Chapitre 24 : Victor "L'amour d'une mère."

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Je sens une main se poser sur mon épaule, j’ouvre en grand mes yeux et découvre Héléna qui tel un ange me sourit et me murmure :

– Pardon de t’avoir réveillé. Je ne voulais pas t’effrayer, mais tu avais l’air de faire un cauchemar.

Je ne me souviens que d’une chose, un dragon dans le ciel que j’essaye désespérément de retenir. Pourtant l’histoire que j’ai racontée à Candy n’allait pas dans ce sens. Au contraire, le majestueux animal se tenait à mes côtés avec assurance et je me suis senti pousser des ailes. Pourquoi mon conte est venu se métamorphoser en une peur incontrôlée ? Celle de le perdre. Mon hôtesse me scrute du regard.

– Héléna, rassure-toi. Tout va bien.

– Cela t’arrive souvent ? Tu avais l’air terrorisé, dit-elle inquiète.

Je comprends que je lui ai fait peur et commence à lui parler de mes crises de somnambulisme lui précisant qu’elles arrivent dès que mes émotions me submergent. À son tour, elle s’excuse sentant que ce soir sa propre histoire avait dû en être la cause. Avec délicatesse, elle pose sa main sur la mienne, pour m’apaiser. Tant de mères doivent partager ce geste tendre avec leurs enfants. Mais maman, pourquoi es-tu si souvent passée à côté de moi sans même te soucier de savoir si ma nuit avait été sereine ? À cette heure, j’aurais envie de lui dire combien je la déteste de m’avoir négligé. Cela fait bien longtemps que j’ai compris que je n’étais qu’un accident dans sa vie. Juste un bagage trop lourd qu’elle a laissé dans la soute de l’avion pour ne pas s’embarrasser. Je n’ai qu’une envie, l’appeler et déverser ma colère. Héléna ressent mon désarroi, et me prend aussitôt dans ses bras. Tout semble si naturel pour cette femme qui me connait à peine. Un bien-être se diffuse dans tout mon corps. Seule, ma grand-mère avait ce pouvoir. La chaleur humaine qui se dégage d’Héléna m’apporte tant de réconfort que je m’abandonne. Je redeviens cet enfant qui attendait le retour de sa génitrice jusque tard dans la nuit, caché sous les couvertures. Combien de fois ai-je espéré que ma mère franchisse la porte et qu’elle dépose le même baiser que la maman de Candy vient de m’offrir ? Combien de fois, ai-je entendu ses talons taper sur le parquet accompagné du claquement de la porte de sa chambre ? Quelle ne fut pas ma déception de découvrir au petit matin, que tel un fantôme, elle s’était évanouie. Elle ne laissait derrière elle que son parfum écœurant.

– Victor, ça te dit un second chocolat chaud ?

Comment pourrais-je lui refuser quoi que ce soit ? Elle a dans son regard une étincelle de vie qui m’adoucit mon âme. Comment ne pas vouloir rester à ses côtés pour la protéger ? Elle, dont le cœur doit être en mille morceaux. Chacun calé au fond d’un des fauteuils du salon, une tasse dans nos mains, nous cherchons à dissimuler notre chagrin. J’observe la pièce et découvre la bibliothèque d’où déborde des livres en tout genre. Dans un coin, sur un petit secrétaire sont déposés des cadres photos, souvenirs d’une vie de famille chaleureuse. Pour finir sur la table basse, un scrabble sur lequel on a posé les lettres de façon à laisser un message : “maman je t’aime fort, ta petite puce”. Ce petit rien déposé ainsi me fait sourire. Qu’elle est belle cette attention, tout l’amour d’une fillette pour sa maman.

Nous discutons toute la nuit, chacun racontant un peu de sa vie. Nos paroles glissent de l’un à l’autre, les larmes aussi. Au petit matin, je comprends qu’elle n’ait pas voulu me réveiller. Le soleil inonde la couverture qui me recouvre. J’ai dû m’assoupir lorsqu’elle s’est mise à fredonner une chanson accompagnée de la guitare délogée de derrière le bureau. Je la revois posant ses doigts sur les cordes avec délicatesse. La seule chose dont je me souviens ce sont les premières notes de Pierre et Loup que j’ai jouées tant de fois au piano.

J’ouvre les yeux et deux perles m’observent. Un sourire s’ajoute sur le visage de la princesse venue se blottir au chaud dans mes bras. Cette fillette est adorable, je me demande si je ne voyage pas dans un rêve éveillé. Qui sait ? Je vis peut-être l’histoire que j’écris. Tout est bien réel et les paroles glissées dans mon oreille réchauffent mon être :

– Victor, maman m’a dit que tu devais partir.

– Oui le papillon doit poursuivre son voyage.

– Tu penses qu’un papillon et un dragon peuvent tomber amoureux ?

Cette question étrange me laisse sans voix.

– Tu sais avant que tu te réveilles, tu appelais le dragon pour qu’il ne t’abandonne pas.

