ils
J’étais si en colère, un magma brûlant au fond de mes artères. Je me sentais noyée dans ce torrent de rouge vif, de noir cendre, de gris ciel. Je voulais hurler, crier à la face du monde qu’ils devraient aller se faire foutre, incordialement. Je ne voyais plus que la place qu’ils prenaient, leurs rires gras, leurs pieds insolents qui foulent plus de la moitié du trottoir et leurs jambes si viles qui occupent plus qu’elles ne leur devraient être permises. Ils ont des yeux qui font semblant de voir, des paroles qui portent les mauvais combats, toute une haine et un irrespect incrustés dans leur ADN. Ils pensent avoir le droit d’exister plus entièrement, avoir le droit à leur corps, au respect, à leurs droits, à ce qu’on les écoute, qu’on les voit, qu’on les prenne en compte. Ils ne connaissent rien de ce qu’ils se passent de l’autre côté. Ils ont l’oubli facile, le mépris inscrit, ils pensent savoir, sans connaître, ils pensent conseiller, sans demander, ils pensent détenir la vérité, dans leurs mains trop condescendantes pour ne contenir que leur pouvoir erroné d’équité.
Il m’arrive souvent d’avoir la haine qui bouillonne. Sans spécialement vivre un moment qui réveille le volcan, sans avoir une expérience particulière d’un sujet qui m’enflamme mais contrairement à eux, mes yeux écoutent, mes oreilles voient, je sais et je prends conscience, je respecte et je crois, je soutiens et j’admets. Le vécu de ces autres amènent ma fureur à grandir car la femme est considérée comme l’autrui, l’atypique, la seconde partie de la population, le sexe faible, le deuxième sexe, l’après-homme, l’homme en plus petit, l’homme en moins bien, l’homme en plus faible, l’homme avec des organes génitaux différents, celle qui enfante et reproduit, la sous-catégorie, la soumise, l’hystérique, la pute, la mère, l’épouse, la menteuse, la pick me, la féminazi, la tana, la chienne, la conne, celle sans combats, celle sans cervelle, sans Pensée, sans Désir, sans Idée, celle qui ne vaut rien, celle sans Histoire, sans Passé, celle sans Droit, sans Respect et sans Rédemption, celle sans Pardon, celle violentée, violée, abusée, frappée, rejetée, tuée, oubliée, effacée, excisée, torturée, blâmée, celle qui cause les drames, celle qui ment, celle qui cherche l’attention, celle qui sait que, celle qui veut que, celle responsable de, celle qui aurait dû s’attendre à, celle pas assez belle, celle pas assez bien, celle pas assez docile, celle qui dit non, celle qui dit rien, celle qui perpétue, celle qui brise, celle qui crie, celle qui tait, celle qui assume, celle qui subit, celle qui craint, celle qui bat, celle qui pleure, celle qui rage, celle victime, celle survivante, celle morte, celle brisée, celle qui parle, celle qui efface, celle qu’on condamne, celle qu’on accuse, toutes celles qu’on a rangé dans une boîte en souhaitant aspirer leur vitalité, en brisant leurs voix, en brisant leur sexe, en brisant leur corps, en brisant leur âme. La femme, c’est ce qu’ils mettent de côté, le cadeau qu’ils n’ont pas aimé l’an dernier, c’est celle qu’ils souhaitent oublier, la bougie aromatisée à l’odeur détestée, c’est tout ce qu’ils ne veulent pas regarder car ce serait admettre. Admettre que la femme est l’être haïe pour son existence depuis ce que les hommes (petits h car ils seront toujours petits) (blancs, occidentaux, coloniaux) appellent le début de la civilisation, depuis qu’ils se disent une société, depuis qu’ils pensent être mieux que tous ces peuples qu’ils ont pillés, volés, abusés, utilisés, en pensant valoir plus, en pensant faire autrement, en pensant traiter mieux. Admettre que la femme est l’être haïe dans chaque pays, sur chaque terre, où règne les hommes en maîtres. La seule Histoire de l’humanité gorgée de haine depuis une éternité, c’est celle de la femme, l’être sans passé, sans être vue, l’être détestée pour qui elle est.
