Chapitre 34 : Victor "Une caresse sur mon âme."

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Tout s’enchaîne très rapidement, la douceur des lèvres sur ma peau vient laisse la place à la froideur d’un poing qui s’écrase sur mon œil. Je ne comprends pas ce qui se passe, nous étions en train de danser avec Arthur. Il était collé dans mon dos, avait déposé un baiser dans mon cou et tout a basculé. Un mec vient de me mettre une droite. Surpris, je me retrouve sur le cul au milieu de la piste avec un gars de plus d’un mètre quatre-vingt-dix, taillé comme un rugbyman à califourchon sur mes jambes. J’essaie de me défaire de ses coups sans vraiment pouvoir les contenir. Il est complètement fou et semble incontrôlable. Un cordeau se dessine autour de nous, un ring improvisé se forme, les paris sont ouverts. Qui du malabar ou du gars banal va remporter le premier round ? Comment vais-je m’en sortir ? Je ne fais pas le poids. Pourquoi s’acharne-t-il ? Un homophobe ? Un alcoolo ? Un cocktail des deux ?

Je cherche Arthur du regard , ou tout au moins un soutien quelconque. Quand je vois Marcel et Julien saisir l’homme qui déverse sa haine sur mon corps, la boule qui grossit dans mon ventre s’estompe. Un acte gratuit ? Un manque de contrôle ? Une envie de taper du mec ? Dans ma tête, tout se bouscule. La dernière fois que je m’en suis pris autant dans la tronche, c’était pour l’anniversaire de mon pote William à Paris. Il avait déconné, j’en avais fait autant, nous avions trop bu, et nous avions voulu jouer au plus malin. Nous avions terminé au poste. Mamie était venue nous sortir de là, je n’avais pas osé la regarder tellement j’étais mal. Elle m’avait pris dans ses bras, m’avait embrassé sur le front et m’avait fait promettre de ne plus me mettre dans un tel état. Depuis l’alcool, je le consomme avec modération, ne flirtant plus avec les limites de mes capacités. Je me souviens comment elle avait su être bienveillante avec les deux petits cons que nous avions été. Je m’en veux de l’avoir déçue ce jour-là. Je ne peux plus retenir les larmes coincées dans mes yeux. On va croire que je fais ma chochotte et bien je m’en tape. Je ne sais pas à cet instant si ce sont les blessures physiques ou mon cœur qui saigne. Je me relève d’un coup, voulant à mon tour en découdre avec celui qui m’a pris pour un sac de boxe et surtout savoir ce qu’il en est. Pas de vengeance, j’ai juste besoin d’explications. Et ma principale angoisse est de savoir où est passé Arthur. Pourquoi il n’est pas intervenu alors que cet énergumène s’acharnait sur moi. Le sol tangue sous mes pieds, ma vision se trouble puis le trou noir.

***

Quand j’ouvre les yeux, le réveil posé sur la table de chevet annonce dix heures du matin. Je ne sais pas comment je suis arrivé ici et d’ailleurs où est-ce que je suis ? Les murs de la chambre ne me disent rien, j’ai l’impression désagréable d’avoir loupé un épisode. Un peu comme quand ado, je m’endormais devant une série. Je somnolais et je me réveillais en sursaut, découvrant la télévision en veille. Le seul bruit que je percevais, était les alarmes de recul des poubelles à l’extérieur, ce signal m’annonçait l’heure de partir au lycée. Je suis dans le brouillard, j’ai mal à la tête, ma paupière droite est collée et la douleur bien présente. Il est à qui le lit dans lequel je suis et qui plus est, en caleçon ? La seule chose dont je me souviens pour l’heure, ce sont les yeux emplis de colère du mec qui m'a allumé. Tout me revient, la soirée au Pym's, la danse, et cet homme qui me met une droite juste après le baiser d’Arthur. Marcel et Julien m’ont ramassé, les videurs nous ont raccompagnés à la sortie. Je me rappelle vaguement avoir entendu un homme me dire que si je voulais porter plainte, je n’avais qu’à repasser demain et qu’il se porterait témoin. Je me souviens du voyage calé entre les deux garçons qui me soutiennent et n’arrêtent pas de demander si tout va bien. Je vois vaguement Sophie et Léna qui se tenaient en face sans dire un mot, leurs silhouettes étaient floues, la ville défilait sous mes yeux tel un fantôme qui m’accompagnait. J’avais froid et étais extrêmement fatigué.

