Chapitre 12 : Victor "Ressaisis-toi !"

4 minutes de lecture

Quitter cette famille me coûte bien plus que ce que je ne l'aurais imaginé. Ils ont été chaleureux et bienveillants avec moi. Je suis aux antipodes de ce que j'ai connu en vingt ans. Je me suis retrouvé tel un enfant découvrant la vie à la ferme. J'aurais aimé partager des petits moments simples entourés d'amour. Je ne remercierai jamais assez ma grand-mère d'avoir comblé ce vide où mes parents m'ont abandonné en me donnant la vie.

J'ai plus de mal à avancer en ce début de matinée, tout mon corps semble s'être mis sur pause. J'hésite et une envie folle me traverse l'esprit. Pourquoi ne ferais-je pas demi-tour? Pourquoi ne pas m’éterniser pour apprécier ce havre de paix offert par Jacques, Marthe, Louis et Paul ? Ils m'ont proposé plusieurs fois au cours de la soirée de rester encore quelques jours. J'ai à chaque fois décliné poliment. Je ne voulais pas abuser de leur gentillesse. Là tout de suite, j'aurai envie d'accepter de partager un peu plus leur vie.

Je pose mon vélo contre un chêne au bord de la rivière. Le soleil est à son Zénith, la chaleur du goudron se plaque contre mon visage. J'ai vraiment besoin de faire le point dans ma tête. Est-ce pure folie d'avoir quitté le confort d'un appartement où l'amour n'était qu’une façade polie ? J'avais tout et je n'avais rien. Cet après-midi, mon seul compagnon est mon vélo. Pourtant, il m'offre ma liberté.

Je retire mes baskets et mes chaussettes. Quel plaisir de pouvoir plonger les pieds dans cette eau fraîche. Les tensions cédent, mon corps se détend. Je ne résiste pas à l'envie d'éclabousser tout ce qui m'entoure par jeu dans un premier temps puis pour laisser glisser la colère qui monte en moi. J’en veux tellement à mes parents de m'avoir construit une tour d'ivoire pour me protéger. Mais de quoi, de qui ? Peut-être d’eux, qui ne me désiraient pas. Pour se donner bonne conscience, ils monnayent mon affection. J'attrape le premier caillou qui me passe sous la main et l'envoie le plus loin possible pour me soulager. Ce geste enlève le poids posé sur mon estomac. Je les déteste, j'espère un jour arriver à leur pardonner ce qu'ils me font ressentir, et vivre. Ou les remercier, parce que ce que j'entreprends aujourd'hui sera sûrement la plus belle expérience de ma vie. Après tout, ils ont fait qui je suis. Je me suis construit sous le regard bienveillant de ma grand-mère et je lui en serai éternellement reconnaissant.

Je m'assois sous le chêne, et déplie mon duvet. Je récupère mon crayon et mon cahier. Je ressens la nécessité d'écrire pour évacuer ce qui me consume intérieurement. Les mots glissent sur la feuille sous forme de vers, peu à peu ils se font plus légers et mes paupières s'alourdissent. Je vois les lignes danser devant mes yeux, elles voguent sans que je ne puisse rien faire. Je me détends, le carnet glisse dans l'herbe servant d'abri provisoire à la libellule qui vient se métamorphoser en marque page.

Mes rêves rapidement envahissent ma tête, et en un éclair se métamorphosent en cauchemar. Je me réveille en sursaut, tremblant de la tête aux pieds. Cela fait plus d'un an que cela ne m'est plus arrivé. Je me revois enveloppé dans les ailes d’un dragon qui me protège de ce monstre à deux têtes qui essaie de m'avaler. Je frissonne, des gouttes de sueur perlent sur mon front et dévalent sur mes joues à moins que ce ne soit des larmes. Je ne sais plus. Combien de fois me suis-je réveillé dans les bras de mamie en sueur ? Mes paroles étaient incompréhensibles. Le matin, je ne me souvenais absolument de rien.

Au bord du chemin, seul le tronc me soutient. Je cale mon dos le long des nervures de ces bras imaginaires. Ceux que j'aurais tant aimé avoir quand je ne savais plus où j'en étais. Mais où se trouvait mon père quand j'ai eu besoin de lui ? Il m'a fui quand je lui ai avoué ce que je ressentais au plus profond de moi, que j’aimais les garçons. Ce jour-là, il m'a regardé, m'a fait "OK". Puis, il a tourné les talons et nous n'en avons plus jamais parlé. Je ne sais toujours pas s'il a accepté, s'il s'en fout ou s'il me déteste. Finalement ça m'est égal, tant pis pour lui.

"Bon allez Victor ressaisis-toi". Je me passe de l'eau sur le visage. J'aperçois le reflet de mon visage dans la rivière. Cela me rassure et m'amuse. J'adore voir mes yeux vert émeraude briller à la surface. Un bref instant, il me semble voir ceux de ma grand-mère. Nous avons le même regard et c'est la seule à laquelle je veux ressembler. Cette lueur qui brille au fond de moi me renvoie ce dont j'avais besoin, une lueur d'espoir.

Reboosté, je remonte sur mon vélo prêt à poursuivre ma route avec la certitude que c'est mon choix, le meilleur pour moi. Une idée folle me traverse la tête : dès que je pourrai, je me ferai tatouer un dragon sur l'épaule. Ce sera écrit qu'il sera mon protecteur et deux yeux émeraude illumineront son regard.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 11 versions.

Vous aimez lire Attrape rêve ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0