Chapitre XIV (1/2)

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Je marchai d’un pas vif à travers les ruelles sablonneuses et ombragées d’Héliopolis. Je me dirigeai droit vers le port, sans même me perdre tellement je m’étais concentrée pour repérer mon chemin à l’aller ! Juste d’arriver sur le quai, j’avisai une échoppe totalement déserte et en profitai pour me faufiler derrière le comptoir afin de changer de vêtements. Une fois redevenue Lomu, l’apprenti marin blondinet et maladroit, je rejoignis le bateau en quelques minutes.

Orcinus était dans la voilerie, torse nu et sourcils froncés, il était très concentré sur ses ciseaux et sur un carré de toile qu’il découpait méticuleusement. Je voulus lui parler, il me répondit un peu sèchement : « Pas maintenant, Lumi. Tu ne vois pas que j’ai du travail ? Je dois monter m’occuper du grand perroquet*. Reviens tout à l’heure, si vraiment tu as quelque chose à me dire. »

Je pris donc mon mal en patience. Il finit de découper sa rustine, enfila son harnais, accrocha tout son nécessaire de couture autour de sa taille, et sortit sans un mot. S’il devait grimper au mât pour raccommoder la voile, il en avait pour un bon moment ! En attendant, je tournai dans la voilerie comme un lion dans une cage, ne sachant trop que faire. Lorsqu’il revint, il me jeta à peine un regard, ôta son harnais qu’il laissa tomber sur le sol et alla s’asseoir tout au fond de la pièce pour reprendre son ouvrage. Je m’en fus droit sur lui, il me demanda de le laisser tranquille, il se leva, voulut passer devant moi… Alors je me carrai bien droit sur mes jambes, au milieu du chemin, et je l’arrêtai en posant une main sur sa poitrine.

Il tressaillit, sa peau était douce et chaude comme un moelleux à la châtaigne mais je sentis son corps se tendre dans un grand silence. Et il s’arrêta net. Après quelques secondes, il attrapa doucement ma main, et c’est presque dans une caresse qu’il l’ôta de son torse, comme pour me la rendre… Mais je le retins, serrant ses doigts entre les miens. Son regard était mouvant comme un océan de questions, mais au moins, il semblait prêt à m’écouter.

« - Orcinus, s’il te plaît, arrête de faire la gueule et écoute-moi.

- Je ne fais pas la gueule, je travaille. Enfin, j’essaie.

- Il faut vraiment que je te parle.

- Si c’est pour me dire que tu t’installes définitivement à Héliopolis, ce pays si parfait et si brillant, ce n’est pas la peine.

- Ne sois pas bête !

- …

- Orcinus, il s’est passé quelque chose de grave. J’ai discuté avec une vieille femme, en ville.

- Et alors ?

- Elle m’a dit qu’il y avait des rumeurs, dans tout Héliopolis, disant que la princesse de Champarfait, la femme du prince Rotu, se serait enfuie.

- Grand bien lui fasse ! Ce Rotu ressemble à un serpent en uniforme, la princesse a sûrement bien fait… Mais je ne vois pas en quoi ça nous concerne ?

- …

- Lumi, tu me mets vraiment en retard dans mon travail à cause d’une princesse qui s’est enfuie je-ne-sais-où ?

- Alors tu ne comprends toujours pas ?

- Je ne comprends pas quoi ?

- Cette princesse…

- Eh bien ?

- …

- Quoi, ne me dis pas que c’est toi ?

- …

- Mais… Ce n’est pas possible. Je t’ai vue dans les cuisines du château. Vu la robe que tu portais, tu viens manifestement d’une bonne famille, mais ton père qui est venu te chercher n’était pas le roi.

- Non, évidemment ! Le roi n’est pas mon père, mais le père de Rotu. Je ne suis princesse que par mon mariage.

- On a joué le soir des noces du prince. Je t’aurais reconnue !

- Je sais, je vous ai vus… Et d’ailleurs, moi, je t’ai reconnu ! Mais j’étais très maquillée, avec une coiffure digne d’une cathédrale… Comment veux-tu me reconnaître, une fois les cheveux coupés et habillée en marmiton ?

- C’était toi…

- Oui, Orcinus.

- Mais alors tu es mariée ??? dit-il en faisant un pas en arrière.

- Oui.

- Avec le prince… Enfin, non, avec le roi de Champarfait !

- Oui.

- Et moi comme un con, je te fais dormir sur une paillasse ! Tu avais raison, finalement.

- A propos de quoi ?

- D’Héliopolis. De la vie culturelle éclatante… Nous ne sommes pas dignes de toi, avec notre théâtre au grand air et nos métiers de saltimbanques.

- Quoi ? Mais… Bien sûr que si ! Qu’est-ce que tu racontes… Et d’ailleurs, ce n’est vraiment pas le sujet. Pourquoi penses-tu à ça tout à coup ?

- Pour rien.

*Le grand perroquet est une voile qui se trouve au troisième "étage", sur le grand-mât. En partant du bas, il y a d'abord la grand-voile, puis le grand hunier, puis le grand perroquet.

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