Chapitre 30 : Victor "Un défi poétique."

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Arthur, assis sur le canapé attend que je sorte de la salle de bains. De son côté, il consulte les nombreux messages qui se déversent en une symphonie de sons stridents. Ses amis lancent les invitations. Pour débuter, ils lui proposent de se retrouver dans le bar au bout de la rue, pour un encas. Un de leurs potes, Marcel, bosse dans ce petit café les week-ends pour pouvoir financer ses études de médecine. Puis « on finira la nuit au Pim’s » ajoute Sophie avec un clin d’œil. L’étudiant tilte à l’évocation de la boîte de nuit. Cela ne semble absolument pas une bonne idée à la tête qu'il fait. Il soupire et se contente de répondre un pouce levé pour la première proposition et un bonhomme qui grimace pour la seconde. Son amie insiste: « Allez ça te fera du bien, de toute façon il ne sera pas là, son frère m’a dit qu’il était parti pour quinze jours chez son père à Marseille ». Nerveux, il tourne et retourne son portable dans ses mains, hésitant à l’enfouir sous les coussins pour faire taire la peine qui à nouveau l’envahit.

  • Victor, tu veux faire un truc de spécial ? me crie Arthur alors que je sors de la douche.
  • Non. Je me tape l’incruste aussi je suivrai le mouvement.
  • Écoute, mes potes me proposent d’aller manger une pizza.
  • Si c’est bon pour toi, c’est ok pour moi.
  • Je les préviens et …

Je sens comme une hésitation dans sa voix et m'empresse d’ajouter :

  • Je n’ai pas entendu, tu me disais quoi d'autre ?
  • Finis ce que tu fais, on en parle après. Par contre un jean et une chemise seraient les bienvenus.

Cette fois, c'est moi qui met un temps avant de répondre.

  • Au fond de mon sac, tu devrais trouver ça.
  • Laisse tomber, je vais t’en prêter ce qu'il faut. On est à peu près de la même taille, ça devrait le faire.

Je finis de me sécher quand j’entends toquer à la porte et avant que je n'aie le temps de répondre, une chemise apparaît dans l’embrasure et il me dit :

  • Elle est toute simple. Mais ça devrait t'aller, si tu ne crains pas le noir.
  • T’inquiète. Elle est parfaite, encore merci pour tout.

Quand je déboule dans le salon, je découvre Arthur plongé le nez dans un bouquin. Dans son jean noir et sa chemise blanche, il est sexy. Je calme mes pensées, décidément je ne rencontre que des mecs avec du charisme et du charme. Une fois de plus je suis désarmé, hors de question de me laisser entraîner par ce qui ne serait qu’une pulsion. Ce soir plus qu’un autre, j’ai surtout besoin de passer un bon moment avec un mec sans rien attendre en retour. Je m’interroge. Est-ce une bonne idée d’avoir accepté son invitation ? Ça s’embrouille dans mon esprit, mes sens s’emmêlent dans tous les sens. Ressaisis-toi Victor. Seulement le hic, j’ai dû le dire à haute voix car j’entends Arthur me répondre :

  • Toi, tu te poses trop de questions.
  • Comment ?
  • Parfois, il faut juste laisser couler.

Pour me parler ainsi, le jeune homme décontracté qu’il veut montrer doit avoir ses propres soucis et je ne vais pas me rajouter dans la scène. Je ne sais plus quoi penser, quand une photo de fille apparaît sur son portable avec une notification. Je suis un sombre idiot, bien sûr qu’il doit avoir une copine dans sa vie. Errant dans les compartiments de mon âme, j’essaye de fermer les tiroirs encombrés par mes songes délirants quand une main se pose sur mon épaule et des mots glissent à mon oreille.

  • Bon, question de Sophie : boîte de nuit après pizza ou on finit à mon appartement ?
  • Je ne veux surtout pas vous déranger ou vous faire changer vos plans.
  • Tu plaisantes, mon amie serait ravie de me voir arriver avec un beau gosse à mes côtés.

Cette fois, je suis perdu. Qu’est-ce qu’il entend par là ? Un plan à trois très peu pour moi, ma vie sentimentale est déjà un vrai bordel avec trop d’inconnus cela deviendrait une équation irrésoluble. En plus, j’ai horreur des mathématiques, en vrai littéraire, je me plais des courbes des lettres et des méandres des phrases même si le symbole infini m’a toujours fasciné. Arthur ne peut contenir un fou rire. Me connaissant, sur mon visage doivent se dessiner les stigmates de ma réflexion.

  • Tu devrais voir ta tête dans un miroir.
  • Pourquoi ?
  • Parce que la ride qui s’esquisse sur ton front te donne un air si sérieux.
  • Te moque pas, c’est juste …
  • Bon allez, je lui dis Ok pour l’after, j’ai bien envie de te voir te trémousser sur une piste.
  • Tu pourrais être surpris.
  • J’envoie un pouce à Sophie, je l’imagine déjà sauter comme une puce. Allons la rejoindre avant qu’elle ne se fasse mal.

La douceur de cette nuit d’été et les premières étoiles nous guident, marchant l’un à côté de l’autre, nous discutons de tout et de rien. Je découvre qu’il fait des études de droit et qu’il est resté à Tours pour des stages estivaux pour lesquels il a postulé. De mon côté, je lui livre que j’ai fui le cocon familial dans lequel j’étouffais. Je lui avoue sans crainte que je veux vivre, emporter par le vent, sans contraintes, arracher les amarres et rêver de ma propre histoire. Nous avons avancé dans cette rue déserte, déposant un peu de nous à chaque porte. Nous ne nous jugeons pas, nous ouvrons avec pudeur nos cœurs. Quand nous sommes arrivés au bar, nous avons étalé sous chacun de nos pas, le son de nos souvenirs.

