Chapitre XVII (2/2)

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Ils me posèrent encore quelques questions, avec beaucoup de douceur, pour savoir comment s’était passée mon arrivée à bord, si je me sentais bien parmi eux, si je commençais à comprendre leur langue et leurs coutumes. Et aussi, pourquoi j’avais décidé de revenir au bateau alors qu’Héliopolis m’avait offert sa protection. Je répondis de mon mieux, sans calcul ni obséquiosité, mais en espérant qu’ils ressentent ma sincérité. Et aussi, l’errance absolue qui m’attendait dans le cas où ils refuseraient ma demande ! Car je n’avais nulle part où aller.


Une fois mon audition finie, je sortis pour les laisser délibérer. Je me sentais seule et vide, épuisée par les émotions contradictoires qui se bousculaient dans ma tête, passant de l’espoir au désespoir à chaque seconde. Heureusement, cette torture silencieuse ne dura pas longtemps, et rapidement, je pus entrer de nouveau dans le réfectoire afin d’entendre leur sentence. Mes genoux tremblaient encore quand Muraena m’annonça d’une voix claire, avec son phrasé si particulier et ses grands yeux de nuit, que les Lointains m’accordaient l’asile.


« - Lumi, tu auras désormais les mêmes droits et les mêmes devoirs que tous les résidents de ce bateau. A partir de maintenant, tu es soumise à nos lois et à nos coutumes. Tu peux choisir d’adopter un prénom Lointain ou de conserver le tien : il te suffira d’informer notre scribe pour qu’il puisse te consigner sur le rôle du bord sous le nom que tu auras choisi. Tous tes liens antérieurs, à commencer par ton mariage, sont rompus au regard des traditions de notre peuple.

- Oh ! Je ne suis donc plus mariée ?

- Pour nous, non. Sauf, évidemment, si tu retournes à Champarfait… Partout ailleurs, tu es libre. Mais tu devras vivre comme nous, voyager comme nous, travailler comme nous. A ce propos…

- Oui ?

- En mer, tu resteras dans l’équipe chargée des manœuvres : Rutila est contente de toi et en a décidé ainsi.

- Oh oui ! Ce travail me plaît.

- Mais à terre… Eh bien, Salmus a constaté que tu n’étais pas particulièrement douée en cuisine, malgré ta bonne volonté. Maintenant que nous connaissons ton histoire, nous commençons à comprendre pourquoi. Avais-tu déjà découpé un poisson ou épluché des légumes avant d’arriver à notre bord ?

- Non… Pardon, je vous ai menti.

- Bon. Tu disais que ton père était le précepteur de Champarfait et que tu aimais la lecture. As-tu beaucoup étudié pendant toutes ces années ?

- Oui. J’ai lu presque tous les livres de la bibliothèque du palais. Et mon père me faisait la classe chaque jour, ainsi qu’à mes sœurs.

- Parfait ! Alors en escale, tu travailleras désormais à l’école. Tu donneras les cours d’histoire, de langue champarfaitoise et de littérature.

- L’école ? Quelle école ? Il y a une école sur le bateau ?

- Oui… Même si ces temps-ci, nous n’avons pas beaucoup d’élèves. Mais tous les enfants vont à l’école jusqu’à leurs 16 ans.

- Et après leurs 16 ans, que deviennent-ils ?

- La plupart reste ici. Mais les plus doués, s’ils le veulent, poursuivent leurs études à l’université sous-marine, sur notre île-capitale, et deviennent ingénieurs, capitaines, scribes, cartographes.

- Les filles aussi ?

- Oui. La classe a lieu quatre jours par semaine, dans la sainte-barbe*. Le reste du temps, Alexandrius t’aidera à apprendre notre langue un peu plus rapidement.

- …

- As-tu d’autres questions ?

- Non. Pas d’autres questions, mais un immense merci !

- Bienvenue parmi les Lointains, Lumi. Tu peux aller retrouver les tiens, maintenant. »


Les miens… Par quel improbable coup du sort étais-je passée du statut de princesse maudite à celui de libre Lointaine ? Je n’avais pas le temps d’y réfléchir, tout occupée que j’étais à prendre conscience de ce revirement de situation, mais je sortis du réfectoire le cœur plein de reconnaissance et les yeux rouges de larmes contenues. Je traversai le pont de bâbord en tribord et empruntai l’échelle descendante qui menait, entre autres, à la voilerie.


J’avais hâte d’annoncer la nouvelle à Orcinus !


Mais une fois arrivée dans ce petit recoin de bois que nous avions partagé ces dernières semaines en relativement bonne intelligence, il me fallut bien constater qu’il n’était pas là. Et que sa paillasse, elle aussi, avait disparu.




* La sainte-barbe est une pièce du navire, située généralement sous la cabine du capitaine, où l'on entreposait la poudre et le matériel du cannonier. Les Lointains, moins belliqueux que nos ancêtres, lui ont trouvé un autre usage ! Sur L'Hermione actuelle, la sainte-barbe accueille un espace de repos et de lecture où l'équipage peut s'installer quand il n'est pas de quart.

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