Chapitre 18 : Victor "Une respiration"

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Je dépose un dernier baiser sur ses lèvres, je sens sa main glisser dans mon dos. Une ultime caresse empreinte de tendresse. Je m'écarte légèrement pour rompre l'étreinte. Je crains de ne plus pouvoir le faire. Je songe tout à coup que l'un comme l'autre, nous avons envie d’un contact charnel plus long. Rien ne me presse, personne ne m'attend. Il est peut-être l'être dont j'ai besoin pour me sentir vivant. J'hésite à partir. Je m'attache trop facilement à ces amarres croisées au cours de mon périple sur les routes de France.

Willy m'attrape par la main, dans ses yeux je perçois une étincelle qu'il n'avait pas hier. Dans un élan spontané, il me serre dans ses bras. Son souffle dans mon cou fait ressurgir le plaisir partagé encore et encore, cette nuit d'été. Il ne me faudrait pas grand-chose pour que je sois tenté de laisser ses doigts et sa bouche s'emparer de mon corps. Toutes ses attentions ont été jouissives et là alors que je remonte sur mon vélo, j'imagine sa langue découvrant chaque parcelle de ma peau.

Je ne sais pas si je dois me retourner pour lui faire un signe, le voir disparaître au loin me serait insupportable. Je préfère garder en mémoire ce que nous venons de partager. Nous le savions tous les deux. Notre fusion était une amourette entre deux hommes esseulés. Nous étions deux amants volant un peu d'espoir l'un à l'autre pour ne pas rester là, le cul dans le fossé. Je ne regrette rien. Non, pourquoi ? Finalement, je suis les traces de mes très chers parents, volage et libertin, errant de bras en bras. Qu'est-ce que je raconte ? N'importe quoi, ce que je cherche avant tout c'est l'homme, le seul, qui partagera ma vie.

Mes pieds appuient avec force et rage sur les pédales pour mettre le plus de distance entre nous deux. Je gomme kilomètre après kilomètres, toutes traces d'un doute qui en moi voudrait s'immiscer. J'aurais pu lui laisser une chance. Qui sait avec le temps, le plaisir charnel partagé se serait transformé en un sentiment plus fort. Celui qui fait danser les papillons dans notre ventre à chaque fois que l'on voit notre âme sœur. Dans ses yeux, brûlait la passion de me posséder physiquement. Ce désir l'un pour l'autre était seulement sensuel et à cette heure c'est avant tout cela que je voulais.

Je me sens tout à coup cruel de penser que seul mon manque de sexe, parce que comment appeler autrement ce que nous avons partagé, avait dirigé nos corps. Willy est un homme qui ne laisse pas indifférent. Je ne souhaite qu'une chose qu'il trouve celui qui pansera son cœur et comblera son être. Pour ne pas être tenté de faire demi-tour, je lui ai laissé en souvenir ces quelques vers que j'ai écris hier au coucher du soleil et déposés sur sa table ce matin :

Sur ma route, tu t'es présenté.
Dans ma vie, tu t'es invité.
Nos corps se sont enlacés,
Nos êtres se sont abandonnés.
Si je reste qui sait avec le temps,
J'apprendrai à t'aimer, tout simplement.
Pourtant je m'en vais à présent,
Parce que tu mérites à ton tour,
De découvrir le véritable amour.

Victor.

Mes pensées s'emmêlent quand la réalité me rappelle son bon vouloir. Si je ne me concentre pas, ma route pourrait s'arrêter là. Un abruti de première me double sans ménagement, manquant d'accrocher une de mes sacoches. Il me klaxonne en hurlant des insanités que je pourrais lui retourner sans hésiter à sa façon cavalière de conduire. Heureusement, les insultes glissent sur moi depuis bien longtemps. Puis la colère m'habite et au cours de ce voyage, je veux apprendre à la contrôler pour la faire disparaître.

Je suis en un seul morceau et aucune envie de m'embarrasser de la bêtise humaine. J'avance, le paysage défile sous mes yeux et évolue. Les champs de céréales ponctuent mon voyage, des océans de blé à perte de vue. Au loin, au bord de la route, j'aperçois une voiture. Peu à peu, je reconnais le bolide. Quelle n'est pas ma surprise ou je peux même dire ma joie de voir le beauf à quatre pattes, les mains noircies. Il se débat avec son cric. En toute autre occasion, je me serais arrêté pour lui apporter mon aide. Là, pour l'heure, un "pauvre con" effleure mes lèvres que je me garde bien de laisser échapper. Je ralentis à sa hauteur et lui adresse un petit signe de pas de bol mais tu t'en sortiras bien ou pas.

Arrivé dans le petit village de Gallardon, je décide de m'accorder une pause salutaire. J'ai repéré un lieu sympa pour reprendre mon souffle et recharger mes batteries. Le Parc des Oseraies est de taille modeste, les arbres qui agrémentent l’espace seront de précieux alliés. Une carapace pour me glisser, elle me protégera de la chaleur étouffante de cet après-midi. Je ne croiserai pas Willy à chaque fois que mon imprudence viendra me prendre la main. Adossé au chêne, je prends le temps de laisser ma respiration reprendre pleinement son rythme. Ce geste anodin pour certain est pour moi une reconnexion au monde qui m'entoure. Tout autour de moi me rappelle mon maître Qi Gong. Mamie m'avait inscrit sans me le dire à une de ses séances pour mes seize ans. J'en avais parlé à mes potes, ils s'étaient d'abord tous foutus de moi. Par la suite, ils ont vite réalisé que sans cette pause méditative, j'aurais sûrement pété un câble.

Assis dignement face à l'étang, je ferme les yeux et écoute le vent froisser les feuilles. Cette délicate mélodie me berce. Peu à peu ma respiration s’apaise, mes tensions s'échappent. Mon souffle m'appartient, je me sens tellement bien.

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