Chapitre XXXII (1/2)

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Mais lorsque je revins le lendemain soir, sa chambre était vide. Il ne restait ni Orcinus, ni ses affaires, juste un grand silence un peu angoissant et la sensation d’être à moitié engloutie dans les profondeurs des flots.

La journée n’avait pourtant pas mal commencé. Après avoir passé la nuit à essayer de dompter les mille pensées contradictoires qui s’agitaient dans mon esprit autant que dans mes tripes, j’avais consacré ma matinée à faire la classe, avec des cernes jusqu’aux chevilles et une énergie presque euphorique. Puis aux environs de midi, alors que nous nous dirigions tous vers les tables accueillantes et ombragées du réfectoire, un héraut tout de bleu vêtu commença à nous annoncer le résultat du Grand Conseil.

Tous les regards de la troupe convergèrent vers ma petite personne, tandis que la proclamation affirmait : « Oyez, oyez ! Aujourd’hui, le Grand Conseil des Lointains s’est réuni pendant deux heures et cinquante-trois minutes en session extraordinaire à la demande de la capitaine Rutila. Quatre cents cinq conseillers étaient présents, représentant quatre-vingt-une tribus. L’objet des débats fut l’attaque subie récemment par le navire de cette dernière, menée par un voilier non identifié, et le lien éventuel entre cette agression et la présence à bord d’une réfugiée originaire de Champarfait. Voici le résultats des votes, certifiés conformes par la doyenne de notre peuple, Aurata. Une voix pour laisser la réfugiée en question vivre en paix parmi les Lointains, mais dans une autre troupe et sur un autre bateau. Sept voix pour retirer l’asile à la réfugiée et la restituer au royaume de Champarfait. Dix-neuf voix pour former une armée et attaquer le royaume de Champarfait en représailles. Trois cent soixante-dix-huit voix pour laisser la réfugiée vivre comme précédemment au sein de la tribu de Rutila et de Salmus, rien ne venant prouver qu’il existe un lien entre sa présence à bord et l’attaque subie il y a quelques jours. Par conséquent, le Grand Conseil des Lointains confirme la décision d'accorder l’asile à cette réfugiée, prise par le Conseil des Cinq de la troupe de Rutila et de Salmus, et ordonne qu’aucune représaille ne soit orchestrée contre qui que ce soit. Bon vent à tous ! »

Moi qui n’aimais pas être au centre de l’attention, j’étais servie ! Mais l’essentiel était que je sois autorisée à rester sur le bateau, avec tous mes compagnons… Et avec Orcinus, aussi. L’écrasante majorité des votants avait accepté que je reste, et cela me soulageait infiniment ! Même si je ne pouvais pas m’empêcher de me demander qui avait bien pu demander à ce que je change de bateau et de troupe… Évidemment, il s’agissait sûrement d’éviter une nouvelle attaque, au cas où Rotu aurait repéré sur quel voilier Lointain je vivais. Mais cela revenait à m’expulser purement et simplement, ce qui n’était pas très agréable. Au Grand Conseil, les votes devaient rester anonymes. Mais je surpris un long regard noir posé sur moi au moment où le héraut annonçait les résultats, et un doute me vint à l’esprit : et si c’était Muraena ?

Je pris tout mon courage à deux mains pour me lever et aller m’asseoir face à elle, sur une table un peu à l’écart où elle finissait de déjeuner en compagnie de Milos.

« - Muraena, pourquoi vous ne m’aimez pas ?

- Allons donc… Qu’est-ce qui te fait croire cela ?

- Eh bien… Dites-moi si je me trompe, mais je pense que c’est vous qui avez proposé que je reste parmi les Lointains, mais en changeant de bateau.

- …

- Est-ce vrai ?

- Oui, Lumi, c’est la vérité.

- Vous voulez que je parte. Pourquoi ?

- Parce que ton mari, ou ex-mari, semble prêt à pourchasser notre bateau jusqu’aux confins des océans pour te récupérer. Je n’ai rien contre toi, Lumi. Mais je ne veux pas qu’Orcinus soit de nouveau blessé à cause de toi.

- …

- Mon petit-fils passe avant tout, tu comprends ?

- Oh… Je comprends, oui. Ceci dit, si Rotu vous attaque de nouveau, le risque sera le même ! Que je sois là ou pas. Si vraiment il a repéré sur quel bateau je suis, alors vous feriez mieux de me laisser seule dessus et de partir tous sur d’autres navires !

- Et puis quoi encore ! intervint Milos. Un Lointain ne quitte jamais son navire. Quoi qu’il en soit, ma chère Muraena, pendant que tu proposais de l’expulser, Lumi a pris grand soin de ton si précieux petit-fils. Il va de mieux en mieux, et puisque le Grand Conseil en a décidé ainsi, nous allons pouvoir reprendre la mer, maintenant que notre bateau est réparé.

- Quoi ! Il tient à peine debout et tu veux déjà le renvoyer en haut des mâts ?

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