La famille Delaigue

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Je suis en train d'examiner les livres qui se trouvent sur les étagères de mon salon, lorsqu'on toque à la porte. Je dis à voix haute :

- Entrez !

Madame Delaigue pénètre alors dans la pièce. Elle me fait la révérence, avant de me dire :

- Sa Majesté le roi vous attend dans la salle à manger pour que vous preniez le souper ensemble.

- Conduisez-moi jusqu'à lui.

C'est en effet ma première journée dans ce château alors je n'en connais pas encore toutes les pièces. Je suis donc Madame Delaigue dans les couloirs du château jusqu'à une grande salle où trône une longue table recouverte d'une nappe blanche et entourée de chaises. Des chandeliers en argent se tiennent entre les différents plats. Je prends place en face du roi de l'eau, déjà installé sur sa chaise. Hormis quelques domestiques qui s'occupent du service, la pièce est vide. Mon époux m'adresse la parole avec le sourire :

- Bonsoir, Madame.

- Bonsoir.

- Avez-vous passé une bonne journée ?

- Elle aurait été meilleure si j'avais été réveillée plus tôt et si Madame Delaigue ne m'avait pas mise hors de moi avec son attitude insolente.

- Elle m'a en effet déjà parlé de l'incident qui s'est produit dans les jardins. Cependant, je ne vois pas en quoi son attitude a été insolente. Elle ne vous a pas le moins du monde manqué de respect si j'en crois ses dires . . .

- Je lui ai dit que je ne voulais pas de son ombrelle et elle a insisté pour que je m'en serve. Je considère une telle insistance volontaire comme un grand manque de respect. Quand je dis non, c'est non !

- Elle ne fait que veiller sur vous. Ses intentions ne sont pas mauvaises.

- Je n'ai pas besoin qu'on veille sur moi !

- Oh, croyez bien que si ! Vous êtes d'une importance capitale ! Si jamais il vous arrivait quoi que ce soit, ce serait une catastrophe ! Madame Delaigue a bien conscience de cela. Voilà pourquoi elle est si stricte.

- Je ne vois pas en quoi ne pas me servir d'une ombrelle met ma personne en danger !

- Elle tient tout simplement à ce que vous respectez les usages de notre pays, mais c'est aussi pour votre bien qu'elle le fait. Nos deux patries étaient ennemies il y a encore peu. La rancoeur et l'adversité ne peuvent disparaitre en si peu de temps et si mes sujets remarquent que leur nouvelle reine se contrefiche des usages de notre pays et se montre hostile à leur égard, que penseront-ils ? Vous risquez d'alimenter contre vous une haine et un mépris dangereux et inutiles et je ne veux surtout pas que cela arrive. Voilà pourquoi je vous demande de suivre les conseils de Madame Delaigue et de vous montrer plus patiente envers elle. Je sais que ce n'est pas facile pour vous d'abandonner votre pays natal et ses coutumes, mais pour votre bien et celui de notre monde, vous devez faire un effort. S'il vous plait, Oriane.

- Combien de fois devrais-je vous dire de ne pas m'appeler de façon aussi familière ?

- Excusez-moi, répond-il calmement.

C'est sur ces mots que nous entammons le repas, majoritairement constitué de poisson et de fruits de mer. Je n'ai pas vraiment l'habitude de ces mets non plus. Chez moi, nous mangeons plutôt de la viande, cuisinée avec des épices, et des fruits.

Nous n'échangeons pas un mot durant tout le reste du souper, si bien qu'il s'achève en une demi-heure. Je demande alors à Kaï :

- Puis-je me retirer ?

- Bien sûr. De toute façon, je dois y aller, moi aussi. Peut-être nous retrouverons-nous dans les salons publics pour disputer une partie de cartes . . .

- Non, merci. Je préfère retourner dans mes appartements pour m'y reposer.

- Entendu. Je vous souhaite une excellente nuit dans ce cas.

- Merci, à vous aussi, répondé-je par politesse.

