Chapitre 37.4 : Samy " Fort Enet."

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Le fort est le lieu idéal pour se perdre, heureusement que j'ai toujours une lampe torche dans mon sac. Vince m’emmène visiter les casemates, des abris enterrés, protégés contre les obus. Dans le couloir, une bouffée de chaleur m’envahit, je me sens tout à coup à l’étroit. En passant mes mains sur les murs, je cherche un appui dans ce monde souterrain où je ne suis pas à l’aise. Habitué aux grands espaces je me demande si je ne suis pas quelque part claustrophobe. Au détour d’un couloir, la lumière s’évanouit, l’obscurité m’enveloppe. Une envie de fuir au plus vite l’endroit me saisit, sans compter que mon compère d’exploration disparaît au coin de la travée sans prendre la peine de m’attendre. Tout à coup, je songe au mauvais tour qu’il est probablement en train de me jouer. Finalement, me perdre était peut-être bien son idée. Ras le bol de ce mec qui me malmène depuis le début de la journée. Un souffle d’air froid s’engouffre dans le couloir.

  • Bouh !
  • Tu te crois drôle, tu veux me tester.
  • Allez, déride-toi un peu, tu crains.
  • C’est toi qui es un âne, franchement tu n’as rien de mieux à faire.
  • Non à voir ta gueule, je me marre.
  • Eh bien profites-en, parce que je pense que je vais te laisser planté là.
  • Non. Ne déconne pas, je te taquine.
  • Ouais. Si on se connaissait depuis le jardin d’enfance, je te croirais. Mais pour l’instant, tu me fous la trouille. T’as gagné.
  • Pardon. Allez, viens on sort.
  • À ton prochain coup tordu, je reprends la passe et retourne sur le continent.
  • Samy.
  • Quoi encore ?
  • Ce ne sera pas possible, la prochaine marée basse est demain.
  • Tu déconnes, tu me fais marcher.
  • Non, regarde, l’océan a repris ses aises.
  • Comment tu fais d’habitude ? Tu ne vas pas me faire croire que les touristes passent la nuit ici.
  • Non, un bateau est réservé pour les récupérer.
  • C’est parfait. Il arrive quand ?
  • Pas aujourd’hui. Je te rappelle que la visite guidée n’était pas programmée.
  • Tu veux dire …
  • À part à la nage, on est bloqués ici.
  • Tu avais tout manigancé ?

Je regarde Vince dans les yeux qui de son côté me défie et finit par ajouter :

  • Rassure-toi, ton petit cul ne risque rien.
  • Mais putain pourquoi tu me balances ça ?
  • Pour rien, j’en sais rien. Je serais prêt à dire ou faire n’importe quoi pour que tu restes.
  • Tu m’aurais juste dit s’il te plait, ça aurait suffi.
  • Reste, s’il te plait.
  • De toute façon, est-ce que j’ai le choix ?
  • Je peux toujours appeler ma mère, un de ses amis pêcheurs viendra nous récupérer. Quoique j’en doute.
  • Pourquoi ?
  • Regarde le ciel, l’orage arrive.
  • C’est la totale. Tu contrôles aussi les éléments ?

À l’horizon, les nuages s’amoncellent, les cumulus forment un tapis grisâtre. La mer s’agite à son tour. Les températures baissent et le vent secoue les bruyères. En attendant le temps se gâte vraiment, Vince quant à lui est bien décidé à me faire découvrir tous les recoins du fort. Il m'entraîne en direction des cellules des communards. Ces geôles furent aussi celles des bagnards en attente de départ pour les colonies.

  • Finalement c’est moi, ton prisonnier.
  • Non, je voulais une compagnie qui ne me ménage pas.
  • On aurait pu discuter sur la terrasse de chez ta mère, c’était pas mal non plus.
  • C’est impossible pour moi. C'est ici que je me sens libre.
  • Tu m’avais pas parlé de ta prison ? C’est un peu contradictoire.
  • Tout moi, je suis un vrai paradoxe.
  • C’est quoi la suite des événements ?
  • J’ai les clés des appartements des officiers, si ça te dit on peut aller se poser là-bas. Nous serons à l’abri.
  • Tu penses pas que ta mère va s’inquiéter ?
  • Non, je lui ai dit que je t’emmenais en soirée chez des potes.
  • Tu doutes de rien, tu avais tout prévu.
  • Non, pas que tu viendrais.