Je voudrais qu’ils sachent. Les mains invoulues, les paroles déplacées, les actes violents, la peur, le sang, les normes, le jugement, le silence, la non-prise au sérieux, la douleur, la mort, la solitude, le monde formé par et pour les hommes, les standards crées sur le modèle masculin, les revendications féministes vues comme exagérées, ce que ça fait d’être dans une société qui s’appuie sur le modèle archaïque du patriarcat et de penser qu’elles et iels en font toujours trop. Ils pensent mais ne savent pas, ils pensent mais ne le devraient pas, ils disent que la misandrie est le revers de la misogynie. Ils oublient leur bite qu’ils dressent comme des armes, ils oublient leurs bras qu’ils lèvent sur leur femme, ils oublient leur voix qu’ils élèvent au-dessus des autres, ils oublient leurs corps prenant trop, de place, dans les transports dans la rue dans la cour de récré dans la politique dans les amphis sur les bancs des écoles scientifiques dans les maisons dans les rues, ils oublient la lourdeur de leur drague, ils oublient la peur au ventre, la peur au corps, ils oublient de s’excuser pour leur dégeulassitude, ils oublient leur rejet et leur fureur envers les femmes, incrustés dans leurs veines, ils oublient ce qu’ils commettent les viols les féminicides les mains au cul les mains au cœur les mains à l’âme les paroles les mots les photos les gestes la violence psychologique physique sexuelle conjugale sexiste misogyne, ils oublient le pouvoir qu’ils détiennent dans leurs mains, ils oublient qu’ils font tout, qu’ils sont tout, qu’ils ne laissent rien car « ça a toujours été comme ça », parce que l’homme est égal au pouvoir, à la force, à la domination et que les femmes sont consignées dans leur petite cuisine bien rangée avec leur bébé bien gentil qui s’il fait du bruit sera la cause d’une mère négligente, d’une mère ratée et une mère ratée est une femme loupée, car tu dois être mère, ma fille, tu dois être mince, ma fille, pardon maigre, ton corps de rêve est plongé dans les TCA mais « c’est normal il faut souffrir pour être belle », tu dois te taire, ma fille, sur ton papa qui te touche la nuit, sur l’inconnu qui t’attouche le jour, sur le pute que tu as reçu à 12 ans quand tu as porté ta jupe, sur les bites que tu reçois sur les réseaux sociaux, sur le harcèlement sur tes poils ton corps ta taille ton ventre tes seins tes fesses tes yeux tes cheveux ton nez ta bouche tes cuisses tes bras, sur ton hétérosexualité, sur ta féminité pas assez voyantes, sur les douleurs de tes menstruations règles ragnagnas problèmes de filles choses honteuses tâches sur le pantalon silence honte dégoût jugement taxe rose produits toxiques liquide bleue je fais du patin à glace de la gym du sport sous mes cl de sang solitude endométriose adénomyose maladies inimportantes taire taire taire saleté impureté sang sang sang sexe condamné à saigner à crier à souffrir, sur les regards lancinants des vieux dans les transports, sur la peur que tu ressens quand tu rentres la nuit, sur les réflexions sur tes tenues et leur interprétation par ces vieux porcs, sur le spéculum qu’on t’enfonce sans te prévenir, sur les biopsies du col de l’utérus sans anesthésie pendant que ces petits messieurs peuvent tranquillement s’endormir pour qu’on leur examine le côlon, pour tes cris de douleur chez le gynéco, pour tes cris de douleur aux urgences, pour tes cris en silence face aux médecins qui te répéteront en boucle « le stress, le stress, le stress », sur ta dépression post-partum « tu ne dois pas être une mère ratée, n’oublie pas », sur la charge mentale, sur comment l’entreprise te traite quand tu es enceinte quand tu es maman quand tu es lesbienne quand tu es trans quand tu es noire quand tu es handicapée quand tu es grosse quand tu es voilée quand tu es immigrée quand tu te plains quand tu dénonces quand tu demandes quand tu réclames quand tu supplies, sur le harcèlement sexuel que tu vis « écoute, fallait pas mettre de décolleté », sur tes chances de mourir plus importantes dans un accident de voiture dans un hôpital dans ton couple dans ta maison pendant ton jogging par ta médication par ton médecin par l’enseignement et la prévention par la société qui se fiche de ne pas t’ériger en modèle de ne te pas te prendre en considération de penser que tu es et vaux moins, sur les coups de ton mari « tu n’avais qu’à partir », sur ton autisme, ton TDA/H, ta neuroatypie « désolés, on n’avait pas vu », sur ton obligation de devoir rester calme