Chapitre 2 : La Solitude de Teddy

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La nuit s’accrochait aux murs, épaisse et immobile.

Teddy était assise sur le sol du salon, une couverture enroulée autour d’elle, mais le froid ne venait pas de l’extérieur. C’était un froid intérieur, un gouffre glacé logé quelque part entre sa gorge et sa poitrine, un vide qui aspirait tout.

Elle fixait le néant devant elle. Le silence de l’appartement lui pesait. Elle avait toujours cru que le silence était un refuge, une bulle de protection contre le tumulte du monde.

Mais ce soir, il n’était qu’une absence.

Une absence qui avait un nom.

***

Le téléphone était resté sur la table basse, hors de portée. Elle aurait pu appeler quelqu’un. Sa tante, ses grands-parents. Mais à quoi bon ? Ils parleraient, rempliraient l’espace avec leur inquiétude maladroite, avec leurs mots doux et inutiles.

Rien ne ramènerait sa mère.

Elle se mordit l’intérieur de la joue, jusqu’à ce que la douleur lui donne un point d’ancrage. Mais dès qu’elle relâcha la pression, le vide revint, implacable.

Elle se laissa glisser contre le canapé, ramenant ses genoux contre sa poitrine.

« Maman… »

Un murmure. Un appel.

Elle n’attendait pas de réponse.

***

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Le matin arriva sans prévenir.

Teddy ouvrit les yeux, l’esprit engourdi. Pendant une seconde, elle sentit la chaleur des draps, la douceur familière du lit... et tout sembla normal. Une respiration tranquille. Un instant suspendu.

Jusqu’à ce que la réalité s’abatte sur elle.

Un coup de fouet. Brutal. Foudroyant.

Sa mère était morte.

Elle se redressa d’un bond, le souffle court, le coeur tambourinant dans sa poitrine. Des larmes montèrent sans qu’elle puisse les retenir, déferlant avant même qu’elle ne s’en rende compte. Elle enfouit son visage dans ses mains, sanglotant jusqu’à ce que sa gorge lui brûle.

Tout son corps semblait trop lourd pour bouger. Elle resta là, à pleurer jusqu’à ne plus savoir si c’était encore des larmes ou juste le vide qui coulait.

Finalement, elle se força à se lever. Ses jambes fléchirent sous son poids. Chaque mouvement était une lutte.

Elle marcha jusqu’à la cuisine, ouvrit le frigo... le referma. L’idée de manger lui soulevait le coeur.

"Fais quelque chose." pensa-t-elle.

Alors elle attrapa un chiffon et commença à nettoyer. Une table déjà propre. Un évier vide. Peu importait. Il fallait bouger. Ne pas penser.

Mais ses mains s’arrêtèrent. Ses doigts se crispèrent autour du chiffon. Elle ferma les yeux, respira... et l’odeur de sa mère lui revint. Ce parfum discret, mêlé aux souvenirs de café et de lessive.

Ses genoux cédèrent. Elle se laissa glisser au sol.

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Les grands-parents avaient insisté pour qu’elle reste chez eux. Qu’elle ne soit pas seule. Mais elle avait refusé. Elle voulait rester ici. Sentir sa mère. Être entourée de ses affaires, de cette vie qui, hier encore, semblait éternelle.

***

La sonnette retentit.

Teddy ne bougea pas. Un instant, elle pensa l’ignorer. Mais la sonnerie revint, insistante.

À contrecoeur, elle se leva, s’essuya le visage du revers de la main et alla ouvrir.

Isabelle. Sa tante.

Un regard. Un seul. Et Teddy s’effondra.

Les bras d’Isabelle se refermèrent autour d’elle, forts et doux à la fois. Elle ne dit rien. Pas tout de suite. Elle laissa Teddy pleurer, sangloter contre son épaule, vider ce trop-plein de douleur qu’elle retenait depuis la veille.

"Je suis là, ma chérie." murmura Isabelle en lui caressant les cheveux.

Les mots se frayèrent un chemin au milieu des larmes :

"Je... je savais pas que ça ferait si mal..."

Isabelle hocha la tête, ses propres yeux brillants d’émotion.

"On ne sait jamais, Teddy. On ne peut pas savoir. Mais tu n’es pas seule."

Elles restèrent ainsi quelques instants, suspendues hors du temps, jusqu’à ce que la tempête intérieure de Teddy s’apaise un peu.

Teddy inspira difficilement, sa voix rauque de larmes étouffées. "Pourtant je savais que ça arriverait..." murmura-t-elle. "Ça fait deux ans que je me prépare. Deux ans que je 5

me dis que le jour viendrait..." Sa gorge se serra. "Mais je n’étais toujours pas prête. C’est allé trop vite."

Les mots flottèrent un instant dans l’air, lourds de vérité et de chagrin. Isabelle ne répondit pas tout de suite. Que dire, face à une douleur que rien ne peut vraiment soulager ? Alors elle fit la seule chose qui lui sembla juste.

Elle resserra doucement son étreinte et, sans un mot de plus, commença à la bercer. Un geste lent, instinctif, comme on berce un enfant blessé que les mots ne peuvent consoler. Teddy se laissa faire, calant sa tête contre l'épaule de sa tante, écoutant le rythme apaisant de cette étreinte silencieuse. Le temps sembla s’étirer, doux et flou, suspendu entre la douleur et l’apaisement.

***

Je la vois.

Ma fille. Si petite dans cette pièce trop grande. Son chagrin est un cri qui résonne dans mon corps célestre.

Mon instinct guide mes gestes. Je tends la main. Je voudrais effleurer ses cheveux, essuyer ses larmes... Mais mes doigts traversent l’air. Ou peut-être est-ce elle qui m’échappe.

Je l’entoure de mon amour. Comme un souffle. Comme une couverture invisible tissée de tout ce que je suis.

Elle frissonne. Son souffle se suspend. Je sens son coeur vaciller sous le poids de la peine... et moi, je me tiens là, présence silencieuse, tendue vers elle.

Sa douleur me traverse. Ses larmes coulent, et c’est comme si les miennes existaient encore quelque part.

Chaque battement de son coeur est une corde tendue vers moi. Et moi, je m’y accroche. Je ne veux pas qu’elle tombe seule.

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Je sens son souffle irrégulier. Je voudrais qu’elle entende ce que je lui envoie — cette chaleur, cette tendresse qui déborde — mais je ne sais pas si cela suffit.

Je regarde ma soeur, avec son visage marqué, ses yeux brillants de douleur contenue. Un écho d’autrefois me traverse — des souvenirs d’enfance, des rires oubliés. Je sens son amour pour Teddy, son chagrin pour moi. Cela me serre l’âme et me réchauffe tout à la fois.

Je voudrais les prendre toutes les deux. Les rassembler contre moi. Effacer l’absence.

Mais je ne suis plus qu’un souffle.

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