Chapitre 49 : Victor & Samy

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Je ne comprends pas ce qui vient de se passer ni pourquoi je me suis laissé guider sans aucune résistance. Le hangar est plongé dans la pénombre. Cela me convient. L’obscurité cache mes larmes prêtes à se déverser. L'odeur de la pièce est similaire à la cave de mes parents. Le même parfum tapisse mon nez. Petit, je me cachais dans cet espace obscur pour oublier. J’espérais que mes géniteurs se soucieraient de mon absence. Le constat était sans appel, cela ne changeait pas grand-chose. Ils étaient persuadés que je me dissimulais dans les jupons de Mamie. J’ai entendu mon père si souvent me dire : « arrête de faire ta fillette, il est temps de devenir un homme ». Ces mots dans sa bouche étaient si blessants. En grandissant, j'ai découvert une façon plus radicale d'oublier. J'ai rapidement apprécié les arômes du vin. J’ai regretté aussi vite cette faiblesse. Depuis, je me suis fait la promesse de ne plus noyer ma détresse dans l'alcool. Cela aurait donné du crédit aux propos de mon géniteur. Aujourd'hui, je m'en fous. C'est terrible de dire qu'on a loupé quelque chose. Peut-être qu'un jour j’arriverai à lui pardonner. Mon cousin a de la chance, je l'envie de sa relation fusionnelle avec son père. Et ma mère dans tout ça. Pour l'heure, je veux juste l'oublier.

Depuis que nous avons franchi la porte avec Samy, nos mains sont toujours liées. Je n'essaie pas de m'extraire de la pression qui se fait plus légère. Il se tient devant moi, j'aperçois ses formes se dessiner. Un trait de lumière transperce la fenêtre et esquisse avec douceur ses épaules, son dos et descend sur le galbe de ses fesses où mes yeux viennent se perdre. Je sens des picotements dans mon ventre. Le contact est doux, ses doigts sont fins et délicats. Je ne peux résister et caresse son pouce. Il ne bouge pas et m'effleure mes doigts à son tour. Qu'est-ce qui se passe réellement ? Pourquoi n'ai-je pas envie une seule seconde de couper le contact ? Une étrange sensation. Devrais-je dire que l'alchimie de nos peaux opère ?

Il choisit ce moment pour se retourner et me demander :

  • Tu es partant ?

En entendant son timbre de voix chaleureux, je m'accorde un bref instant avant de répondre.

  • Pour un tour en vélo, toujours.

Je ne sais pas s'il attendait cette réponse. Mince, peut-être qu'il ne parlait pas du tout de ça. A-t-il une autre idée derrière la tête ? Qu'est-ce que nous faisons tous les deux, là ? Pas le temps de réfléchir plus, il lâche ma main, pour venir déposer la sienne sur ma joue. Une chaleur rassurante, apaisante glisse de ses doigts à ma peau. Mes battements de cœur s'accélèrent et tambourinent sous mon torse. Sa deuxième main encadre mon visage et tout mon corps se relâche quand ils m'effleurent. Les vannes sont ouvertes, des larmes roulent et il les essuie tendrement avec son pouce.

  • Allez, suis-moi. Allons faire un tour, me dit-il.

Dans ses yeux des étincelles pétillent. Il m'offre un sourire, un de ceux inoubliables. Je me lance à mon tour et de mon index parcourt sa lèvre supérieure. Il dépose un baiser du bout des lèvres sur son extrémité avant de s’éloigner pour attraper son vélo.

  • Prends celui de Maël, me propose-t-il. On aurait pu aller récupérer le tien mais pour l'heure, celui-ci fera l'affaire.
  • Tu veux aller où ?
  • N'importe où du moment que tu m'accompagnes.
  • La Tour de la Lanterne pour commencer.
  • Ça c'était bien prévu, répond Samy tout en ouvrant la porte.

