Chapitre 17 : "Et je hais, de tout mon corps, mais je t'adore."

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Le temps vaguant à ses caprices, Laure et Sky coururent se protéger sous le préau entre deux bâtiments de la cour. Dans la précipitation, un peu essoufflés, ils s’assirent sur un des bancs. Alors qu’elle aurait normalement pesté contre les légers frisottis qui se formaient dans ses cheveux, Laure se contenta de les aplatir avant d’essayer de faire parler Sky.

  • Pourquoi tu ne me dis pas comment tu t’es blessé ? demanda-t-elle en pointant son front.

Bien qu’il fût fâché contre Loyd, il ne voulait pas le descendre. Ennuyé, il secoua sa tête comme un chien pour chasser les gouttes, puis se mit à réfléchir.

  • Est-ce que tu es triste de ne pas être présidente ?
  • Comment… Mais ce n’est pas le sujet !
  • Dis-moi, non, plutôt sois sincère… Ça te fait de la peine ? insista-t-il en se rapprochant, voyant qu’elle avait un peu froid.
  • Je… non…
  • Et son comportement envers toi ? continua-t-il en essayant de maintenir son regard.
  • Tu parles de Loyd ? Je suis contente qu’il soit président, il le mérite…
  • Bon sang, tu n’as jamais été honnête… Ce n’est pas ce que je voulais dire. Laure, pourquoi tu ne te permets pas d’être triste ? Pourquoi est-ce que tu attends toujours de craquer pour… pleurer ?

Il faisait référence à un moment bien particulier.

***

À la tête des déléguées, Laure Ibiss était devenue la personne à surveiller de près. Un grand avenir l’attendait. Des admirateurs aux ennemis, tous étaient d’accord pour dire qu’elle paraissait inatteignable. Il s’agissait de la raison pour laquelle Sky n’avait pas voulu d’elle comme présidente. Cette fille, belle, gentille, serviable, intelligente, ordonnée, autrement dit parfaite, devait forcément avoir une faille. Même la plus extraordinaire des poupées mécaniques pouvait se briser.

De manière assez insistante, Sky avait décidé de la pousser dans ses retranchements en se moquant ouvertement d’elle. Il n'obtint aucune réaction en l’imitant grotesquement et en tentant de l’affronter de face avec ses remarques aiguisées. Si bien qu’il ne se douta pas qu’un tout petit accident lui permettrait de voir les dessous de sa personnalité.

Du jus partout sur ses vêtements après un entrechoc de plateau avec le roi de Saint-Clair, Laure, trop digne, avait attendu d’être dans le couloir pour courir jusqu’aux toilettes. Ce dernier la suivit, sincèrement désolé, mais surtout curieux de connaître sa vraie réaction.

En ouvrant la porte de chez les filles, sans gêne, il découvrit une Laure à fleur de peau, crisant face au miroir de ne plus être impeccable. De manière incontrôlée, elle frottait ses vêtements avec un chiffon qui étalait des petits bouts de papier partout sur sa jupette. Énervée, elle le serra entre ses doigts avant de le jeter sur son reflet, geste qu’elle regretta amèrement en voyant Sky l’inspecter. Bouche bée d’avoir été surprise, elle le chassa immédiatement :

  • Ce sont les toilettes pour filles, dit-elle en frottant les pans de sa jupe, les yeux baissés sur le lavabo dans lequel elle aurait bien plongé jusqu’au siphon.
  • Tu pleures ? demanda-t-il sans tact.
  • Comme si j’allais pleurer pour du jus de fruit ! s’énerva-t-elle en se retournant.
  • Waw… Pourquoi est-ce que tu mens ? C’est fou.

Serrant sa jupe entre ses mains, elle tapa du pied avant de venir lui faire face, amenant son visage tout près du sien. Surpris, mais pas apeuré, il recula légèrement.

