Chapitre 2

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Des coups sourds m’extirpent d’une nuit très courte mais réparatrice. Avoir le sommeil trop lourd est le meilleur moyen de se faire assassiner bêtement, voilà pourquoi j’ai pris l’habitude de ne dormir que d’un oeil. Toujours rester en veille surtout lorsque quelqu’un veut votre peau, ce qui tombe sous le sens. J’ai dormi tout habillé, au dessus des couvertures, comme un mec bourré rentré de soirée tôt le matin. Encore un réflexe défensif qu’il m’a été évident d’adopter. Je fixe la porte de ma chambre d’hôtel, prêt à bondir, pensant que le son qui vient de me réveiller est celui de quelqu’un tentant de s’introduire à l’intérieur. Mais je réalise après un moment que les coups répétés ne proviennent pas de la porte, mais de derrière mon lit, de l’autre côté de la cloison qui sépare les chambres. Les gémissements qui suivent me font comprendre qu’il ne s’agit en fait que d’un couple extrêmement matinal dans la chambre voisine, pratiquant le plus ancien sport de l’histoire de l’Humanité. A force de squatter des hôtels miteux, je sais reconnaître le bruit d’un bon vieux coït extra-conjugal.
Je dis extra-conjugal, car personne de sensé ne ramènerait sa véritable moitié dans un endroit comme celui-ci, dans le but de faire grincer les ressorts rouillés sur un matelas déjà jauni de fluides corporels séchés mal-nettoyés. Le romantisme, on le garde généralement pour la personne que l’on trompe.

Je me surprends à souffler de soulagement, ce qui me contrarie énormément car cela revient à admettre mon infériorité face à cette enflure de Vorm. Il a une longueur d’avance, et je suis en position de faiblesse à l’heure actuelle. Il m’a forcé à me terrer dans cet hôtel vétuste sous une fausse identité, comme une proie retranchée dans son terrier, et cette perte momentanée de pouvoir et de contrôle est une véritable épine dans le pied pour moi. Je ne supporte pas d’être dépassé par les événements, mais ce n’est qu’une question de temps avant que je n’inverse la tendance. Chaque chose en son temps, cependant.
Le moment où je pose mes pieds sur la moquette mycosique de la chambre est le même que celui qui marque la fin des festivités dans la piaule d’à côté. Mais je ne juge pas : il est trop facile de sous-estimer le pouvoir destructeur que possèdent une minute et trente secondes sur la solidité d’un mariage. Un an, dix ans, trente… Comment admettre que toutes ces années de vie commune peuvent être réduites à néant d’un claquement de doigt ? Les liens sacrés du mariage n’ont en réalité de hiératique que le fanatisme aveugle et mortuaire dans lequel on consent à s’enterrer, dans la joie comme dans la peine, sous la bénédiction fantasmée d’une idole manufacturable à l’infini.

Je me dirige vers la salle de bain, et une fois au dessus du lavabo, je me passe un peu d’eau calcaire sur le visage. Le miroir ne me renvoie aucun reflet, si ce n’est celui d’une silhouette floue surmontée d’une figure sans traits. Je ne sais plus à quoi je ressemble. L’ais-je déjà su un jour ? Pas sûr. Mon identité s’est tant effacée comme de la buée sur une vitre qu’il ne me reste plus que l’abîme à contempler, noire et profonde. Peut-être est-ce cela, ma véritable réflexion. Un mensonge si élaboré que j’ai fini par l’incarner. On s’autoproclame réels, mais rien ne le prouve, finalement.
La crise existentielle peut attendre ; je suis en danger de mort imminent. J’ai le couteau sous la gorge et le scrotum dans un presse-agrumes. Je m’imagine reprendre le dessus sur cette situation à première vue inextricable et cela m’enivre. Quelle sublime sensation ce serait, de tenir Vorm et ses éventuels complices, et de les faire payer pour cet affront. J’en ai des couteaux papillons plein le ventre.

Je sors de ma planque de fortune, en ayant pris soin de ne laisser traîner aucun effet personnel à l’intérieur. Les mains dans les poches, et les poches sous les yeux, je remarque l’homme à ma gauche qui fume, accoudé au garde-corps ajouré de la balustrade. Une cigarette entre les lèvres, il adresse un léger signe de tête dans ma direction pour me saluer. Ce n’est pas Vorm. Je l’ignore et descends tranquillement les marches jusqu’à l’étage inférieur donnant sur la cour intérieure que je traverse jusqu’à la sortie. Sur le parking, juste avant le panneau lumineux glauque arborant le nom de l’hôtel, se trouve une petite cabine téléphonique. Je n’ai pas le choix que de l’utiliser depuis que, par précaution, j’ai détruit mon téléphone et toutes les preuves qu’il contenait hier soir, juste après ma mésaventure dans ce bar.
J’entre entre les quatre parois de verre, accueilli par de fortes effluves de cannabis. Sur le combiné est écrit au stylo noir : “Le BB me manque”.

Je fouille dans ma poche et sors le morceau de papier sur lequel j’ai griffonné le seul numéro de téléphone dont j’avais besoin. Je décroche le combiné, insère les quelques centimes nécessaires et compose les chiffres qui le constituent.
Aucune tonalité, bien sûr. La voix robotique m’indique que le numéro que j’ai demandé n’est plus attribué. Je n’en attendais pas moins.
Je n’ai jamais rencontré mon client. Nos échanges se résument à quelques mails cryptés sur un forum dédié à l’élimination ciblée dans les tréfonds du dark-web.
Soit le gars est mort, abattu par Vorm qui a appris d’une manière ou d’une autre que sa tête avait été mise à prix, soit il s’agit de Vorm lui-même, et tout cela est un piège qui, depuis le début, est censé m’attirer à lui de manière provocante. Mais dans ce cas, pourquoi jouer avec moi de la sorte et ne pas me coller deux balles dans le dos directement ? Ce n’est pas comme s’il avait manqué d’occasions, hier, dans la ruelle. Et avec toutes les infos personnelles qu’il semble posséder sur moi, Dieu sait depuis combien de temps il m’a dans son viseur sans que je ne me doute de rien. Il m’a clairement averti de son intention de me liquider, et n’a donc sûrement aucun doute quand à ses chances de réussite, et dans cet orgueil, je décèle une motivation personnelle. Une haine qui m’est destinée, spécifiquement. Peut-être est-ce quelqu’un dont j’ai assassiné un être cher lors d’un contrat, et qui a pu retrouver ma trace, par la détermination de son désir de vengeance ? Ou est-ce un flic à la retraite, ou suspendu à cause de ses méthodes trop peu conventionnelles, et qui a décidé de faire régner la justice par ses propres moyens ? Je dois creuser toutes les pistes, tout en surveillant mes arrières constamment. Qui que ce soit, il s’amuse avec moi. Il veut m’effrayer et me pousser dans mes derniers retranchements. Mais c’est l’effet inverse qui se produit. Je me réjouis, car la traque est mon moment préféré, je le rappelle. Deux meurtriers à leurs trousses respectives, voilà un duel qui promet.

Contre toute attente, je décide que la prochaine étape est de me rendre à mon appartement, sans doute vandalisé à l’heure qu’il est. J’ai l’espoir d’y récupérer quelques affaires, et de trouver quelque chose qui pourra m’aiguiller par la suite. Et si Vorm m’y attend, c’est encore mieux. Je serai déçu que cette confrontation s’arrête aussi brutalement qu’elle a commencé, mais je ne cracherai pas sur le plaisir de faire souffrir cette ordure qui a osé croire qu’il pouvait m’arrêter.

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