Je quitte la salle à manger et retourne directement dans mes appartements, où m'attend Madame Delaigue. Cette dernière me demande :

- Vous ne vous rendez pas dans les salons publics pour y passer la soirée ?

- Non, je préfère la passer dans mes appartements. D'ailleurs, je ne vais pas tarder à me coucher, mais avant, j'aimerai vous dire une chose . . .

- Je vous écoute, Votre Majesté.

- Vous m'aviez dit tout à l'heure que je peux choisir moi-même mes dames et demoiselles de compagnie.

- En effet.

- Et bien, je souhaite que Mademoiselle Delaigue en fasse partie.

- Ondine ?

- Oui, votre fille. Je souhaite qu'elle devienne ma demoiselle de compagnie. Elle jouera pour moi de la harpe lorsque je le lui demanderai.

- Entendu, Votre Majesté.

- Allez la chercher. Je veux lui parler sur le champ.

- Bien, Votre Majesté.

Elle quitte mes appartements après m'avoir fait la révérence et revient quelques minutes plus tard avec sa fille Ondine Delaigue. Cette dernière s'incline respectueusement devant moi, en silence.

- Redressez-vous, Mademoiselle Delaigue, lui ordonné-je.

Elle s'exécute. Je poursuis :

- J'ai assisté à votre représentation de tout à l'heure. Votre musique est très apaisante et agréable à écouter. C'est pourquoi je vous nomme désormais ma demoiselle de compagnie.

- Oh, merci beaucoup, Votre Majesté ! C'est pour moi un grand honneur !

- Je veux que l'on fasse installer une harpe dans mon salon, afin que Mademoiselle Delaigue puisse jouer pour moi quand je le souhaite, ajouté-je à l'intention de sa mère.

- Tout sera fait selon vos désirs, Votre Majesté.

- Faites-la apporter sur le champ !

- Bien, Votre Majesté, dit-elle en me faisant la révérence pour pouvoir quitter la pièce.

Je me retrouve alors seule avec Ondine Delaigue et lui dis :

- Asseyez-vous, Mademoiselle Delaigue.

Elle prend place sur le canapé que je viens de lui désigner et je m'assieds sur le fauteuil d'en face. Je lui demande ensuite :

- Parlez-moi de votre relation avec votre mère. Est-elle bonne ?

- Oui, Votre Majesté. Ma mère est une femme stricte et sévère, mais c'est une personne droite et juste. J'ai pour elle le plus grand respect.

- En fait, ce qui m'étonne est votre différence de caractère. Vous êtes douce et souriante, tandis qu'elle est froide et sévère. Est-ce elle qui vous a éduquée ?

- Oui, Votre Majesté. Tout ce que je sais, je l'ai appris de ma mère. Il est vrai que nos personnalités sont différentes, mais ça n'a pas toujours été le cas.

- Que voulez-vous dire ?

- Je me souviens très bien que ma mère était une femme souriante et chaleureuse, autrefois. Ce n'est qu'après le décès de mon père, parti à la guerre, qu'elle a changé. Elle est toujours aussi bonne et juste qu'elle l'était, mais son visage souriant et chaleureux a été remplacé par ce masque de sévérité et de froideur.

- Et vous ? La mort de votre père ne vous a pas affectée ?

- Si, bien sûr ! J'ai pleuré à chaudes larmes les premiers jours, mais en voyant l'état dans lequel s'est plongée ma mère, je me suis dit qu'elle avait besoin de moi. Puisqu'elle ne peut plus sourire, c'est moi qui sourirai pour elle.

- C'est une bien généreuse pensée de votre part.

- Merci, Votre Majesté.

Je ferme les yeux. Cette famille a souffert des conséquences de la guerre, comme beaucoup de monde. Je comprends mieux l'attitude de Madame Delaigue, à présent, mais elle a tout de même intérêt à ne pas trop m'énerver. Je pousse un soupir et dis à Mademoiselle Delaigue :

- Vous pouvez vous retirer. Je ne vais pas tarder à me coucher.

- Bien, Votre Majesté, dit-elle en se levant.

Elle me fait la révérence et quitte la pièce, me laissant seule.

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