Je commence à comprendre que le jeune homme, sous ses grands airs, est désespéré au point de faire une connerie. Je ne sais pas par quel bout poursuivre. La tempête intérieure qui secoue Vince risque d’emporter tout sur son passage. C’est la première fois que je me trouve devant un appel au secours. Je me souviens des gestes qui sauvent, ceux qui peuvent permettre de maintenir en vie après un accident en attendant les pompiers. Mais ici un massage cardiaque ne suffira pas pour relancer un cœur meurtri. La cicatrice est profonde et le réconfort de mes mots ne suffira pas. Dans le regard du fils, je découvre le même voile perçu dans celui de Simone la veille. À la différence, c’est qu’elle reste une mère et qu'elle se battra pour son fils malgré toutes ses errances. Le fantôme qui avance à mes côtés me bouleverse, je cherche au fond de moi les ressources nécessaires pour lui apporter cette once d’espoir qui semble le fuir.

Vince glisse la clé dans la porte du bâtiment rénové. À première vue, il doit servir de location de temps à autre. La pièce est agrémentée d’une grande table en bois, une cuisine avec le minimum vital, une cheminée et un canapé convertible. Mon regard est attiré par la bibliothèque qui garnit le mur proche de la fenêtre. J'ai remarqué la même chose dans la salle à manger de Simone. Je m'approche pour voir les livres qui remplissent les étagères et m'arrête en apercevant le cadre posé sur le dernier rayonnage. Instinctivement, je saisis mon sac et récupère la photo glissée dans ma poche intérieure. C’est la copie conforme de celle que j'ai en face de moi. Au moment de poser la question, la voix de Vince répond en écho :

  • Oui c’est mon père.
  • Pourquoi ? Tu vis ici ?
  • Oui et non, je viens me réfugier quand je n’en peux plus. Mes parents sont les propriétaires des lieux.
  • Je comprends mieux pourquoi tu as les clés.
  • C’était son antre, celle où il venait se ressourcer pour évacuer les monstres qui peuplaient ces nuits. Nous venions souvent tous les deux partager des moments sensationnels…

Avant de finir sa phrase, Vince tombe dans mes bras. Je le réceptionne tant bien que mal sous son poids et la force du contact. Nous terminons assis sur le carrelage. Le grand gaillard, jusque-là imbuvable s’effondre contre mon torse, enfouissant sa tête dans mon cou. Un flot de larmes se déversent, elles répondent à la pluie torrentielle qui se répand sur le fort. Heureusement, nous sommes à l’abri.

  • Samy, Tu veux bien m’écouter, s’il te plait.
  • Si tu en as besoin, oui, mais ne t’en sens pas obligé.
  • J’ai surtout envie de laisser mon cœur pleurer.

Nous nous installons sur le canapé et le jeune homme me raconte son histoire avec des mots plein de tendresse si loin de ce qu’il a pu montrer depuis que je l’ai croisé hier dans l’office de tourisme. Il me parle de son père, cet homme qui était toute sa vie et qui a laissé dans son cœur une crevasse qu’il n’arrive pas à refermer. La veille, je fus le confident de la douleur vive d’une mère. À cette heure tardive, j'apprends celle d’un fils qui cherche à se reconstruire. Pour l’instant, il n’arrive pas à effacer le chagrin qui l’habite. Le plus terrible, il m'avoue du bout des lèvres qu'il a la trouille. Peur de ne pas pouvoir continuer à aller de l’avant, de ne pas avoir le courage d’être aussi fort qu’il semble vouloir le faire croire. Il s’inquiète pour sa mère avec qui, il est injuste. La tempête au dehors se fait plus intense et s’abat avec violence sur l’édifice. Les éclairs zèbrent le ciel, une colère froide, la même que celle qui habite Vince. Il serre les poings prêt à les envoyer se défouler sur une surface assez résistante, pour se blesser, avoir mal. Je le saisis pour l’empêcher de se défouler sur la table en bois. Je le prend par la main, ouvre la porte de l’entrée et le pousse sous les trombes d’eau qui s’abattent sur le vaisseau de pierre. L’électrochoc fait hurler Vince qui s’effondre sur ses genoux, la tête dans ses mains. Nous sommes maintenant sous la pluie, je me cale dans son dos et le serre fort contre moi. Il ne peut pas résister à l’accolade.

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