Chapitre IX (1/2)

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J’attendis longtemps ainsi, guettant le moment où les balancements s’arrêteraient. Mais bien au contraire, ils s’accentuèrent, et j’étais toujours coincée dans ma tanière. Je mangeai le reste de mon pain, puis ma pomme, tandis que les minutes défilaient avec une insupportable lenteur. N’y tenant plus, je finis par me faufiler de l’autre côté de la caisse pour me soulager entre les étoffes. Ma fierté n’avait plus grand-chose à perdre, de toute façon !


Ces paysans et leurs animaux de trait étaient-ils donc inépuisables, à pouvoir cheminer ainsi pendant des heures sans se reposer ne serait-ce qu’une dizaine de minutes ? L’obscurité devint plus forte, me laissant espérer que le convoi ferait halte pour la nuit, mais à part les voix qui se turent, rien ne changea et le mouvement continua. Mon ventre commençait à protester bruyamment contre la faim qui le tenaillait de plus en plus, et le froid, dans l’humidité de la nuit, se faisait ressentir de plus en plus fortement. Quant à la soif, elle asséchait ma bouche comme une armée de petites râpes à l’assaut de ma langue. Pour couronner le tout, j’avais des roulis dans l’estomac et malgré la faim, je ressentais une irrépressible envie de vomir.


Quand je n’y tins plus, j’entrouvris le couvercle de ma caisse pour jeter un œil prudent à l’extérieur. En guise de charrette, je me trouvais en fait dans une pièce immense, aux murs étonnamment concaves et au plancher incliné sur la droite. J’étais entourée de dizaines de caisses, entre lesquelles étaient stockés du matériel en bois, des tiges de métal et d’autres ustensiles que je n’identifiai pas. Je regardai tout autour de moi : la courbe des murs, l’inclinaison du plancher, un grand poteau de bois vertical qui traversait la pièce de haut en bas, le plafond en planches qui laissait passer le souffle du vent et le silence de la nuit… Ma charrette était en fait un immense bateau à voiles ! Bateau qui, manifestement, avait largué les amarres. Était-on encore sur l’une des rivières sacrées de Champarfait ou, comme semblait l’indiquer l’accentuation des mouvements que j’avais ressentie, avait-on pris la mer vers des contrées inconnues ?


Je n’eus pas vraiment le temps de m’attarder sur mes réflexions, car il me fallait trouver un accès extérieur afin de vider mon estomac par-dessus bord. Décidément, j’étais une bien mauvaise princesse, à ne pas maîtriser les atermoiements de mon corps ! Cette pensée me fit sourire, et je m’élançai à pas de loup à travers la cale, après être descendue de ma caisse aussi doucement que possible. J’avais ôté mes chaussures pour ne pas faire de bruit, je retenais mes pas pour ne pas faire grincer les planches. Je vis un escalier en bois, très raide, avec un cordage tressé en guise de rampe. Je l’empruntai, le cœur en fanfare, et débouchai directement sur le pont.


La nuit était d’encre et l’eau était d’un bleu presque noir, avec des reflets de lune couleur de miroir. Le silence était profond, vivant, troublé par les murmures du vent et le claquement des voiles. Je marchai vers la droite d’un pas mal assuré, m’accrochant à tout ce qui passait à portée de ma main, me laissant entraîner par la gîte du bateau. Tout autour de moi n’était que poésie, mystère et sérénité, mais je ne pus rien faire d’autre que… vomir, de toutes mes tripes.


Penchée par-dessus bord, je ressentis un léger vertige en voyant les flots d’écume presque phosphorescents qui s’agitaient en contrebas, le long de la coque. Je me concentrai autant que possible pour viser au mieux et laissai sortir tout ce qui devait sortir. C’est-à-dire de la bile bien amère, puisque mon estomac, affamé depuis plusieurs heures, ne contenait rien d’autre. Je sentais tout mon corps se soulever à chaque nouvel assaut de nausée, bloquant au passage ma respiration, j’avais mal à la poitrine et mes doigts s’écorchaient sur le bastingage à force de me tenir de toutes mes forces.


Puis je repris mon souffle et me retournai. Et là, juste en face de moi, je vis une silhouette sombre, immobile, qui m’observait. Je sursautai et tentai de reculer avant de me souvenir qu’il n’y avait rien d’autre que la mer, derrière moi…

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