Chapitre 26 : Victor "un livre, une histoire."

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Tout dans ce bâtiment m'intrigue, les livres trouvent refuge au chaud dans un rayon. Même l'odeur m'attire. Je regarde à droite, puis à gauche. J'évite de me prendre les pieds dans le tapis. Je cherche où se cache le libraire. La cloche a tinté dès que mes pieds ont franchi le seuil. Elle a dû l'alerter de ma visite. Le seul bruit que je perçois pour l'heure, c'est celui du balancier de la veille horloge accrochée sur le mur du fond. Ce lieu me captive, mon appétit s'aiguise. Découvrir une pépite au cœur de cette forêt de papiers me grise. Je m'arrête, scrute les moindres recoins, aucune âme qui vive. Est-ce que je suis en train de rêver ? C'est impossible, mes yeux sont grands ouverts, mes battements de cœur jouent de la batterie dans ma poitrine.

Je poursuis mon enquête. Comme c'est amusant, j'ai l'impression d'être un aventurier de l’Arche Perdue. Trouverai-je la lampe magique qui délivrera le génie ? Que pourrai-je alors lui demander, quel vœu ? Si un magicien sort un lapin de son chapeau, qui vais-je croiser ? Alice au pays des merveilles. Tant de souvenirs de lectures partagés avec ma grand-mère me reviennent et tapissent mes pensées avec délicatesse. Je me sens bien dans cet univers qui s'ouvre en grand et m'enveloppe sans me juger. Quelle est la bonne fée qui m'a conduit en ce lieu empreint de magie ? Alors que je suis perdu dans mes songes, une tape sur l'épaule me ramène à la réalité. Face à moi, un petit monsieur avec une barbe blanche vêtu d'une veste rouge. Le père noël, impossible, pas en juillet et pourquoi pas.

De ses yeux couleur outre-mer, il me scanne de la tête au pied et me sourit avec bienveillance. Dans ses mains, un livre qu'il me tend sans dire le moindre mot. Sa couverture a été rapiécée avec des bouts de scotchs. Ces petits pansements ajoutent un « je ne sais quoi » à cette œuvre. On dirait un grimoire qui a voyagé dans le temps. J'observe les moindres détails de l'illustration, un enfant assis au pied d'un grand chêne et une lune ronde qui joue à cache-cache avec les nuages. Le titre est mystérieux : "l'aventure ne fait que commencer". Je m'attends à voir les personnages s'enfuir dès que je l'ouvrirai. Qui se cache derrière la première page ? Comme c'est agréable de savoir qu'un homme ou une femme s'est installé pendant des heures pour laisser sa plume s'étaler sur la feuille.

Le petit monsieur s'est assis en tailleur sur un pouf, tel maître Yoda. Suis-je entré dans un rite initiatique ? Qu'attend-il de moi ? Une fois de plus ce lieu n'a rien de commun. Ce bâtiment perdu au fond d'une allée, dissimule derrière sa façade abandonnée, un monde fantastique. J'ai échoué sur une île désertée par l'homme et peuplée d'histoires merveilleuses. Je me pose à mon tour sur un des fauteuils semés au hasard des allées encombrées, sur ce radeau de fortune, je tourne les pages. Chaque texte est agrémenté d'une image. On peut trouver un poème, un chapitre, une seule phrase ou seulement un mot. Un souffle d’inspiration m’envahit. Les esquisses sont si réalistes, je ne souhaite qu'une chose pouvoir plonger dans le décor à mon tour.

Les minutes s'écoulent dans le sablier, petits grains prisonniers et pourtant libres de tomber à leur rythme. Je me sens à mon aise et j’ai envie de planter ma tente dans ce lieu pour la soirée. Le libraire, toujours muet, me tend une lampe. Ce phare illumine l’espace d'une douce lumière. Je me revois petit garçon caché sous mes couvertures avec ma lampe torche pour voler des moments à la nuit. Mamie le savait et me laissait faire sans jamais me gronder. Je ne sais plus si je lui ai un jour dit merci pour m'avoir offert les plus beaux moments de ma vie. En attendant, le livre est toujours captivant, je l'ai posé sur mes genoux. Je ne veux surtout pas l'abîmer. Je me demande si je pourrais l'acheter.

Je lève la tête, le gardien des lieux se tient droit devant moi. Je le regarde toujours surpris, dans ses mains un plateau garni de quelques gourmandises : du pain, du jambon, de la confiture et des cookies. J’attends, je ne veux pas briser le silence qui nous entoure. Pourquoi est-il aux petits soins pour l’étranger que je suis ? Cherche-t-il aussi un peu de compagnie ? Dois-je parler en premier ? Le soleil nous envoie un dernier message au travers de la lucarne. Les rayons s’évaporent dans un bonsoir teinté de chaleur orangée. Dans l’obscurité, la lampe invite les fantômes du passé à nous rejoindre. Derrière chacun de ces livres se dissimulent tant de vies. Celles de ses mains scribouillardes qui débalent les idées de leurs auteurs. Mes doigts me démangent. J’ai tellement envie de laisser échapper les mots qui sont au bord de mes lèvres. Le vieux monsieur doit lire dans mes pensées. Il me tend une feuille de papier, un crayon et me dit tout simplement :

  • À toi d’ajouter un chapitre à cette œuvre.

Je l’observe, les petites rides qui encadrent sa bouche embellissent son sourire. Une lueur dans ses yeux brille. Comment faire autrement que le contenter ? Je dessine de jolies boucles noires sur la feuille immaculée. Tout est facile tout à coup. Les mots coulent de source, des cascades que je ne peux contrôler. Après deux heures, plongé dans cet océan, où je n’ai pas quitté la page des yeux, la fatigue me ralentit. Je viens de poser le point final de cette rencontre improbable entre un dragon et un papillon. Je lui rends le tout qu’il prend avec précaution. Je le vois saisir ses lunettes rondes qu’il avait glissées dans sa poche intérieure. Je n’en reviens pas, lui si silencieux jusque-là, a décidé de lire mon texte à voix haute. Dans sa bouche, mon histoire prend vie. Quand vient la dernière phrase, une légère angoisse m’envahit. Qu’en a-t-il pensé ?

J’attends sagement comme le jour où le professeur remettait les copies et que j’espérais au fond de moi avoir réussi. Avec le temps, le plaisir s’est atténué. En grandissant, j’ai compris que je ne verrai jamais briller de fierté dans les yeux de mes parents. Ce soir, dans cet hangar, tout est différent. L’homme, assis dans son fauteuil de velours vert, vient à sa façon de m’offrir un merveilleux moment de complicité. Je prends un morceau de pain tartiné de beurre et de confiture et me laisse à rêver qu’il aurait adoré ma grand-mère.

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