Les hirondelles tombent quand même.
Nous étions un samedi après-midi orageux, dans mon deux pièces meublé je regardais par la fenêtre les arbres se tordre au gré du vent, je buvais un whisky-soda, j’étais seul et j’étais bien comme cela. J’observais une nuée d’hirondelles voler bas, attendant septembre pour partir loin… Très loin. Attendant le froid et la pluie pour s’enfuir. J’aurais aimé les accompagner, voler avec elles. Mais sans ailes, je m’écraserais et n’irais vraiment pas bien loin. Lorsque je commençais enfin à m’imaginer dans les cieux, j’entendis un grand DRIIIIIIIIING !!!! Je sursautai. Quelqu’un sonnait à la porte. Je finis mon verre d’une traite et allai ouvrir. C’était Joseph qui m’attendait derrière la porte, il avait un grand sourire et un pack de bière dans les mains.
– Salut Léo ! Ça biche ?! introduisit-t-il.
– Que me vaut l’honneur ? demandai-je un peu barbouillé.
J’avais l’impression de voir mon reflet inverse : il souriait à pleines dents, il était habillé tout en blanc et il semblait heureux.
– Je suis venu voir mon cher collègue, et surtout mon cher ami ! engagea-t-il, il paraît que tu aimes picoler, alors je ne suis pas venu les mains vides.
C’était en effet un camarade de travail, de là à parler d’amitié par contre… Disons que Joseph était à mi-chemin entre casse-couilles et génial. Mais mon besoin de faire entrer ce pack de bières prit le pas sur ma volonté d’être seul, alors je l’invitai à s’asseoir sur mon canapé.
– Aaaah on est mieux ici, soupira-t-il en décapsulant deux binouzes.
– Tu veux une bricole à grignoter ? Je n’ai pas grand-chose, désolé, à part du sauciflard premier prix et un demi-camembert qui commence à moisir.
– Ça à l’air tentant, ironisa-t-il.
Je haussai les épaules et allai m’asseoir à ses côtés, je pris la bière qu’il me tendait.
– Alors quoi de neuf ? me renseignai-je.
– Oh il s’en est passé des choses en deux semaines mon pote ! commença-t-il.
J’avais réussi à me dégoter un arrêt maladie depuis un certain temps, prétextant un problème au bras droit je m’étais absenté de ce boulot de merde que même un type gauche pouvait faire.
– On a eu un séminaire cette semaine, continua-t-il, c’était la fête du slip. Ça s’est chopé de partout, on a bu comme des éviers, et on n’a pas été productifs pour un sou.
– Jusque là c’est un séminaire normal, balançai-je en haussant les épaules et en siphonnant ma bière.
– Ouais, mais là on a fait fort ! Enfin je dis “on”, mais moi j’étais noir jusqu’aux os alors j’ai tout oublié, mais c’est Sandrine qui m’a tout raconté le lendemain, souffla-t-il.
Je terminai ma bière et en décapsulai une autre. L’orage avait fini par tomber et il pleuvait des cordes. Le temps parfait pour se pendre. Joseph et moi regardions par la fenêtre.
– Fichtre, ça tombe bien ! clama mon collègue.
– Tu me parlais du séminaire.
– Ah oui ! se souvint-il, donc d’après Sandrine… ça vaut ce que ça vaut…
Je roulai des yeux.
– D’après Sandrine donc; Martine aurait fait des saloperies avec Jean. Jean, ce salaud, ne se serait pas arrêté là, il aurait fini dans la chambre de Sylvie. Sylvie, qui, deux heures avant, se serait fait remplir le réservoir par Gérard. Et d’ailleurs juste avant, le Gérard il aurait cassé la gueule au “peintre”. Peintre qui porte bien son nom, car il est vraiment con comme un pinceau, ça je peux te l’affirmer. Ce débile nous à bassinés toute la soirée à propos de la fin du monde qui devrait, apparemment, venir dans trois ans, d’après je-ne-sais-plus-quel calendrier aztèque ou maya ou inca…
– Et tu n’y crois pas à la fin du monde ? questionnai-je.
– Bof, je ne veux pas avoir de faux espoirs, maugréa-t-il.
– Ouais, si le peintre dit vrai, ce serait le plus beau tableau de l’humanité.
– Et puis pourquoi on devrait écouter les Aztèques de toute façon ? marmonna Joseph, ils étaient sûrement aussi cons que nous…
Il éclusa sa bière. J’asséchai la mienne.
Nous fûmes vite à court de munitions pour nous canarder la tête, alors nous partîmes en rechercher malgré la tempête.
Et dans la semaine la petite ville dans laquelle nous étions murmurait :
“Hey, tu as vu dans le journal ? Il paraît que deux types ivres se sont noyés dans le canal. Pff quelle histoire.”
Fin.
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