pour ne pas passer pour toutes ces hystériques, sur le manque de représentations féminines dans la politique dans le cinéma dans les arts dans les professions dans l’Histoire, sur l’absence de données sur les femmes, sur la discrimination, le rejet, l’oubli et le mépris constants, sur ces femmes tellement absorbées par le patriarcat qu’elles y ont succombé, sur ta fille qui devra aimer le rose, les paillettes, les Barbie et les licornes « c’est normal, c’est l’ordre des choses », sur ton fils l’agresseur, sur la dissociation entre l’homme et l’artiste, sur le règlement intérieur de ton collège et du fait que tes épaules les dérangent, sur ton voile, sur ton afro, sur ta couleur de peau, qui te relèguent au rang de non-femme, sur l’intersection des violences que tu subis et des discriminations que tu endures, sur l’excision, sur la torture exercée infligée jetée inhumaine, sur les mariages forcés arrangés, les petites filles abandonnées à l’insécurité, à l’obscurité terrifiante de la désinnocence, sur ta transidentité qui te marginalise, te renvoie au bas de l’échelle, au rejet de la société, sur tes seins trop petits, sur ton maquillage trop chargé mais ton naturel non approuvé, sur tes vêtements scrutés, détaillés, minutieusement retirés afin de te condamner, sur ton corps qu’ils s’approprieront toujours, qu’ils détruiront toujours, qu’ils abuseront toujours, qu’ils condamneront toujours à toute cette douleur transgénérationnelle, dépassant les siècles, les époques, les langues et les cultures, le seul langage universel : la haine des femmes, sur la sexualisation constante de ton identité, de ta façon d’évoluer, de ce que tu es, de ta matérialité, sur ton copain qui t’abuse parce que « le sexe, c’est la norme dans le couple », sur l’industrie pornographique qui a rendu le sexe violent, barbare, brutal et qui perpétue la condamnation des femmes au viol, à la violence, à l’irrespect, à la soumission, à être de jolies gentilles poupées bonnes bien prudes mais quand même putes sur les bords, « faut quand même qu’elles soient assez cochonnes pour pratiquer la sodomie, faudrait pas qu’elles freinent mes pulsions, un homme ça a des besoins, faut qu’elles soient dociles, qu’elles se taisent, qu’elles m’écoutent et qu’elles m’obéissent, je veux qu’elles fassent tout et que je fasse rien, je veux leur care, leur socialisation genrée pour assouvir tous mes besoins, je veux profiter d’elles, car c’est comme ça que nous sommes faits, nous, les hommes ». Eux, les hommes, et leur bravoure de cow-boy calcinée, aussi ridicules que ton daron qui te dit « je vais le tuer pour ce qu’il t’a fait ». Les plus faibles, ce sont eux, leurs muscles dopés à la salle de sport, qu’ils pensent enfoncer dans l’égo des femmes, sans penser que leurs cellules cérébrales ne suivent pas le rythme. Eux, les hommes et le dégoût qu’ils m’inspirent, ils me font pitié, leur tête de porc assoiffée de domination, leur corps de loup enragé de destruction, leur animosité sans aucun répit, sans aucun sursis, à jamais agresseurs de toutes leurs victimes, femmes et enfants, minorités et déshérités, du droit à exister, à vivre. Eux, les hommes, qui ont tout pris, tout détruit, tout bouffé jusqu’à régurgiter l’infâmie de leurs intestins pourris au sang noir de leur cœur. Eux, les hommes, qui leur prennent leurs voix, qui leur volent leurs vies, qui crachent sur leurs rêves, qui arrachent leurs bonheurs, qui les condamnent à l’éternelle douleur de leurs viscères qu’ils brûlent à vif à la face du monde, du monde en M, du monde en H, ils les noient au fin fond de l’eau la plus glaciale qui gèlent leurs os, pétrifient leurs cris et sidèrent leur corps. Elles avaient tout, elles étaient tout mais ils ont tout pris, au nom de l’Hommanité, tueuse en série d’une peuple sorore, grandiose et fabuleuse.
Parfois, j’ai la rage. Pour ce qu’ils m’ont fait. Pour ce qu’ils leur ont fait. A ces filles, à ces femmes, à ces personnes vues comme filles, vues comme femmes. Pour ces désolés qu’elles et iels ne recevront jamais. Pour celleux qui leur ont fait croire qu’elles étaient le problème. Pour la malédiction de naître avec des chromosomes XX dans un monde où le slogan « XY » est marqué à l’encre indélébile. Pour toutes ces mains, ces voix, ces cœurs, et ces sourires qui ne répareront jamais les maux et les abjections qu’ils leur ont causés.
La seule façon de déconstruire un homme, c’est de le démembrer.
Il est temps.
De les mettre.
En morceaux.

Annotations
Versions