Chapitre 18 : La taupe.

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Dans l’univers du mannequinat, Ulys Dartan ne s’était pas attendu à devenir connu aussi rapidement. Une fois lancée, sa carrière avait décollé au point de devenir égérie pour Marry Stein et de poser avec son fils, une expérience qu’il avait trouvée pour le moins intéressante.

Après tant d’années à vivre dans la misère, durant toute son enfance et le début de son adolescence, le garçon de dix-sept ans avait encore parfois du mal à garder les pieds sur terre. La qualité de son quotidien s’était radicalement améliorée, la vie devenant une surprise tous les jours.

En effet, il y a encore quelques mois, il n’aurait jamais imaginé côtoyer les Richess, l’élite du pays, à Saint-Clair, et encore moins de boire un café en tête-à-tête avec Lysen Makes un mercredi après-midi.

La dernière de la famille rajoutait une dosette de sucre en plus dans le liquide chaud, avant de faire de même avec le lait, puis de lécher son doigt malencontreusement touché par une goutte de café. Un peu confus, il l’analysa, de ses joues blushées au béret trônant au-dessus de sa chevelure soyeuse jusqu’à ses bas transparents à petit pois. Pour une jeune fille de treize ans, elle était extrêmement maniérée, mais pas que. Il y avait quelque chose de magnétique chez cette petite, charismatique et hypnotisante.

Bien qu’Ulys ait pris la peine de bien s’habiller, leur style s’opposait. Il joua avec l’une de ses boucles d’oreilles avant de prendre les devants du rendez-vous :

  • Est-ce qu’un dessert te fait envie ? Je régale, ajouta-t-il en tapotant son doigt sur la carte.
  • Oh, c'est adorable, répondit-elle de sa voix mielleuse.

Après sa commande, il devint un peu nerveux qu’elle se complaise dans un silence, coupant sa tartelette meringuée au citron avec sa cuillère. Elle battit des cils en prenant la bouchée et sourit pour le mettre encore plus mal à l’aise. Le blond comprenait qu’il s’agissait d’un jeu. Lui aussi, délicat, déposa ses coudes sur la table et mit son menton sur la jointure de ses bagues. Lysen l’admira, il était trop cool. Un rien le rendait séduisant.

  • Puis-je connaître la raison de notre rencontre ? J’ai été surpris que Leroy m’adresse une telle requête.
  • Hum, fit-elle en avalant ce qu’elle avait en bouche, je suis simplement fan. Dès le début de ta carrière de chanteur et maintenant de mannequin, je t’ai suivi. Pourras-tu me signer un autographe ? demanda-t-elle très poliment.
  • Laisse-moi en douter, j’ai la sensation qu’il y a plus que ça.

Ulys était très instinctif, comme la plupart des personnes qui avaient fait un tour par le Lycée Gordon. L’obligation de survivre développait ce sens. Lysen gloussait.

  • C’est vrai. J’ai envie de me faire ma place à Saint-Clair et de tout simplement montrer que je peux facilement être en compagnie de personnes reconnues. C’est important pour moi d’entretenir ma réputation, voilà tout.

Le côté adulte qui se dégageait de son visage d’ange lui fit presque peur. Elle avait tout de même des expressions de gamine, encore très immature. Comme convenu, ils firent plusieurs photos et elle obtint très facilement sa signature. Le goûter s’éternisa, ils commencèrent à parler de tout, mais surtout d’elle. Du moins, elle savait se vendre. Après avoir regardé à ses réseaux pour poster l’une des photos, Lysen déposa son téléphone sur la table. Ses yeux perfides jugèrent la serveuse qui faisait des allers-retours pour lorgner sur le beau blond. Ce dernier lâcha un léger rire.

  • Qu’y a-t-il ?
  • Je trouve que tu as une mauvaise personnalité, fit-il d’un air très masculin.
  • Oh, je vois. C’est marrant… Leroy m’a dit exactement la même chose lorsque je lui ai demandé pour le rendez-vous.
  • N’est-ce pas plutôt que tu lui as fait du chantage ? Tu n’avais pas forcément besoin d’aller jusque-là pour obtenir un rendez-vous avec moi.
  • Il n’avait pourtant pas l’air de vouloir… réfléchit-elle à haute voix.
  • Est-ce que tu t’entends bien avec lui ? Tu sais, il est comme un petit frère pour moi, c’est important qu’il s’intègre, mais… Leroy… n’a pas vraiment le courage, ni l’envie de faire les efforts pour aller vers les autres.

