Chapitre 6 : Victor "Adieu Paris."

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Il est cinq heures du matin. Je me réveille en sursaut. Je me revois courir le plus vite possible. J’essaye de fuir une ombre, elle me poursuit et tente de me retenir. Un cauchemar ou une simple réalité viennent me sortir de mon sommeil. Mon corps serait-il prêt avant mon âme ? Je file sous une douche froide, la température de ma chambre ne baisse pas depuis une semaine, la chaleur m'étouffe. Où dormirai-je ce soir ? À la belle étoile, dans un petit coin perdu dans l'immensité des champs de la banlieue parisienne. Je pars à l’aventure, sans contraintes ni soucis.

Mon sac à dos attend sur le canapé à côté de mes deux sacs que j’ai achetés pour mettre à l’arrière de mon vélo. J’ai choisi le matériel le plus adapté, en consultant plusieurs sites à ce sujet. Le petit futé, le baroudeur, le cycliste averti, ces lectures furent passionnantes et m'ont aidé à passer le cap. Suis-je fou de partir ? Je m’en fiche. William m’a dit que lorsqu’il me reverrait, mon corps serait affuté. Depuis mes trois ans, mon unique sport est la natation. D’après ma mère; c’est un plus sur un CV. Il faudra que l’on m’explique en quoi. Encore une de ses idées tordues. J’espère qu’au bout de quelques kilomètres mon corps ne jouera pas le gros fainéant et qu’il ne capitulera pas.

Je passe par la cuisine pour me préparer un petit déjeuner. J’avale un morceau, puis une autre bouchée. Je picore. Si je ne veux pas rester cloué sur l'asphalte, il me faut faire un effort. Mon estomac ne veut rien entendre. Je décide d'emporter un encas, j'aurai sûrement faim à un moment ou un autre. Il n'y a pas de moteur sur mon engin pour pallier mes défaillances physiques. Un vélo électrique aurait nui à l’expérience que je souhaite vivre. Je ne veux dépendre de personne et encore moins d’une batterie. Je vais en baver. À contre cœur, j’avale un quart de ma tartine de beurre. Je n’ai plus aucun doute, seule l’envie de filer me pousse.

Dans le hall, je rencontre le concierge, surpris de me voir à cette heure. Il me salue et me sourit. Je lui serre la main en guise d’au revoir. Il m’ouvre la porte et me souhaite une bonne journée. Il me regarde sans poser de questions. Dans la rue, le ciel est chargé d’électricité. J’ai vérifié avant de partir, la météo me sera clémente. Les orages sont annoncés pour la fin de soirée sur la région parisienne. Je devrais être loin quand ils s’abattront sur la capitale. Face à moi, la Seine et la Tour Eiffel, ces deux belles dames se dressent dans le paysage, fières et majestueuses. Avec grand-mère, nous aimions arpenter les bords du fleuve dès l’aube.

Le camion poubelle ramasse les dernières traces d’une population gaspilleuse. J’ai hâte de me rendre compte si ailleurs tout est différent. Je m'assois sur la selle, elle va devenir ma compagne de tous les jours, j’espère qu’elle ne se montrera pas trop cruelle avec mon postérieur. J’emprunte la piste cyclable. Je ne l’ai jamais prise, me contentant de mon chauffeur particulier ou des transports en commun pour me déplacer. Enfant, j’enviais tous ces jeunes que nous croisions sur leur monture. Ils affichaient leur liberté. Ce matin, je suis un pionnier qui file vers une nouvelle vie pleine de surprises et de rencontres. La circulation est fluide et les automobilistes calmes. Je me sens pousser des ailes.

Je parcours les seize kilomètres pour escalader la côte Meudon. Tout ce passage n’est pas une partie de plaisir. J'esquive les automobilistes fous furieux, pressés de rejoindre la capitale. Devant le château de Versailles, je m’accorde ma première pause, méritée et nécessaire. Comment ne pas apprécier le spectacle ? Les touristes armés de leur caméra en sont à leur premier sommeil, seuls les gazouillis des oiseaux m'accompagnent. L’édifice somptueux se dresse dans l’horizon, je ne peux le quitter des yeux. Mes pensées se projettent à l’époque du Roi Soleil. Je l’imagine, il erre dans les allées et attend la grande parade de la cour. Je m’assois sur un banc. Le soleil offre ses premiers rayons au Bassin Miroir. Des éclats dorés scintillent à la surface. Tant d’histoires ont vu le jour dans les travées de ces jardins. Comment ne pas vouloir le temps d’un soupir en faire autant ? Les jardiniers s’affairent pour redorer l’espace et conserver son faste d’antan. Toutes les mains vertes , chevilles ouvrières s’activent avec bienveillance.

Il est temps pour moi de les laisser œuvrer, j’ai mon histoire à écrire. Elle vient de commencer. Je note ce qui se joue sous mes yeux, les premières lignes d’un roman ou la mélodie d’un poème. Je poursuis mon trajet, il passe par Saint Cyr. Mon père voulait que j’y fasse mes classes. Mon premier acte de rébellion contre l’institution familiale fut de refuser le plan tracé. Après cet épisode, mes parents ont considéré que je n’étais qu’une tête de bois. S’ils prenaient le temps de m’écouter, ils constateraient que je suis juste différent.

Je sors de l'Île de France et de ses enfilades d’immeubles de tout style. Me voilà sur une route plus petite et entourée d’arbres m’ouvrant de belles perspectives. Les kilomètres s’enchainent et mes coups de pédales sont plus réguliers. La cadence hachée du début s’estompe. Ai-je dompté le vélo à moins qu’il m’ait dressé ?

J’arrive au bord de la rivière de Guéville proche de la chaumière aux coquillages de Rambouillet aux environs de midi. Avec mamie nous sommes venus la visiter à maintes reprises. Nous nous asseyions dans l’herbe juste à côté du pont. Dans ce coin de verdure, elle m’a lu pour la première fois les Harry Potter. Elle souhaitait que nous retrouvions un peu la maison fictive de la saga. Celle qui appartient à Bill Weasley, le gardien du secret et puis à Fleur Delacour. Un jour, je lui ai promis que je l’emmènerai sur les terres britanniques pour vivre cette histoire qui faisait briller ces yeux. Est-ce ce jour-là où j'ai découvert ma passion pour l’écriture ? Des larmes me montent aux yeux, et je les refoule aussitôt.

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