  • Qu’est-ce que ça peut te faire ?! Qu’est-ce que tu cherches à la fin ? Me voir pleurer ? Très bien, tu as découvert que je suis humaine comme les autres et alors ?! Si tu me pousses à bout, n’est-ce pas normal ?!
  • Je voulais juste que tu montres qui tu es vraiment…
  • Et pourquoi donc ? Quel est ton intérêt derrière tout ça ? Si tu voulais ma place, il fallait le dire. À quoi bon en faire toute une histoire, dit-elle en tentant de récupérer le contrôle.
  • Non, je suis bien à ma propre place. Mais ça se voit à des kilomètres que tu n’es pas celle que tu prétends. Tu joues un rôle, comme si tu étais indestructible alors que… Toi aussi, tu es fragile. Franchement, pourquoi tu te caches derrière autant de manières, c’est nul...
  • Parce que je suis Laure Ibiss !!! éclata-t-elle alors. Parce que je porte ce nom !! N’est-ce pas suffisant comme argument ?! Que veux-tu entendre d’autre ? Que j’ai peur de ne pas réussir à faire mes preuves ? Je n’ai pas le droit à l’erreur !
  • Tu ne devrais pas te cacher derrière un nom, répondit-il strictement.
  • Dis celui qui en profite pour se déclarer roi ! s’exclama-t-elle en serrant les poings.
  • Ce sont les autres qui m’appellent de cette manière, je n’en ai rien à faire, moi, de mon statut…
  • Eh bien, ce n’est pas mon cas !! Mon nom à de l’importance, je dois être a la hauteur des attentes de tout le monde… Je dois le porter correctement, l’amener tout en haut et… si je ne suis pas parfaite, comment veux-tu que je le fasse ?! Comment veux-tu que mes parents soient fiers, si je ne… Si je ne suis qu’une fille… normale ?

Un sanglot l’obligea à couvrir sa bouche, ses yeux se remplissant de larmes. Ceux de Sky s’écarquillèrent, le poussant à venir rattraper celle qui roula sur sa joue. Grimaçant et refusant qu’il la regarde, elle finit par tomber dans ses yeux qui l’admiraient.

  • Satisfait ? pouffa-t-elle amèrement.
  • Non… C’est magnifique… Continue de pleurer, murmura-t-il en écrasant la goutte entre ses doigts.

Dans tous ses états et ruinant sa lèvre inférieure, Laure attrapa le col du polo de son adversaire et le serra d’une main tandis que l’autre n’arrivait plus à contenir les minuscules diamants enfouis dans ses prunelles violacées. Fébrile et hoquetant, ses plaintes furent couvertes par le tout premier câlin qu’elle partagea avec Sky.

***

Sur le chemin vers l’internat, Loyd chercha à éviter la pluie du mieux qu’il put alors que des rires enfantins résonnaient dans ses oreilles. Au fond, son meilleur ami lui manquait.

Il passa alors par le préau avant de sortir dans la cour. Il regretta ce choix qui, encore une fois, le meurtrit. Accolés l’un à l’autre, Laure avait son bras autour de celui de Sky. C’était trop douloureux.

Avant de les rejoindre, il éteignit ses émotions. Les deux se redressèrent un peu mal à l’aise d’être coupés dans leur conversation. Sky surtout aurait voulu se retrouver ailleurs, tant à cause de leur dispute que de sa proximité avec Laure.

  • Je te cherchais justement, annonça Loyd à l’égard de cette dernière.
  • Moi ? Je… t’écoute ? fit-elle en se montrant ouverte à la discussion.

Il essayait de se détacher petit à petit, reprenant un air doux à la place du sérieux qui l’incombait, tout en supportant les battements rapides de son cœur. Laure, décontenancée, restait pourtant attentive.

  • En ce qui concerne la place de sous-délégué, j’ai fait mon choix…
  • Ton choix ? Je pensais que…
  • Ce serait toi ? la coupa-t-il.

Sky fronça les sourcils, mais disparut un peu plus dans sa capuche.

  • Je n’avais pas compris que tu… réfléchissais à quelqu’un d’autre ? Je pensais que ce serait toi et moi, même avec les rôles inversés, expliqua-t-elle tout en tombant de haut.
  • Je n’ai encore rien dit…
  • Donc tu es venu jusqu’ici pour me dire que je serais bien ta seconde ? demanda-t-elle une pointe d’ironie lui échappant.
  • Tu as raison, j’ai choisi Nice.

Ce fut comme un fouet reçu en pleine figure pour Laure. Elle ouvrit la bouche, puis hocha simplement de la tête. La sensation qui la traversa la rendit malade. Nice aussi avait les capacités de gérer cette place, mais elle ne s’était pas du tout attendue à ce revers de situation. Sky prit la relève, agacé :

  • Sérieux… Je ne comprends pas pourquoi tu as choisi Nice alors que ça a toujours été vous deux, dit-il en se levant de sa place.
  • J’ai tout simplement réfléchi à une personne avec laquelle je serai capable de bien travailler… qui prendra son rôle à cœur.

