Chapitre 43 : Victor "Bienvenue chez toi."

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Devant le barbecue, j’apprends à connaître mon cousin. Que de temps perdu pour nous deux, comme cela aurait été appréciable de partager des repas de famille en sa compagnie. Mes déjeuners de fête se limitaient à manger dans des restaurants grands standing dans les beaux quartiers. OK, la bouffe était délicieuse bien que pas assez copieuse à mon goût, pour le reste les discussions de convenance ont comblé les absences à répétitions de mes chers parents. Quant à mamie, elle observait en silence cette scène qu’ils jouaient avec brio. Les paroles échangées étaient bien trop polies pour être sincères. Pourquoi Joséphine ne m’as-tu rien dit ? Cette question résonne dans ma tête, elle devient un de ces refrains que l’on fredonne sans raison et qui entêtent. Allez Victor, ne gâche pas cet instant, passe à autre chose, avance tout simplement. Le passé ne doit pas ternir l’avenir et les petits riens de ce présent, les graver sans aucun tourment.

  • Victor, si tu continues à mettre du petit bois, on va pouvoir inviter tout le quartier et peut-être même les pompiers, dit Maël avec son plat de saucisses dans les mains.
  • Oh merde, je n’avais pas vu ce que je faisais. Pardon, je suis un peu chamboulé.
  • Ouais je te comprends, ça me fait bizarre aussi. J’ai l’impression qu’on m’a privé de quelque chose.
  • C’est mon sentiment, dis-je avec une pointe d’amertume dans la voix.
  • Je sais pas toi mais j’ai envie de rattraper le temps perdu.
  • Je suis d’accord, passons à autre chose, notre histoire nous pouvons la construire ici et maintenant.
  • Une guignette ça te dit ? Elle est bien fraîche.
  • Juste une pour fêter ça.

Nous nous regardons, trinquons, portons l’élixir à nos lèvres et nous éclatons de rire en même temps. Cette soirée s’annonce agréable. Arthur est de son côté en grande conversation avec les deux amis de Maël. Il sourit, semble heureux et cela me suffit. Marius arrive à son tour avec des assiettes et des couverts. Chacun de nous œuvre à rendre cette soirée des plus festives, bien que je ressente comme une inquiétude planer autour de la table. Arthur m’a parlé d’un accident, d’un jeune admis aux urgences mais ne s’est pas étalé, n’ayant pas de réelles informations. J’ai vaguement compris qu’il devait s’agir d’un ami commun.

  • Bon allez je propose que nous fassions une photo, dit Marius qui arrive avec un polaroïd.
  • Ça existe encore, demande Arthur surpris. Je me souviens que mon grand-père en a un et qu’il l’a précieusement gardé.
  • Oui, enfin c’est la version moderne que m’a offert mon fils pour Noël dit Marius avec fierté. Allez, rapprochez-vous. Souriez, pas besoin, vous êtes parfaits ainsi.

Maël s’empresse de venir s'asseoir sur mes genoux, je suis mort de rire, tout se fait naturellement. Arthur m’enserre de ses bras, je sens son souffle dans mon cou. Alexandre, de son côté, pose un baiser du bout des lèvres sur la joue de sa chère et tendre. Le tableau est juste magique, il me tarde de voir ce qu’il donnera sur papier glacé. Chacun se prête à ce petit jeu avec facilité. Marius propose de jouer au photographe, je pense en l’observant qu’il a toujours apprécié ce rôle. Chacun de ses clichés s’avère de grande qualité, ils racontent à leur façon une histoire. Il sait capturer les étincelles blotties dans les yeux.

Alors que nous discutons avec Maël, celui-ci reçoit une notification, il répond du tac au tac et me tend son portable.

  • Tiens c’est mon pote qui est à l’hôpital. Il vient de m’envoyer la photo qu’il avait prise avant qu’un abruti le ramasse. Il était vers la Tour de la Lanterne.

Je regarde l’image sans prêter plus d’attention. Puis quelque chose attire mon regard, un papillon. Arthur, assis à côté de moi, ne perd pas une miette de la scène et ne peut s’empêcher de jeter un œil à son tour. Il éclate de rire.

  • Je ne savais pas qu’une Tour pouvait te faire autant d’effet, dis-je en voyant ses yeux briller.
  • C’est pas la Tour, putain Victor c’est toi sur la photo.

Je ne comprends pas ce qu’il raconte. Qu’est-ce que je ferais sur ce cliché ? Je ne connais pas l’ami de Maël.

  • Mais oui Arthur, tu as raison, ajoute Maël. Le papillon est sur un guidon. Et à côté du vélo, on reconnait ton hoodie.

Je reprends le portable de mon cousin pour en avoir le cœur net. J’agrandis et oui c’est incroyable. Je suis de dos. Qu’est-ce que je faisais ? Ça y est je me souviens, il y avait un voilier et j’admirais l’embarcation. Elle regagnait le port et je saluais les enfants. Ils agitaient leurs mains pour me faire coucou. Ensuite, j’ai remonté les quais pour accompagner le bateau jusqu’à sa zone d’amarrage et filer en direction de la Guignette. L’accident a dû se produire après que nous soyons partis rejoindre la maison de Marius avec Arthur, je me rappelle que nous avions croisé un camion de pompiers.

  • Papi, montre-moi la première photo, que j’en fasse une copie pour notre blessé, dit Maël qui vient juste de recevoir une nouvelle notification.