Toujours deux questions tournent en boucle dans ma tête : pourquoi et où est Arthur ? Pourquoi est-il le seul que je ne visualise pas, que je n’entends pas ? J’essaie de refaire le film, il faisait noir au dehors, j’en suis persuadé où mon état floutait la réalité. La chaleur était étouffante. Nous sommes arrivés en bas d’un immeuble puis ils m’ont chargé dans l’ascenseur pour arriver dans cet appartement. Mais oui, je suis dans le studio d’étudiant d’Arthur, tous les morceaux du puzzle s’imbriquent. Marcel m’a aidé à me déshabiller et m’a posé dans le lit. Sophie, Léna, Julien se sont installés à côté dans le salon. Je capte leurs murmures. Chacun à son tour, ils sont venus s'asseoir sur la chaise proche du lit, ils voulaient s’assurer que je n’allais pas trop mal. Ils ont joué au garde malade au chevet du pauvre pantin. Sophie, à plusieurs reprises, a changé le sac de glace qui était sur mon œil poché. Je l’entends me redire plusieurs fois qu’elle était désolée, qu’elle ne savait pas, que son frère avait dit qu’il était chez son père. Mais pourquoi m’a-t-elle parlé de son frère, de son père. Quel rapport ? Tout reste confus, la seule chose qui me rappelle que la réalité est bien plus douloureuse, ce sont les bleus qui se dessinent sur mes abdos, heureusement qu’ils sont assez musclés pour avoir encaissés les poings. Comment ai-je pu me retrouver dans une telle rixe ?

Le rayon de soleil perce les volets et m’offre une douce chaleur sur mon corps. Quelque part, je n’espère qu’une chose qu’il ne s’agisse que d’un malentendu, enfin pour l’heure il fait sacrément mal. J’essaie de m’appuyer sur le bord du lit pour me redresser, en songeant qu’une douche pourrait me faire le plus grand bien et me remettre les idées à l’endroit. Ce que j’ai surtout envie avant toute chose c’est de m’assurer qu’Arthur est en sécurité. Je ne sais pas, mais plus ma conscience reprend du sens, plus je pense que tout est relié à ce baiser. L’appartement semble silencieux, peut-être que tous ses amis ont fini par s’endormir dans le salon. Quand je sors de la chambre, je découvre les lieux, désertés. Tout est en ordre, plus aucune trace de leur passage, pourtant des bruits de bouilloire et de vaisselles me remontent en mémoire. J’avance en direction de la salle de bain, quand j’entends l’eau couler. Je ne peux résister, c’est plus fort que tout, je pousse la porte et découvre Arthur assis dans le bac de douche, la tête dans les genoux, la vapeur enveloppe son corps. J’hésite à m’approcher quand j’entends sa voix tremblante :

– Comment pourras-tu me pardonner Victor ? Je suis désolé, c’est de ma faute.

– Qu’est-ce que tu racontes ? Tu n’y es pour rien si cet abruti m’est tombé dessus.

– Bien sûr que si. J’avais dit à Sophie que ce n’était pas une bonne idée.

– Je ne comprends pas, sois plus clair.

– Putain, il a déconné une fois de trop. C’est toi qui as trinqué. Il voulait te faire du mal pour m’atteindre.

– Tu veux dire, qu’il savait ce qu’il faisait ?

– Je ne sais pas, je ne sais plus. Je pensais que la relation que nous avions tous les deux était au-dessus de tout ça.

– Pourquoi as- tu disparu ? Où étais-tu tout ce temps pendant qu’il déversait sa jalousie ?

Je comprends tout à coup que je me suis retrouvé au mauvais endroit, au mauvais moment et qu’il est peut-être plus raisonnable que je reprenne ma route pour ne pas envenimer les choses. Je m’éloigne lentement, je ne sais pas comment réagir à cet instant, quand je sens sa main glacée qui me saisit le bras.

– Reste, laisse-moi le temps de t’expliquer.

– Rassure-moi, il ne va pas débarquer ?

– Non, tout est fini. Je ne veux plus de cette relation toxique. Tu m’as permis d’ouvrir les yeux.

– Finis de te doucher, je vais nous préparer un truc à manger.

Je repousse lentement cette envie qui grandit dans mon caleçon, si tout ça n’était pas arrivé, je me connais, j’aurais craqué. Tout son corps m’attire, je voudrais laisser mes mains glisser le long de son dos pour déposer mes doigts sur ses fesses et le serrer fort contre ma peau. Il semble fragile et d’un autre côté finalement je le suis tout autant.

Je prépare des œufs brouillés accompagnés de quelques toasts quand il apparaît, vêtu d’un pantalon en toile couleur crème qui le met en valeur.

– Hum ça sent bon, me dit-il avec un sourire rehaussé par ses beaux yeux bruns.

– Oh rien d’exceptionnel, c’est ma grand-mère qui m’a appris à cuisiner. Quand je ne me sentais pas très bien, elle me prenait par la main et nous préparions des desserts ensemble.

– Alors ça ne va pas ? me demande-t-il.

