteurs et les auscultèrent machinalement. Ils repérèrent immédiatement celle qu’ils attendaient et se dirigèrent vers elle.

C’était une femme, ainsi que l’indiquait un petit badge magnétique fixé sur son col, et elle répondait au nom d’Angevine Carneil. Son uniforme gris blanc avec bottes et gants noirs nacrés ne laissait aucun doute sur ses fonctions militaires, et les bandes bleu étoilées à ses épaules témoignaient du grade de capitaine de la flotte de guerre du Commonwealth. Un béret blanc d’officière coiffait sa tête, renvoyé vers le côté gauche, ne laissant dépasser à l’arrière de sa tête que quelques discrètes mèches de cheveux alternant entre le blond et une teinte violacée. Elle avait les mains jointes fermement, et une certaine crispation sur son visage trahissait une difficulté à méditer convenablement. Quand les deux sacristains s’immobilisèrent devant elle, elle ouvrit brusquement les yeux.

Le sacristain robotique émit un doux piaillement qui était un mélange de données sonores récupérées dans des archives de données réconfortantes, tout en émettant une vague de binaire que l’implant neuronal d’Angevine mit quelques millisecondes à traduire.

« C’est bien moi, oui. » fit-elle d’une voix ferme.

« D’après les métadonnées de l’église, c’est la deuxième fois de votre vie que vous procédez à une confession. » repartit le sacristain humain. « Est-ce juste ?

- En effet, j’ai essayé une fois quand j’étais petite, et depuis je n’en ai pas ressenti le besoin, mais… avec les événements récents, mes parents m’ont conseillé de venir ici pour au moins essayer. »

Le robot exprima un nouveau message en binaire.

« Oui, ce sont mes parents. » Elle eut un regard vers les deux hommes qui l’accompagnaient. Eux aussi portaient des uniformes, mais des uniformes argentés de l’infanterie. L’un était un homme avec un certain embonpoint, une mine affable, plongé dans une méditation si intense qu’il aurait pu être endormi. L’autre, un homme svelte au visage doux et glabre, dormait réellement pour sa part, les genoux croisés, la tête reposée sur l’épaule de son mari.

« J’ai récemment reçu une promotion. » reprit Angevine. « Enfin, je ne l’ai pas encore acceptée. On m’a promue au poste d’amirale, mais je ne suis pas sûre de le mériter. »

Pendant que ces quelques mots étaient échangés, le sacristain humain avait préparé un système de câblage qui jaillissait de sa propre colonne vertébrale.

« Êtes vous prête ?

- Je le crois bien.

- Je vais présentement introduire ce connecteur dans votre cerveau. Vous y consentez ?

- J’y consens.

- Ainsi soit-il. »

Angevine écarta son béret et ses cheveux pour révéler le port implanté dans sa boite crânienne. Le sacristain y brancha son propre câble et la capitaine de la marine vit une vision se superposer à la réalité.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire "Hallbresses " ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0