Chapitre XVI (1/2)

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Je me dirigeai vers la coupée sans un mot, me déplaçant dans l’ombre en gardant bien au chaud dans mon esprit l’étrange recommandation de Muraena. Juste au moment où j’allais poser le pied sur l’échelle, je faillis mourir de peur en voyant soudainement une ombre descendre des haubans et se figer devant moi. Je sursautai comme une folle, et réagis presque violemment en reconnaissant un visage fin et expressif que je connaissais bien.

« - Orcinus ! Ça t’amuse de me faire peur !?

- Non… Je pensais que tu m’avais vu arriver.

- Et pourquoi t’aurais-je vu ? Je ne te cherchais pas, figure-toi.

- …

- Que veux-tu ? Je dois y aller.

- Je ne te retiens pas. Je voulais juste te dire au revoir. Mais je ne veux pas soustraire Mademoiselle à ses obligations de princesse. Tu dois déjà avoir cinq ou six serviteurs qui t’attendent…

- Exactement. Alors si tu n’as rien de plus à me dire…

- Bonne chance à Son Altesse Royale pour la suite de Ses augustes aventures !

- Arrête, Orcinus.

- Tiens. Je n’ai pas tout à fait fini, mais c’est pour toi.

(Il me tendit un petit paquet souple, emballé dans un morceau de voile élimé)

- Qu’est-ce que c’est ?

- Tu verras bien… Ouvre-le ce soir, quand tu seras au palais et que tu n’auras plus besoin de te déguiser en garçon.

- Bon… Merci. »

Il partit comme il était venu, c’est-à-dire par les airs ou plutôt l’ossature de chanvre et de bois du bateau. Je glissai mon cadeau dans mon baluchon, saluai le veilleur d’un signe de la main et quittai le bateau pour ne plus y revenir.

Le soir-même, après un repas délicieux mitonné par les cuisiniers du palais à grands renforts de viande, de fruits et de légumes frais, je m’installai confortablement dans la chambre vraiment royale qui m’avait été attribuée. J’avais à ma disposition un immense lit à baldaquins tendu de soie blanche, deux serviteurs souriants vêtus de lin et de coton, et une terrasse débordant de plantes, grand ouverte sur la lune et sur la mer en contrebas. J’entraperçus la silhouette gracile et aérienne d’un trois-mâts que je connaissais bien… Je restai quelques instants à rêvasser en l’observant, puis je me souvins que j’avais un paquet à ouvrir.

Je décousis doucement la toile qui l’enveloppait et découvris un tissu léger comme un souffle, aux reflets de fluorine et de nuages, de cette couleur indéfinissable, quelque part entre le gris et le vert, qui dansait dans mon regard sur le reflet du miroir. C’était la robe qu’Orcinus m’avait montrée quelques semaines auparavant, le costume de théâtre qu’il m’avait fait essayer. Je l’enfilai avec une joie enfantine, elle ruissela sur ma peau comme une vague délicate et je passai un long moment à me regarder dans la glace gigantesque qui ornait le mur de ma chambre. Cela faisait si longtemps que je ne m'étais pas vue joliment habillée…

Comme à regret, je finis par ôter mon habit de lune, non sans sourire du petit larcin commis par Orcinus dans les malles de leurs accessoires de scène… Je m’allongeai sur le lit, presque perdue tant il était vaste, presque gênée de sentir sous ma peau la douceur ferme d’un matelas au lieu de la paillasse à laquelle je m’étais habituée. Dès que je fermais les yeux, j’avais la sensation de tanguer, de danser, de perdre pied, comme si pour ma première nuit à terre depuis des semaines, la mer continuait de régner sur mon esprit.

Je dormis très peu, m’éveillant plusieurs fois en sursaut, me relevant sans cesse pour boire un peu d’eau, admirer la vue nocturne depuis la terrasse ou utiliser le pot de chambre à l’ombre de la nuit. Lorsque le jour commença à poindre, j’avais les paupières lourdes comme une vergue*, le dos tendu comme un cabestan**, les mains moites comme du goudron de calfatage***. Mon regard se posa, comme par hasard, sur le voilier qui sommeillait encore, à quelques encablures du palais, dans les langueurs matinales du port. L’équipage commençait à reprendre vie, tout doucement, je voyais des ombres se diriger vers les cuisines, des bateaux-lits s’approcher du bateau-mère, les officiers préparer leur quart en arpentant le pont.

* La vergue est une grande pièce de bois horizontale sur laquelle sont accrochées les voiles sur les grands voiliers comme le Belem, L'Hermione, etc.

** Le cabestan est un gros treuil que l'on trouve sur le pont d'un navire pour hisser les voiles ou remonter l'ancre à la force des bras.

*** Le calfatage consiste à boucher les espaces et jointures qui demeurent entre les planches et autres pièces de bois de la coque et du pont d'un bateau.

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