**

Il est deux heures du matin quand Sophie et Alexandre s’éclipsent. Je dépose une couverture sur Arthur. Il s’est endormi sur le canapé en chien de fusil voilà plus d’une demi-heure. Avec Maël, nous nous asseyons sur la terrasse, le silence envahit l’espace. Notre grand-père nous a souhaité une belle nuit vers minuit. Avant d’aller se coucher, il nous a serrés fort dans ses bras et nous a embrassés. Une petite lueur brillait au coin de son œil, une larme de bonheur. Avec mon cousin, en ce soir d’été, je me sens bien.

  • Victor, est-ce que tu pourrais rester un peu à La Rochelle ? Ou veux-tu repartir pour poursuivre ta route ? me demande Maël avec une certaine appréhension dans la voix.

Sûrement redoute-t-il ma réponse. J’hésite, j’ai forcément envie de poursuivre mon périple et pourtant à cette heure, je m’interroge. Mon cœur prend les devants et répond pour moi :

  • Si je peux, je veux bien rester plus longtemps. Je voudrais pouvoir poser mes bagages un moment.
  • Super alors sois le bienvenu à la maison. Papi sera ravi, tu pourras dormir dans ma chambre d’enfant. Et si Arthur veut rester, il n’y a pas de soucis. D’ailleurs, tu vas me trouver sûrement indiscret mais vous deux ….
  • Nous sommes des amis, tout récents mais je ne pourrais l’expliquer j’ai le sentiment de le connaître depuis toujours.

Je lui raconte notre rencontre, Maël m’écoute avec attention. Curieux, il me pose tout un tas de questions auxquelles je réponds avec enthousiasme. La nuit défile, la fatigue s’installe peu à peu et pourtant nous luttons. Nos paupières nous agacent, nous essayons de déloger les poussières qui nous attirent inexorablement vers le sommeil. Finalement, Maël sombre le premier sur le transat. À mon tour, je me laisse aller dans de nouvelles contrées où seul de doux rêves vont m’accompagner.

**

Il est dix heures quand j’ouvre mes yeux, le paysage au-dessus de ma tête est fabuleux, quelques nuages ouatinent le ciel bleu. Maël émerge à son tour.

  • Regarde cousin, un dragon.

Je le dévisage avant de constater que son doigt pointe l’horizon.

  • Oui, là un dragon sur La Rochelle, insiste-t-il.

Je n’en reviens pas qu’il utilise cet animal, si symbolique pour moi. C’est alors que j’entends une seconde voix me confirmer son impression.

  • Tu as tout à fait raison, ce mouton cotonneux ressemble à un dragon, précise avec un sourire coquin Arthur qui me connait trop bien.
  • Un mouton, un dragon, il y avait quoi dans vos verres. La Guignette a des effets secondaires. Heureusement que je n’en ai bu qu’un, dis-je en me redressant.

Je regarde un peu mieux la toile que m’offre les cieux.

  • Allez toi qui aime écrire des histoires, ne dit pas que ton imaginaire ne le voit pas, ajoute Arthur en ébouriffant mes cheveux.

Mais c’est vrai, ils ont raison, ils ne se foutent pas de ma gueule. Les traits sont mêmes précis, je n’en reviens pas, est-ce que mon cousin serait …

  • Bon allez, il faut qu’on se bouge. Papa, enfin ton oncle nous attend. Maman m’a dit qu’il ne tenait plus en place. Il a trop hâte de connaître son neveu, dit Maël.

Il passe la porte de la véranda et s’écrie :

  • Papi, fais attention il y a un dragon.

Marius ne peut s’empêcher de sourire à cette remarque et d’ajouter :

  • Ah oui Samy est déjà sorti de l’hôpital.

**

Nous arrivons devant une belle maison aux façades blanches et volets bleus. Tout à coup, je comprends où je me trouve. Ce n’est pas possible, je dois être encore en train de rêver. Quand je découvre la pancarte sur le dessus de la boîte aux lettres, je prends conscience de la réalité. Mes mains caressent la façade, je cherche sa présence. Les pierres réchauffées par le soleil de juillet sont agréables à toucher. La maison Joséphine se dresse là, majestueuse, somptueuse, tant de superlatifs me viennent à l’esprit. Je voudrais être ce gecko, il peut lézarder sur ses murs et se nourrir des histoires brodées au fil des années dans ce lieu.

Qui sait pourrait-il me parler d’elle ? Ce reptile n’est-il pas lui aussi un signe ? Ce mini-dragon n’est pas juste là par hasard, ce n’est pas possible. Je sens une main se poser sur mon épaule, puis une autre. Maël et Arthur m'encadrent tels deux chevaliers prêts à me protéger. Ils ont perçu l’un et l’autre l’angoisse qui peu à peu essaye de me terrasser. J’avance dans l’allée, je m’attends à la voir surgir, petite fille insouciante, heureuse de passer ces vacances dans cet endroit charmant. À la place, je découvre une femme d’une cinquantaine d’année avec de beaux yeux bleus, les mêmes que Maël.

  • Bonjour Victor, je suis heureuse de pouvoir te rencontrer, me dit-elle d' une voix douce et calme.

Maël s’approche de sa mère et dépose un bisou sur sa joue. Elle le lui rend avec tendresse. Tout mon corps semble se disloquer, les voir aussi proches provoque tant d’émotions contradictoires. Comme je les envie. Arthur sait ce que je ressens et m’attrape la main, une fois de plus, il a le geste juste. Je le regarde et son sourire me fait réaliser que je dois avancer tout simplement. Alors il me pousse délicatement pour m’aider. Joseph, à son tour, fait son entrée. Il est aussi grand que son fils, il en impose. À sa poignée de main, il ajoute une accolade franche et sincère. Cette marque d’affection spontanée me transporte, j’ai le sentiment d’être redevenu un petit garçon.

  • Voilà donc mon neveu, bienvenu chez toi.

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