Chapitre 28 : Victor "Tempête et secousses."

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Au petit matin, des rayons du soleil traversent le hublot et caressent mes pommettes avec délicatesse. Ces petits rais de lumière déversent des bouquets de couleurs, tendres pétales s'échappant d'une main. Hier, je n'ai pas perçu le puzzle créé avec minutie. L’artiste a imbriqué chaque bout de verre, jouant subtilement avec les formes. J’apprécie de me réveiller dans ce monde intemporel où les seules choses essentielles sont des morceaux de papier dont on a pris grand soin. Une couverture de laine me recouvre, plaid dans lequel je me suis blotti avant de m’assoupir.

Ce patchwork fait écho au vitrail, comme si l’éclairage s’était tatoué sur le tissu. Le vieux monsieur m’a conseillé ce livre qui a glissé au sol au cours de la nuit, me promettant qu’il m'accompagnera dans un univers féerique. Avant de disparaître, il m’a offert un sourire qui a enrobé mes rêves d’une fabuleuse mélodie que je fredonne encore à cette heure. Au hasard, j’ai ouvert la porte d’une île fantastique. Cette librairie ou plutôt ce coffret restera une merveilleuse découverte. J’attrape mon sac à dos et avance prenant la direction de l’antre du magicien.

Il est assis à son bureau qui regorge de mille et une merveilles. Je m’attends à voir surgir à l’improviste Harry Potter accompagné d’Hermione en quête d’un grimoire. Sur le secrétaire s’entassent des feuilles, des parchemins et tout un tas de crayons. Je pose ma main sur son épaule, perdu dans son costume trop grand, un frisson me parcourt de peur de le voir s’évanouir. Il se retourne et des larmes scintillent dans ses yeux.

Surpris, je n’ose dire mots et d’instinct je le prends dans mes bras. Il pourrait être le grand-père que je n’ai jamais connu mais dont Mamie me parlait avec tant d’amour. Avec pudeur, je relâche l’étreinte. Quel soulagement de retrouver ses yeux rieurs. Il me tend l’œuvre que nous avons feuilletée jusqu’à ce que la grande horloge sonne et rappelle le maître des lieux. Il m’observe sondant à sa façon mon âme, et me dit à voix basse comme s’il me transmettait son savoir « il est à toi maintenant, je sais que tu en feras bon usage ». Il m’offre ce qui me semble être un trésor, le bien le plus précieux du lieu.

Pourtant je ne me sens pas le droit de refuser un tel présent. Avant de le ranger dans ma besace, il ajoute « puis-je garder ton texte ? Il m’a bouleversé et je souhaiterais qu’il devienne la première page d’un nouveau recueil ». Cette marque de tendresse me touche profondément. Il prend la feuille où se trouve mes écrits et mes ratures, la pose à l’intérieur d’une couverture de cuir. Voir ses gestes si habiles, m'interpelle.

Il est temps pour moi de reprendre ma route. Tourner une page devient de plus en plus compliqué, je laisse un peu de moi dans chaque espace. Cette sensation est tout aussi vite oubliée, parce que le partage est un va-et-vient entre les êtres qui croisent ma route. Égoïstement, j’abandonne mes souffrances et en retour ce vieux monsieur pose un baume cicatrisant sur mes blessures.

Cette rencontre est un pur bonheur, un feu d’artifice qui illumine mes yeux. Je ne comprends pas pourquoi. Je ne saurais l’expliquer pourtant au plus profond de mon âme, je sais que je reviendrais dans ce petit coin de paradis. Je l’observe sur le pas de la porte me faire un salut de la main. En plus du merveilleux cadeau qu’il m’a offert, il a glissé dans mon sac de pique-nique un repas pour mon déjeuner et quelques cookies pour adoucir ma journée. J’ai le cœur gros quand je franchis le portail. Je vois disparaître le bâtiment, un point dans l’horizon qui s’ajoute à tous ceux que j’ai semés depuis mon départ.