En entrant, nous sommes happés par Sophie qui vient à notre rencontre avec un sourire éblouissant. Sa robe bleu pastel met en valeur ses jolies courbes. Elle saute dans les bras d’Arthur qui l’accueillent avec tendresse et l’embrasse sur la joue. Ce geste délicat me confirme qu’une belle amitié les unit. Au fond du petit café, j’aperçois une table composée d’une autre fille et deux mecs qui se chamaillent et rient. Ce lieu a un "je ne sais quoi" qui vous met rapidement à l’aise, un petit coin chaleureux où l’on a simplement envie de s’installer pour profiter de l’insouciance de la vie. Une fois les présentations faites, les commandes passées, les questions fusent de part et d’autre, Sophie veut savoir comment nous nous sommes rencontrés. Quelle n'est pas sa surprise d’apprendre que cela ne fait que quelques heures. Elle se fait des films, parle des coïncidences qui embellissent les histoires.

  • Tu as failli éborgner mon meilleur ami avec un avion en papier ?
  • Oui mais ce n’était pas voulu.
  • Le vent s’en est mêlé, un petit coup de pouce du destin.

Avant que je ne puisse répondre quoi que ce soit et que la chaleur qui m'envahit me trahisse, Arthur interpelle Marcel :

  • Tu te joindras bien à nous après le repas ?
  • Je vois avec mon chef. Vu le peu d’affluence, ça devrait le faire.

Il me tend mon assiette avec ma pizza au chèvre-miel et me dit :

  • Sympa la chemise, c’est drôle Sophie on dirait la même que celle que nous avons offerte à notre futur maître du barreau.

Et disparaît avec un sourire taquin au coin des lèvres, satisfait d’avoir mis les pieds dans le plat. J’appréhende la suite, Arthur, le visage fermé, semble s’être envolé à mille lieues de ce petit troquet. J'en fais tout autant, rassuré de voir son amie caresser sa main pour l’apaiser. Elle lui chuchote quelques mots à son oreille qui font briller ses yeux noisette.

  • Qui commence ? demanda Julien.

J’interroge Arthur du regard ne comprenant pas ce qu’ils attendent de moi. Il m’adresse un clin d’œil et tout en levant son verre déclame :

Les sanglots longs
Des violons
De l’automne
Blessent mon cœur
D’une langueur
Monotone.

Je n’en reviens pas la Chanson d’Automne de Verlaine, à chaque fois que je l’entends des larmes me montent aux yeux. Dans sa bouche, elle prend une couleur supplémentaire.

  • Non pas celui-là, s’il te plait, tu vas encore nous plomber la soirée. Trouve autre chose, supplie Sophie.
  • Et si c’était notre invité du jour qui choisissait le poème, propose Arthur.
  • Qui moi ? Qui te dit que j’aime ça ?
  • Je ne sais pas. Sûrement le carnet que tu as laissé traîner sur la table pour qu’il sèche. Puis, je te rappelle que tu m’en as parlé sur le chemin.

Quel abruti ! Bien sûr, j’ai évoqué ma visite dans cette belle librairie. J'ai appris qu’il aimait lire tout autant que moi le dévoreur de bouquins. Forcément qu’il est au courant. Sans réfléchir, je déclame Les papillons de Gérard de Nerval :

Quand revient l’été superbe,
Je m’en vais au bois tout seul :
Je m’étends dans la grande herbe,
Perdu dans ce vert linceul.
Sur ma tête renversée,
Là, chacun d’eux à son tour,
Passe comme une pensée
De poésie ou d’amour !

  • Waouh, c’est magnifique. J’adore, me dit Sophie. Arthur, tu n’as plus le choix, c’est à toi.
  • Qu’est-ce qu’il doit faire au juste ? demandé-je à la tablée toute ouïe.
  • C’est un petit défi que nous aimons relever. On garde juste les derniers mots des huit vers, superbe, seul… et on écrit une nouvelle version, précise Julien.
  • C’est génial. J’aime beaucoup et j’ai hâte d’entendre ta production. On doit respecter la rythmique des syllabes ?
  • Comme tu le sens. Vers libres ou pas, l’essentiel, te laisser aller.
  • En attendant que notre futur avocat nous en mette plein la vue, mangeons, suggère Sophie.

Les doigts d’Arthur gribouillent sur un morceau de la nappe en papier, consciencieusement il a gardé les derniers mots. Sur son visage, ces traits se détendent malgré l’effort de réflexion que cela demande. Cette soirée s’annonce des plus agréables, tout me captive. Pendant que le poète essaye encore et encore d’être au plus juste, ses amis en profitent pour me questionner et de temps en temps je le vois tendre l’oreille pour percevoir mes réponses. Sophie et Anna rient aux éclats des bêtises que leurs petits copains distillent et Marcel de temps à autre fait un crochet à notre table pour s’assurer que tout va pour le mieux. Après un quart d’heure dans sa bulle, Arthur partage son envolée :

Quand il apparut superbe,

Dans ce parc, me sentant seul :

Mes pieds nus effleuraient l’herbe,

Mes songes dans un linceul.

Sa fuite m'a renversé,

Il avait fait demi-tour

Volant toutes mes pensées

Me privant de tant d'amour !

Je n’en reviens pas, il a joué des mots avec tant de finesse, et dans ces quelques vers je découvre l’histoire qu’il cache au plus profond de son âme. Il vient de libérer à son tour le papillon. Il me sourit et me dit :

  • Maintenant tu n’as plus le choix.

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