Les mots tranchants sortaient tout seuls de sa bouche.

  • Tu te fous de ma gueule ?! Depuis quand Laure ne prend pas son rôle à cœur ! C’est quoi ton problème à la fin ?
  • Je ne vois pas pourquoi tu t’énerves simplement parce que j’ai accordé une chance à Nice de…
  • Mais ferme là ! Tu veux juste faire chier ton monde ! s’écria-t-il en se rapprochant dangereusement de lui.
  • Arrête…

Rapidement, Laure le rejoignit et l’attrapa par le bras pour le retenir de faire une bêtise. Elle ne voulait pas voir ses deux meilleurs copains se bagarrer, sans se douter qu’ils l’avaient déjà fait. Sky n’en pouvait plus.

  • Tu plaisantes, j’espère ?!
  • Mais non, pourquoi est-ce que tu te mets en colère ? lui sourit-elle doucement. Cette année, c'est Loyd le président et s’il juge que Nice est la mieux placée, alors… il n’y a pas de problème. Elle n’a jamais tenu cette place, mais j’ai tout autant confiance en elle.
  • Tu vois… Pas besoin de crier… lâcha Loyd, mécontent de cette réaction.
  • Et je vais avoir plus de temps pour moi ! C’est une bonne chose, sourit-elle en s’accrochant à nouveau au bras de Sky. En tout cas, si vous avez besoin d’un coup de main pour organiser quoi que ce soit, je serai toujours partante, proposa-t-elle gentiment.
  • Je n’en doute pas… Vous rentrez à l’internat ? demanda-t-il mal à l’aise.
  • Pas tout de suite, répondit Sky directement qui se maintenait en défensive.
  • Dans ce cas…

Un signe de main plus tard, Loyd disparut à contre-cœur pour les laisser tous les deux. Un silence pesant régnait, ne laissant que le bruit des grosses gouttes taper contre le tarmac de la cour. Parce qu’elle avait décidé de faire semblant de rien, Sky avait respecté son choix devant Loyd, mais une fois seuls, il n’arrivait plus à se contenir :

  • Laure…
  • On y va aussi ? Il est temps de rentrer, déclara-t-elle pour ne pas lui laisser le temps de parler.

En traversant le rideau de pluie, elle s’arrêta, sentant une main lui arracher la sienne. Sans dire un mot, Sky vint la chercher par l’arrière pour l’entourer et enfoui son visage sur son épaule. Dans ses bras, ses jambes flageolèrent. Elle laissa tomber les siens le long de son corps et plissa les yeux dont le maquillage waterproof restait intact. À l’inverse, ses lèvres tremblantes se déformaient à mesure que ses émotions prenaient le dessus.

En s’accrochant aux bras qui l’empêchaient de s’enfuir, Laure leva ses yeux mouillés sur le ciel noir. Elle se détestait. La douleur qui tordait son ventre, la jalousie et l’envie, la poussait à se plier en deux. Toujours accroché, Sky colla sa joue à la sienne, cherchant à la réconforter. Elle se haïssait que les seules gouttes qui s’accumulaient sur son visage proviennent du mauvais temps. Rien ne sortait, ni de ses yeux, ni de sa gorge. Il n’y avait que cette horrible angoisse qui la déchirait de l’intérieur.

Sous la pluie qui dégoulinait le long de leurs corps, qui trempait leurs cheveux et leurs mains s’enlaçant dans lesquelles elle enfonçait ses ongles, Laure perdait de son souffle. Elle avait l’impression qu’on lui arrachait une partie de son cœur, emportant tout son dur labeur et sa capacité à verser des larmes au passage.

L’envie de hurler la foudroyait sur place, la paralysait. Elle avait horreur des sentiments qui la traversaient, de ce lot de colère qui grimpait jusque dans son esprit et lui insufflait des idées de vengeance. Elle ne voulait pas succomber à ce mal, à ces instincts premiers qui la pousseraient à agir de manière immature, tout comme sa mère...

La pie dépouillée, vulnérable, dont Loyd avait coupé les ailes, ne voulait pas le haïr, parce qu’elle s’accrochait à tous les bons souvenirs qui lui rappelaient qu’elle s’interdisait fermement de l’aimer.

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