Je ferme un nouveau chapitre. Décidément ce voyage est une vraie révélation. Je suis parti de Paris, ville dans laquelle j’étouffais, prisonnier d’un monde dans lequel je me perdais. Ce matin, j’avance et je croise des personnes qui changent ma vie sans s'en rendre compte. Peu à peu, je retire ma carapace de jeune homme pour enfiler celle d’aventurier prêt à relever tous les défis qui se présenteront. Je ne vis plus à côté des gens, j’apprends à vivre au travers d’eux. La chrysalide qui m’enveloppe depuis trop longtemps, se craquèle et qui sait peut-être qu’un jour le papillon s’envolera pour découvrir une nouvelle réalité.

La ville garnie de ses barres d’immeubles peu gracieuses s’efface pour laisser la place à un damier de tournesol et de blé. Sur cet échiquier géant planent les rapaces en quête de leur repas qui jouent à cache-cache. Je parcours les kilomètres, mes muscles transparents au depart se scultent. Je me surprends à apprécier les courbes qui s’esquissent sous les manches de mon T-shirt. Les paysages défilent sous mes yeux en accéléré, petites diapositives qui me charment. Je prends le temps d’observer les moindres détails et me nourris de ce qui m’entoure.

Chaque changement de lumière me fait repenser au vitrail de ce matin. Le soleil brille, les teintes chaudes recouvrent le paysage et halent ma peau. Mamie serait tellement contente de voir son protégé devenir un homme. Elle voulait que son petit-fils apprivoise le monde. Je me sens libre sur ce vélo qui m’emmène vers mon destin. Mon esprit vagabonde quand j’aperçois le panneau d’entrée de la ville. Amboise se dresse avec son château dans mon champ de vision. Comment ne pas sourire ? Les souvenirs se bousculent. Plus je m’approche et plus je réalise que mamie a quelque part tracé mon plan de route, elle est mon GPS, celle qui a semé de petits cailloux dans mon enfance. Je constate que chacune de nos virées aux quatre coins de la France quand j’étais plus jeune était un voyage initiatique. Je vais finir par croire qu’il y a une bonne étoile qui me guide.

Je me tiens face à la bâtisse qui se reflète dans la Loire. J’attrape mon portable pour immortaliser cette scène, l’effet miroir est fabuleux. Je suis ce chevalier courageux qui rentre de croisades, soulagé de retrouver le gîte qui l’a vu grandir. J’avance sur l’allée pavée, descends de ma monture pour ne pas gêner les quelques touristes présents à cette heure. Je me revois à l’âge de dix ans, tenant la main de ma grand-mère, silencieux devant le spectacle. Intimidé, fasciné par les monuments historiques, je cherchais à découvrir leurs mystères.

Dans leurs murs, tant d’histoires ont été contées par des troubadours, par des écrivains, par des aînés aux plus jeunes. J’aurais tellement envie de m'asseoir et de poser les plans d’une nouvelle. Je franchis le portail, le jardin s’étale, ourlé de buis joliment façonnés en boule. Je m’installe sur un banc, terre d’asile pour le voyageur que je suis. Je ne résiste pas plus longtemps et sort mon carnet. En l’attrapant, une feuille s’en échappe. Je la ramasse avant qu’elle ne s’envole.

Cette écriture, je la reconnaîtrais parmi tant d'autres. Mon prénom est noté en lettres calligraphiées ornées de belles fleurs. Mon cœur se serre, pourquoi ne l’avais-je pas vu avant ? Je déplie délicatement le papier, de peur de l'abîmer et de voir disparaître sous mes yeux son souvenir. Une lettre. Comment est-ce possible ? Pourquoi maintenant ? Qui l’a mise là sans que je m’en rende compte. Tout s’embrouille dans ma tête. Trop de coïncidences. Le lieu, les souvenirs, le vieux monsieur, mamie. Un nœud se forme autour de mon estomac, j’ai la tête qui tourne. Je ne peux plus attendre, je dois la lire mais pas ici, pas comme ça. Pas devant cette foule qui vient tout à coup d’investir les lieux. Il me faut un espace où je me sentirai en sécurité.