– Je sais pas, à toi de me dire.

– Oh, je me persuadais qu’il allait changer, il me l’a répété à chaque fois qu’il déconnait après avoir trop bu.

– Pourquoi es-tu es resté attaché ? Non ne me réponds pas, je pense que je connais la réponse.

– Tu penses que je suis faible ?

– Je ne te jugerai pas, nous avons tous nos parts d’ombres, nos doutes, nos peurs, notre passé , nos conneries et j’en ai quelques-unes dont je ne suis pas fier. Après je n’ai encore jamais connu l’amour et je me dis que je ne sais pas comment je réagirai.

– Je crois que c’est ta présence, ta façon d’être, ton histoire qui vient de me faire réaliser que j’avais tout faux.

– Arthur, je ne veux pas que tu penses que…

– Non, je sais. J’en ai autant envie que toi, mais ce ne serait pas le bon timing. J’ai besoin d’un ami et je ne sais comment l’expliquer.

Je comprends tant ce qu’il veut dire, une personne sur qui on peut compter et à qui on peut livrer tous ses secrets sans qu’il nous juge ou qu’il veuille nous faire changer, qui nous accepte tel que nous sommes avec nos fragilités.

– Arthur, tu peux me rendre un service ?

– Tout ce que tu voudras. Je te le dois bien. Si tu veux aller porter plainte, je pourrais comprendre. Et je t’accompagnerais.

– Non, après tout, un œil au beurre noir et quelques bleus cicatriseront bien plus rapidement que tes blessures. Mais si de ton côté, tu souhaites que je le fasse...

– Pas vraiment, si son père savait que son fils était gay, il le tuerait.

– Alors, on en reste là. Tu as toujours la lettre de ma grand-mère ?

– Oui bien-sûr.

– On finit de manger. Et tu m’emmènes dans le lieu qui te plait le plus et tu pourras me la lire s’il te plait.

Nous discutons à nouveau de tout et de rien, mais surtout de son histoire d’amour, des espoirs qu’il avait et qui se sont brisés au cours de cette soirée. L’entendre me révéler tant de choses si personnelles avec pudeur, parfois avec maladresse et avec des trémolos dans la voix, me bouleverse. Il est plein de charme, chaque mot qu’il prononce ne me laisse pas indifférent. Je réalise qu’il est un coup de foudre sentimental, celui d’une amitié naissante forte et solide qui se tissera au fil du temps. Nous rangeons la cuisine avant de nous éclipser de l’appartement. Mes affaires sont prêtes, quand je repasserai ce soir ce sera pour nous dire au revoir. Pour l’heure, je veux profiter de ces quelques heures ensemble. Nous arrivons en bord de Loire, il est à peine quatorze heures. Nous admirons les reflets du soleil sur l’eau, écoutons le vent qui balaie les saules, sentons les parfums de miel qui se diffusent, tout est si calme. Nous sommes dos à dos, quand il saisit l’enveloppe et l’ouvre. Mes battements de cœur s’emportent avant de s’apaiser dès qu’il commence à lire les premiers mots :

Mon cher Victor,

Quand tu découvriras cette lettre, je ne serai plus là pour te serrer dans mes bras et te consoler. Pourtant aujourd’hui plus encore je suis fière du jeune homme que tu es et seras. Ces années partagées avec toi ont été les plus belles, et finalement si tes parents t’ont confié à ma garde, je devrais les en remercier et leur en être reconnaissante. En te négligant, ils m’ont comblée. Je sais que toi , tu en as souffert mais ne leur en veux pas, parfois on devient parents sans le vouloir et on n’assume pas. Pourtant comment ne pas craquer devant ton sourire et tes yeux plein d’amour. Dès que je t’ai pris dans mes bras à la maternité, je savais que tu changerais mon existence et je t’en remercie. Je ne sais pas où tu seras, ce que tu feras quand tu liras ces quelques mots, j’espère qu’une chose que sur ton chemin tu découvriras des gens bien et qu’ils t’apporteront tout autant d’amour que tu m’as offert. Comment pourrait-il en être autrement ? Sois fort, sois heureux, sois toi tout simplement et ouvre les yeux en grand quant à ton tour tu écriras ta plus belle des histoires. Mamie qui t’aime fort, et n’oublie pas que je serai toujours à tes côtés.

– Merci Arthur, tu as donné vie à cette lettre avec la tendresse dont j’avais besoin.

Pas le temps de finir ma phrase qu’il me prend dans ses bras, un sentiment de réconfort m’envahit, un bien être absolu. Tout en déposant un nouveau baiser dans mon cou, telle une caresse sur mon âme, il me murmure :

– Poursuis ta route, ouvre tes ailes, et quand tu auras besoin de moi, n’hésite pas je serai là.

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