Dans la rue, je me cale derrière son porte bagage, il imprime le rythme. Je constate sa capacité à avaler les kilomètres sans forcer. Même si ce voyage m'a permis de développer ma condition physique, la sienne est au top. Nous empruntons des ruelles bien moins fréquentées. Il m'impressionne, il semble connaître la ville du bout des doigts. J'essaie de rester concentré sur la route, cela s'avère difficile quand il se positionne en danseuse pour aborder la côte. J'ai une vue à couper le souffle, ses muscles se contractent. Je dévore des yeux ses mollets, ses cuisses et ses fesses. Je sens mes joues rosir, le soleil n'y est absolument pour rien. Quand nous arrivons sur les quais, nous descendons de nos montures et poursuivons notre escapade à pied. Je viens me positionner à sa hauteur.

  • Dis donc, tu as la forme, lui dis-je essoufflé.
  • Tu as suivi sans problème.
  • Enfin surtout parce que tu m'as gentiment attendu.
  • Peut-être, me répond-il avec un sourire en coin.
  • Une glace, ça te dit ?
  • Ok avec plaisir. J'ai faim.

Nous accrochons nos vélos, je ne voudrais pas rentrer ce soir l’air bête et avouer à mon cousin que sa bicyclette a disparu. Samy me prend la main pour que je le suive. Il a l'air tellement à l'aise que je ne me pose aucune question. Nous apercevons au loin un couple, je reconnais mon grand-père, accroché au bras d’une femme charmante avec son chapeau. Ils nous font des grands gestes pour nous faire signe de les rejoindre.

  • Samy, comme je suis heureuse de te voir sur pied, dit la vieille dame avec un grand sourire.
  • Oui juste une bosse et quelques égratignures.
  • Marius m'a tout raconté. Et qui est ce charmant jeune homme qui t'accompagne ?
  • Mon petit-fils Victor, ajoute Marius. Le monde est petit.
  • Maël a ramené Samy à la maison Joséphine. Nous nous sommes percutés et nous voilà ici.
  • Nous allions prendre un thé au café de la Tour, vous voulez vous joindre à nous, propose l’amie de Marius.
  • Nous ne voudrions pas vous déranger.

Cette réponse en duo nous fait sourire. Nous parlons à l'unisson, une sacrée connexion.

  • Allez, c'est décidé, nous vous invitons.

Comment leur refuser ? Ils sont touchants, les rencontres n'ont pas d'âge, des bulles intemporelles dans lesquelles nous flottons. Nous nous asseyons à une table et passons commande. Pourquoi ne suis-je pas surpris ? Une dame blanche pour Samy. Pourquoi rit-il quand je pointe mon doigt sur la carte désignant la coupe menthe chocolat. L'aurait-il deviné si je lui avais demandé de choisir pour moi. Nous dévorons notre douceur glacée sous le regard bienveillant de Marius et Camille. Les gourmands ont craqué pour un cappuccino et une part de tarte aux fraises. Nous discutons de ce que nous aimons faire. J'apprends avec joie que mon grand-père joue du piano. Camille, elle nous parle de son passe-temps pour le jardinage. C'est au tour de Samy de se confier, j'attends avec impatience sa réponse. Je ne suis pas étonné : sa passion pour le dessin et l'art en général. De mon côté, je ne m'étale guère.

Après cette pause, Maruis et Camille nous raccompagnent à nos vélos et poursuivent leur route en direction du centre-ville. J'observe Samy. Il me sourit encore et encore. Sa bouche appétissante m'attire et je ne résiste pas. Je m'approche et j'y pose un baiser furtif. Elles ont le goût de vanille comme je l'espérais. La friandise devient une vraie gourmandise.

  • Je vais prendre goût à cet échange de flux, me dit-il en essuyant la trace de chocolat resté à la commissure de mes lèvres.
  • Bon et maintenant ?
  • J'ai un rendez-vous. Elle sera ravie de te rencontrer.

Nous remontons sur nos bécanes. À nouveau, nous entamons une course folle dans les quartiers de la Rochelle. Après quelques minutes, je m'aperçois que le fléchage nous mène droit au Centre hospitalier. Arrivé devant le bâtiment, Samy m'entraîne vers la boutique, lieu fourre-tout où chacun peut venir déceler un petit rien pour trouver le temps un peu moins long dans cette bâtisse. Il a une idée précise en tête, saisit une peluche et m'entraîne vers la caisse. Il paie son dû et me regarde avant de me tendre l'animal. Dans mes mains, ce chat au pelage blanc tacheté de noir a deux perles bleues en guise d'yeux. Son contact me réchauffe instantanément le cœur.