Je la range soigneusement dans mon portefeuille, et grimpe sur mon vélo. Je jette un dernier coup d’œil au château. J’ai terriblement besoin de sentir l’air fouetter mon visage et l’effort meurtrir mon corps et surtout trouver l’endroit où je pourrais me cacher pour pleurer. Parce qu’à cette heure c’est ce que j’ai envie de faire, hurler à nouveau. Me défouler face à cette douleur qui revient me transpercer. Elle est toujours tapie dans l’ombre, elle attend la perverse de venir me bousculer, me malmener. Je veux me sentir vivant. Je voudrais crier au vent « sus à l’ennemi » parce que c’est bien çà l’ennemi est dans mes chairs et cherche à me plonger dans un désespoir que je voudrais abandonner au bord du chemin. Je réalise tout à coup que je roule à en perdre haleine, que je pédale depuis plus d’une heure et qu’une nouvelle ville s’annonce. Tours, voilà où je vais trouver refuge pour cette fin de journée. Au loin le ciel s’assombrit, le vent se lève. L’orage n’est plus très loin.

Je longe le Cher et entre dans le parc Honoré de Balzac. Ce petit îlot au centre de la rivière sera propice pour que je puisse me reposer. Le changement de temps semble avoir refroidi l’ardeur de bon nombre de vacanciers désertant au plus vite l’espace. Je m’assois sur le banc en nage et reprends mon souffle. La fraîcheur qui m’enveloppe est messagère de pluie. Aurai-je le temps de parcourir ce billet qui s’est égaré dans mon carnet ? Est-ce que seulement j’en ai envie ? À nouveau ça se bouscule. Ma tête est un vrai flipper, ça s’agite dans tous les sens. J’hésite, si je me contentais d’en faire un avion et que je l’envoyais au loin. Je ne veux pas savoir ce qu’il y a écrit de peur que cela me détruise.

J’essaye de me reconstruire et cette lettre risque de raviver les douleurs, d'ouvrir les cicatrices. Même si je sais que c’est Mamie qui me l’a écrite, j’ai le pressentiment qu’elle va m’exploser au nez. Je plie soigneusement les côtés, et me prépare à faire ce que mon instinct me dicte. L’objet si fragile dans mes mains est prêt à s’envoler au loin. Je me lève et me tourne pour être face à l’eau. Mes doigts libèrent l’avion qui termine son voyage sur la tête d’un jeune qui passait sur sa route. Eh mince, crash assuré, pas le temps d’empêcher la collision entre le bout de papier et le front d’un inconnu. Je m’empresse de venir m’excuser et de vérifier que je ne suis pas coupable d’une erreur regrettable.

  • Pardon, je suis vraiment désolé. Je pensais être seul
  • Pas de mal, tu viens juste de me ramener à la réalité. J’errais, j’avais besoin de me vider la tête.
  • Alors nous sommes deux, bienvenue dans mon monde. Victor, jeune fou en colère.
  • Tiens, je te rends l’objet du délit. Enfin, pas sûr à voir ta tête que tu en as envie.
  • Je ne sais pas, je pensais que ça me soulagerait. C’est fou, je ne l’ai même pas lu.
  • Alors tu devrais peut-être le faire au cas où, pour ne pas le regretter.
  • Tu as raison, merci à toi d’être passé par là.
  • Si je peux aider, c’est avec plaisir. Tu pars en voyage ?
  • Oui, une sacrée aventure. La plus belle. Et toi, tu vis ici ?
  • Le temps de mes études. Au fait, je m’appelle Arthur.
  • Ravi de te rencontrer. Un cookie pour me faire pardonner mon attaque surprise, ça te dit ?
  • Pourquoi pas ?

Arthur debout, observe au loin et il est tout à coup terriblement silencieux. Je réalise qu’il a l’air aussi perdu que moi. Ses grands yeux gris se sont assombris s’accordant avec le ciel qui se pare de sa funeste cohorte de nuages. Le vent soulève la poussière qui dessine les allées. Le temps se gâte. Un éclair au loin zèbre l'horizon annonçant la tempête. Sortant de sa torpeur, Arthur me propose de le suivre pour aller nous mettre à l’abri.

  • Attends, je ne veux pas m’imposer.
  • T’occupe. Tu as faim ?
  • Volontiers, les cookies ça ne calme pas l’estomac surtout après une virée en vélo.
  • Allez suis-moi, on passe par mon appartement. Tu laisseras ton vélo dans le local.
  • Je ne sais pas…
  • Cherche pas, je crois qu’on a besoin de compagnie tous les deux.

La pluie s’invite, nous arrivons trempés au pied de la cité universitaire et éclatons de rire en nous regardant. La porte s’ouvre et nous nous engouffrons dans son appartement.

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