Les yeux de Lysen se mirent à étinceler.

  • J’ai remarqué, dit-elle en remettant sa fourchette droite. C’est toujours moi qui vais vers lui, mais il n’est pas méchant. Je crois qu’on s’entend bien… Après tout, il m’a quand même un peu parlé de son passé et…
  • Ah oui ? réagit rapidement Ulys, très surpris. De son passé ? Tu veux dire… ? De ce qu’il a vécu quand… ?
  • Oh non, pas à ce point-là, mais…

Elle prit un air très triste et chipota à ses ongles vernis.

  • J’ai vu ses cicatrices, donc je crois que ça n’a pas été facile pour lui…
  • C’est le cas. Je ne… me permettrai pas de parler de son passé sans son accord, mais il est de loin celui qui a le plus souffert d’entre nous tous. Ah, je veux dire… de tous nos amis.
  • C'est vrai qu'il m’a dit que vous formiez une belle bande d'amis. La chance… Je n'ai jamais vraiment été avec plus d'une ou deux copines, continua-t-elle de faire la moue, battant de ses longs cils.
  • Nous, nous étions… - il s'arrêta pour compter - dix en tout, mais chacun avait ses affinités. Je suis d'ailleurs surpris que Leroy se soit autant ouvert à toi…
  • C'est étonnant ? Il m'a même parlé du diable blanc, lâcha-t-elle fièrement.

Portant la paille de son verre fraîchement commandé à sa bouche, Ulys se figea un instant. Il prit du recul en s’enfonçant dans sa chaise, tandis que la jeune Makes scrutait sa réaction. Voilà d’où venait son malaise. Elle n’était pas là pour rien. Il reprit son calme, même s’il était clair qu’elle avait perçu son hésitation. Dans ces cas-là, il valait mieux jouer cartes sur table.

  • Qu’est-ce que tu sais du diable blanc ? entra-t-il dans le vif.
  • En fait, j’étais un peu curieuse d’en savoir plus sur Leroy, et de fil en aiguille, nous avons parlé de votre bande au lycée, lui sourit-elle niaisement. Il m’a raconté des anecdotes vraiment marrantes !

Ça ne correspondait pas du tout à sa personnalité bien qu’ils aient effectivement eu des moments heureux.

  • Et puis, c’est surtout quand je l’ai vu danser la première fois… Je lui ai dit qu’il ressemblait à un chat et là, il m’a raconté que vous aviez des surnoms entre vous pour vous comprendre avec votre chef.
  • Alors, il t'a dit qu’il était le chat ?
  • Oui ! J’ai trouvé ça vraiment rigolo et d’ailleurs, il s’est moqué de moi en disant que si je devais faire partie du groupe, il m’aurait appelé la belette ! s’exclama-t-elle en rigolant franchement. Toi, dis-moi, quel était ton nom de code ? Ah non, je sais ! Tu as une tête d’Albatros, le pointa-t-elle du doigt.
  • Raté, fit-il en envoyant son pouce vers le bas.
  • Je suis curieuse de savoir, déclara-t-elle en déposant son visage dans sa paume.
  • Je n'ai pas eu de surnom comme les autres, car je suis arrivé plus tard et je suis parti aussi rapidement.
  • Ce n'est pas censé être comme un rite de passage ?
  • Ahahahah, non loin de là ! Ce sont des délires de gamins ! éclata-t-il de rire.
  • Vraiment ? Il m'a dit que vous vous étiez battus avec d'autres personnes…
  • Je dois bien avouer, mais franchement… ça ressemblait plutôt à des bagarres dans les films de superhéros pour enfants. Non, avoir un groupe de potes comme celui-là, c'était vraiment sympa, je te l’accorde. Après si je ne me trompe pas, tu as étudié en Angleterre ? Tu n'en gardes pas de bonnes connaissances ?

