De quoi as-tu peur ?

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« De quoi as-tu peur ?

 J'ouvre les yeux. Je suis de retour dans cette salle de consultation, avec Erin en face de moi. La psychologue de mon histoire me dévisage, les cheveux roux attachés, les jambes croisées et l'air désapprobateur.

— De quoi j'ai peur ?

 Ma voix me semble ridicule. Trop aigü. Trop petite. Trop faible. Je ne voulais pas revenir ici. Je ne voulais pas revoir Erin.

« Je n'ai pas peur. J'ai juste un blocage.

— Juste un blocage... ?

 Elle me dévisage, les yeux me transperçant. Elle m'en veut. Je le sais très bien. Mais qu'est-ce que je pourrais bien lui dire ?

— Oui. Je me sens vide et désespérée quand j'ouvre un document. Je n'arrive plus à écrire. C'est comme ça. Peut-être que l'écriture n'est tout simplement pas faite pour moi.

— Donc tu fuis. Tu fuis et tu refuses d'affronter ça. J'appelle ça de la peur.

— Non. J'appelle ça du courage de passer à autre chose.

— Tu m'avais fait une promesse. Ne jamais abandonner, tu te souviens ? C'est ce que tu fais.

— Et alors ? Tout le monde change et évolue, et c'est ainsi !

— Sauf que ce n'est pas une évolution, c'est le résultat d'une peur ! Tu m'avais promis de continuer à écrire, ça fait combien de temps que tu n'as pas rédigé de chapitre en entier ? Que tu n'as pas passé près d'une heure à écrire, de la musique dans les oreilles ? Que tu te demandes comment rendre mon histoire encore plus sombre ? Tu veux que je te dise ? Tu es terrifiée. Tu es terrifiée parce que tu te dis que ce que tu écris est nul, parce que personne ne te lit. Tu souffres en écrivant des choses personnelles, et tout le monde s'en fout. Tu souffres parce que tu n'as pas été prise en master en création littéraire, tu as eu directement des refus. Donc tu t'en veux. Tu reprends peu à peu l'écriture, mais ce n'est pas assez. Tu le sais très bien !

Elle s'enfonce dans son siège, les yeux brillants de colère. Si la honte avait commencé à me submerger au début de sa tirade, c'est désormais une autre émotion qui me pousse à répliquer. Doucement, je sens la fureur m'envahir, comme une langue de feu. Elle s'empare de moi, et je me lève d'un bond.

— Oui, j'ai peur ! Tu es contente ? Oui, j'ai peur, parce que rien ne va dans ma vie ! On est au bord de la guerre, je n'arrive pas à rester concentrée plus de dix minutes sur une même tâche, je fais des insomnies à longueur de temps !

 J'attrape le vase posée sur la table basse qui nous sépare et l'écrase au sol. Il éclate en morceaux de verre, j'en reçois sur la jambe, mais ce n'est pas assez. Je soulève la table basse, la regarde se casser comme une frêle brindille.

« Ma prof m'a dit de ne pas abandonner, mais la vérité, c'est qu'elle voit que je suis dépressive ! Elle l'a compris en lisant la nouvelle qu'on devait faire en cours, elle l'a vu ! Elle voulait juste me consoler en me disant que j'avais du talent ! Mais si j'en avais, je serai acceptée en Master, si j'en avais, j'arriverais à écrire la suite de ton histoire, mais j'y arrive pas ! Je n'arrive à rien, putain !

 Erin ne réagit pas, se contente de m'observer. Si je l'avais créé de façon plus chaleureuse, elle serait venue me faire un câlin. Mais comme je ne créé que des personnages froids et traumatisés, elle se contente de rester là, à réfléchir à des mots qui puissent me "prouver le contraire".

— Regarde autour de toi. Regarde-moi. Tu crois vraiment n'avoir aucun talent ?

— Pourquoi les gens ne me lisent pas, alors ?

— Parce que tu as tellement peur du regard des autres que tu cherches leur confirmation. Tu aimes écrire parce que ça te permet d'avoir du contrôle, de projeter toute cette partie de toi dont tu as honte, et tu l'oublies.

— ...

— Je le répète : regarde autour de toi. Regarde-moi. Tu me connais. Tu sais comment je réagis, tu peux décrire ma personnalité sans problème, tu peux me raconter la suite de mon avenir que tu n'as pas écrite. Tu as peur que les gens ne remarquent pas ton talent. Tu as peur de mettre une nouvelle fois une part de toi-même en tes histoires, de souffrir, et de ne rien avoir en retour. Retiens bien cela : si tu as réussi à me faire apparaître ici, à me donner le rôle d'un psy, à écrire ce texte, alors tu as le talent nécessaire pour y parvenir. Seulement, il faut te rappeler qui tu es, pourquoi tu écris vraiment, et être toi-même. À présent, retourne dans le présent. Mon histoire attendra... Du moment que tu n'abandonnes pas. Rappelle-toi qui tu es. »

 J'inspire un coup, ferme les yeux et les ouvre de nouveau. J'aimerais m'excuser auprès d'Erin d'avoir abandonné son histoire, j'aimerais m'excuser pour toutes ces histoires laissées en suspens, pour tous ces doutes et ce blocage, lui assurer que je suis bien de retour et que je ferais de mon mieux pour poursuivre mon rêve. Mais elle a disparu, ne laissant plus que mon écran d'ordinateur, ce défi et ce texte.

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