Chapitre XXVII (1/2)

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Il nous fallut encore une dizaine de jours de mer pour atteindre l'île-capitale. En temps normal, toute escale à cet endroit avait un air de fête. En effet, les Lointains s’y arrêtaient rarement, et c’était toujours l’occasion de retrouver leurs amis des autres troupes, de croiser de la famille qu’ils n’avaient pas vue depuis longtemps, de célébrer quelques mariages ou de réunir le Grand Conseil. Mais lorsque nous accostâmes, les visages affichaient plus de soulagement que de joie. Car nous étions tous préoccupés par la santé de nos deux blessés : Orcinus, d’une part, et le bateau, d’autre part.

Le second, une fois vidé de ses habitants et des victuailles qui demeuraient dans la cambuse, fut confié aux bons soins du chantier naval de l’île. Le premier, qui se sentait un peu mieux même s’il était encore bien loin d’avoir recouvré toutes ses forces, fut emporté à l’hôpital sur un brancard d’algues tressées derrière lequel Muraena trottinait d’un air aussi inquiet que décidé. Nous restâmes tous un moment sur le quai à discuter, légèrement désemparés face à cette liberté de quelques semaines qui s’offrait à nous le temps de réparer aussi bien notre navire que notre maître voilier. Puis tout le monde se dispersa peu à peu : Rutila se dirigea vers le chantier pour superviser les réparations de son cher navire, Perkinsus fit soudain de grands signes à l’une de ses amies qu’il courut rejoindre, Ventura entreprit de rendre visite à son frère sur un bateau voisin… Et je me retrouvai seule avec Milos et deux cartons de médicaments.

Il me demanda de l’aider à les porter à l’hôpital, ce que je ne pouvais qu’accepter. Je le suivis donc sur un chemin de sable, bordé d’un côté par une plage magnifique où les cocotiers se balançaient par-dessus des eaux à la transparence presque irréelle, et de l’autre, par des petites échoppes animées où des Lointains se bousculaient pour prendre un verre de liqueur d’anémone, acheter des vêtements de toutes les couleurs, rafraîchir leur coupe de cheveux ou acquérir du matériel d’accastillage.

Après cinq minutes de marche sous un soleil adouci par les alizés, nous arrivâmes devant un tout petit bâtiment plat et vitré qui arborait une croix verte et deux portes battantes grandes ouvertes par lesquelles nous entrâmes. Milos salua tout le monde chaleureusement, Lointains comme Asclépios, et après s’être renseigné à l’accueil sur le numéro de chambre de son patient, il emprunta un long couloir dissimulé derrière un rideau bleu. Tout était sombre, et les quelques candélabres azur qui étaient disséminés sur le plancher suffisaient à peine à matérialiser notre chemin dans cette atmosphère étrange.

Ce n’est qu’une fois dans la chambre que je compris que l’hôpital était construit non pas sur la terre de l’île, mais sous les eaux. En effet, lorsque Milos ouvrit une porte et que nous pénétrâmes tous les deux dans ce qui était la chambre d’Orcinus, je ne pus retenir un cri de surprise. C’était une petite pièce carrée au centre de laquelle se trouvait notre malade, allongé sur un lit assez large, avec sa grand-mère debout près de lui. A droite et à gauche, il y avait deux cloisons noires, sans fenêtres, éclairées des mêmes lumières bleues que le couloir. Mais le mur d’en face, comme le plafond, était intégralement vitré. Devant nous, comme au-dessus de nous, on voyait passer les ondes créées par les ondulations de l’eau, les silhouettes effilées de différentes espèces de poissons et les forêts rouges ou jaunes de coraux enchanteurs. C’était féérique, comme si nous avions soudainement plongé au cœur de l’océan et qu’il avait refermé ses bras moelleux sur nos quatre petites personnes pour nous bercer gentiment…

Tandis que je regardais autour de moi d’un air extatique, Milos s’affairait autour d’Orcinus. Ils étaient aussi silencieux l’un que l’autre, seuls quelques gémissements étouffés s’échappaient parfois et se répercutaient sur le visage creusé et compatissant de Muraena, qui n’en menait pas large… Elle avait les yeux cernés et les joues creusées de quelqu’un qui n’avait pas dormi depuis des nuits ! D’ailleurs, Milos ne manqua de lui faire remarquer qu’elle ressemblait à une morte-vivante et que maintenant que son cher petit-fils était en sûreté sur l’île, avec tout un hôpital pour veiller sur lui, il lui ordonnait de se reposer.

Elle protesta, il insista, elle refusa, il insista encore. Mais elle finit par tomber de fatigue ! Milos la retint par la taille et elle accepta enfin de le laisser la mener jusqu’à un lit. Je promis de rester auprès d’Orcinus jusqu’au retour du médecin, ce qui sembla la soulager. Et ils sortirent tous les deux, à moitié enlacés, discutant à voix basse comme deux amoureux dont l’un venait de faire constater à l’autre que l’obstination n’était pas toujours bonne conseillère.

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