– Ce n’était qu’un rêve, je devais repenser au conte d’hier soir.

Dans ses yeux pétillants, je me vois et me demande si elle n’a pas raison. Pourquoi est-ce que ce dragon prend autant de place ? Pourquoi est-ce que je cherche cet animal fabuleux si ce n’est pour qu’il me protège ? Ce matin, je franchirai la porte de cette maison si accueillante et repartirai en quête de nouvelles rencontres fabuleuses. J’en suis convaincu.

Après le petit déjeuner, je dépose un dernier bisou sur la joue de Candy. Elle me tend un dessin. Je déplie le papier et découvre le papillon sur le dos du dragon. Je me mets à sa hauteur. Elle s’empresse de me serrer dans ses bras sous le regard plein d’amour de sa maman. Cette maison est un petit coin de paradis où j’ai pansé mes cicatrices. La quitter me semble tout à coup impossible. Je ferme les yeux. Je ne peux pas rester et faire croire à cette enfant que je pourrais être le grand frère qu’elle n’aura pas. Et de mon côté, je ne peux m’attacher à cette petite sœur qui à sa façon comblera ma vie. Lentement ma main s’échappe de la sienne qui ne me retient pas. Je me retourne, lui offre un baiser qui vole de mes lèvres à ses joues et l’entend me crier une dernière fois :

– Ne m’oublie pas Victor. Pense à m’envoyer la photo du dragon quand tu l’auras trouvé.

Sur mon vélo, j’avance, plein de l’énergie emmagasinée dans ce village où ma route a croisé une oasis. Je me suis abreuvé de cette source, la mienne se tarit. Les battements de mon cœur se font plus forts dans ma poitrine, je pédale de plus en plus vite. Je ne m’enfuis pas, je vis pleinement. Je m’envole vers une nouvelle étape et me dit que ce voyage est le plus beau des cadeaux que je pouvais m’offrir. Chacune des personnes que je rencontre m'apporte un souffle exceptionnel et m’emporte de plus en plus loin.

Après quatre heures à un rythme effréné, je ressens le besoin de calmer un peu le tempo. J’ai rechargé les batteries, hors de question de les vider à nouveau. Je me connais. Si je ne fais pas attention, une fois dans le rouge, mon esprit aura tendance à ne voir que la montagne infranchissable qui se dessine au loin. Je m’arrête pour une pause salutaire à Bazoche-Gouet. En me promenant dans les rues de la ville, un bâtiment m’interpelle. Au premier abord, la façade est peu accueillante. Je serais tenté de faire demi-tour. Je suis bien trop curieux pour rester indifférent. Mamie m’a offert cette latitude de laisser libre cours à mon imagination.

Allez, les apparences sont souvent trompeuses. Je pousse la porte, le résultat me paraît quelque peu étrange, mais peut-être pas. C’est encore mieux que la caverne d’Ali baba, je vais pouvoir y passer des heures. De grandes bibliothèques s’étalent devant mes yeux, je suis comme un enfant à qui l'on vient d’ouvrir le rayon de jouets en avant-première. Je ne sais où poser mon regard tellement il y a de trésors de part en part. La pancarte disait vrai : “livre au trésor, tout au singulier !”

À Paris, j’en avais pour mon argent et pouvais me balader dans des hauts lieux de la littérature. Mais là, tout est différent. On vient d’ouvrir pour moi le coffre de mes histoires. Il y a des exemplaires rares posés à côté de livres tout autant improbables. Je ne sais pas par où commencer. D’ailleurs suis-je vraiment seul en ce lieu ? Je m’attends à découvrir Merlin sortir avec un vieux grimoire à moins que cela ne soit Rabelais et son Gargantua. Je n’ose pas faire de bruit en ne voulant pas réveiller les héros au chaud sous leur couverture. Qui sait Roméo se présentera-t-il sous balcon à la recherche de sa Juliette ?

Je songe à ma petite Candy que j’ai laissée il y a quelques heures. Elle adorerait ce lieu magique. Je m’empresse de prendre une photo et l’envoie sur le téléphone de sa maman avec un petit mot : « les dragons jouent à cache-cache avec les fées et les lutins farceurs. Je me rends compte au fur et à mesure de cette expédition que ce sont des contes pour enfants que je veux écrire ». Comme je l’espérais, la réponse arrive en un battement d’aile : « merci pour ce partage, maman m’a promis de m’emmener un jour découvrir cette boîte à trésor».

Ce petit mot de rien du tout me fait du bien, un bref instant mon esprit voyage vers cette maison où j’ai découvert ce qu’était l’amour d’une mère pour son enfant. Je pose mes doigts sur mon répertoire, mon pouce en pause sur le numéro de ma mère. Une première sonnerie, une deuxième et la troisième sans appel laisse place à une voix qui me semble irréelle : « après le bip laissez votre message ». Je ne peux pas, je raccroche ? Qui sait, peut-être me rappellera-t-elle ?

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