Il dévia la discussion, comprenant qu'elle avait déjà obtenu les réponses à plusieurs de ses questions, notamment à propos de leur identité, ainsi que sur leur nombre. Quand Lysen reprit son téléphone en main pour le ranger dans sa sacoche, les doutes d'Ulys se concrétisèrent. Il venait de se faire rouler en beauté. Une belette, vraiment ? Cette jolie demoiselle s'apparentait plutôt à une taupe.

***

En revenant de son rendez-vous, Lysen marchait d'un pas décidé vers l'internat. Jetant ses cheveux derrière son épaule en passant devant quelques élèves, elle rêvait de rentrer dans sa chambre pour prendre une douche. Rester autant de temps à l'extérieur l'avait exténuée et elle se sentait salie.

Malheureusement, le moment tant attendu devrait attendre : Kyle l’attendait de pied ferme devant sa porte. Il décolla son dos du mur en poussant sur son pied et leva un sourcil en guise d’accueil.

  • Alors princesse ? Tu as ce qu’il me faut ? lâcha-t-il de sa voix perçante en tendant sa paume vers Lysen.

Agacée d’être coupée dans son élan, elle fronça les sourcils, puis le regarda avec médisance et sortit son téléphone de son sac à main décoré de perles.

  • Quelle impatience ... fit-elle en tapant le code sur les touches. Je dois t’envoyer l’enregistrement ? Via Bluetooth ?
  • Permets-moi de le faire, devint-il insistant en lui lançant un regard fourbe, puis en accaparant l’appareil entre ses sales mains. Tu ne me fais pas un debrief ? ricana-t-il ensuite.
  • Je ne suis pas certaine d’avoir tout compris, à part qu’il connaissait le diable blanc ou je sais pas trop quoi, expliqua-t-elle en chassant l’idée d’un geste. Il savait pour le surnom de Leroy aussi, et il avait l’air de faire partie du groupe.
  • Bravo, j'imagine que j'aurai quelques confirmations. L’enregistrement s’envoie sur mon téléphone. Tu n’as pas eu peur de te faire surprendre ? C’est excitant de jouer aux espionnes, non ? la taquina-t-il en venant appuyer sur son petit nez tandis que le fichier se transférait.
  • Je m’en fiche, je ne suis pas une gamine ! Je veux juste rentrer me doucher et dormir, le restant et ces histoires d'animaux je n'en ai rien à faire !
  • Alors même que tu as immédiatement accepté mon marché, continua-t-il de l'embêter.

L'air fier des Makes se dessinant dans ses jeunes traits, Lysen croisa les bras et regarda ailleurs.

  • J'ai compris qu'un service gratuit de ta part valait plus que des milliers d'euros dans cette école… Je préfère assurer mes arrières.
  • Huuuum que d'honneur ! jubila-t-il en se mordant les lèvres.

Une petite sonnerie retentit, indiquant que l'envoi avait été effectué avec succès. Sans se gêner, Kyle effaça l'enregistrement d'origine et lui rendit son bien, amplement satisfait.

  • Je te remercie, mais rappelle-toi de nos conditions…

Le fourbe journaliste avait réussi à combiner deux de ses soucis principaux en amenant Lysen à faire le sale boulot à sa place. En échange, elle obtenait une faveur valable tant qu’elle fermerait sa jolie petite bouche à propos des Richess. Il gagnait du temps et des informations sur le gang du diable blanc, tout en respectant le souhait de ses meilleurs portefeuilles quant au fait de trouver un moyen de la faire taire.

  • Et si ça ne venait pas de moi ? demanda-t-elle tout en dissimulant son inquiétude.
  • Je le saurai, pouffa-t-il entre ses doigts. N'en parle pas non plus à ton frère ou à qui que ce soit, c'est notre petit secret, d'accord ?
  • Comme si j'avais besoin qu'on vienne me faire la morale, rétorqua-t-elle en jouant avec le joli collier autour de son cou. Maintenant si tu veux bien te pousser, tu es sur mon chemin, déclara-t-elle d'un ton hautain en sortant les clés de sa chambre.
  • Quelle petite peste… Ciao mini Makes !

Triplement énervée qu'on lui ai dit trois fois en quelques jours d'affilée qu'elle avait mauvaise personnalité, Lysen lança son sac sur son lit et s'y jeta à la volée. Elle ne se jugeait en rien vilaine ou diabolique, elle était simplement assez intelligente pour négocier son ticket de survie à Saint-Clair.

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