  • Montons à l'étage pour lui offrir, me dit Samy. Elle va être contente.

Nous prenons l'ascenseur, il vient se caler dans mon dos, je peux sentir son souffle dans mon cou. Il m'attrape par la taille, je me sens léger comme une plume. Je pourrais rester ainsi des heures sans me lasser, mais le temps file trop vite. Une petite musique nous signale que nous sommes arrivés à destination. La porte s'ouvre sur une jolie infirmière.

  • Samy, toi ici, tout va bien ? lui demande-t-elle.
  • Oui rassure-toi, je viens pour une visite.
  • Oh, Sophia va être heureuse.

Elle grimpe à son tour dans l’ascenseur et avant la fermeture de la porte, nous dit :

  • À tout à l'heure, j'ai reçu une invitation.

Décidément, où Samy passe, le bonheur se prélasse. Il ne laisse personne indifférent. Je le regarde, amusé et m'interroge :

  • Tu habites à La Rochelle depuis longtemps ?
  • Deux jours, me répond-il.
  • Ah , laissé-je échapper.
  • Oui et ici j'ai passé une nuit. Tu sais quoi, elle n'a pas pu résister, elle a appelé Maël.
  • Parce que dans ton sac de Mary Poppins tu as une place pour Cupidon, dis-je en réalisant que le mec qui se tient à mes côtés n'est pas un être quelconque.
  • Peut-être, me répond-il en déposant un baiser sur ma joue. Pour l'heure, vient offrir ton sourire d'ange à une petite fille qui m'a ouvert les yeux.

Dans la chambre, je découvre, allongée sur le lit, une demoiselle. Elle dessine, ses doigts s'animent sur un petit carnet. Elle lève son nez et en nous apercevant, son visage s'illumine. Elle pose son crayon et s'écrie :

  • Oh Samy, tu as trouvé le papillon.

Cette phrase me laisse sans voix, je suis surpris d'une telle entrée en matière. Je les observe sans rien dire, je ne veux pas briser la parenthèse ouverte entre ces deux êtres, il inonde l'espace d'un sourire lumineux. Samy s'approche, sort de derrière son dos la peluche. Des larmes roulent sur les joues de l'enfant.

  • Oh merci Samy, il est magnifique. Je vais prendre bien soin de lui, comme toi tu câlineras ton papillon.

Cette dernière remarque me bouleverse, je sens qu'à mon tour l'émotion me gagne. Comme par magie, sa main vient à nouveau se caler dans la mienne. La rencontre de nos deux peaux m'apaise aussitôt. Après une heure, j'en apprends un peu plus sur la fillette. Je m'assois dans le fauteuil et commence à raconter une histoire. Les deux m'écoutent, Samy installé au bord du lit avec la tête de Sophia calée sur son torse. Je rêve de ce moment où je pourrais me blottir dans les bras du garçon qui ne me quitte pas des yeux. Quand la mère de la fillette arrive, nous nous éclipsons et lui promettons de revenir la voir le lendemain.

À la sortie, j'attrape Samy par l'épaule, il se retourne surpris :

  • Tout va bien Victor ? me demande-t-il avec une pointe d'inquiétude dans la voix.
  • Je peux te poser une question ?
  • Des milliers si tu veux.
  • Le dragon sur le dessin ?
  • Oui, c'est moi. Ma sœur m'appelle ainsi depuis toujours. Aussi j'ai voulu lui écrire son histoire sur mes planches à dessin. Il est en quête d'un papillon.
  • Et...
  • Suis-moi
  • Pour ...
  • La plage.

Assis sur le sable, face à l'océan nous observons les goélands. Samy est installé dans mon dos et m'enveloppe de ses bras. Je me sens bien. Le soleil décline à l'horizon, le spectacle est somptueux, l'instant merveilleux. Je ne comprends pas ce qu'il m'arrive.

Et si, pour la première fois de ma vie, je tombais amoureux ?

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