Les coins sombres de la monnaie

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Les portes du restaurant L’Atelier des Saveurs se sont fermées derrière lui avec un léger clac sourd. Jean-Michel, le gérant, n’avait pas attendu plus longtemps. Il savait que, dès le début du service, l’attitude de Thierry n’était pas celle d’un client comme les autres. Un homme pressé, nerveux, qui examinait le menu comme s’il s’agissait de la plus grande affaire de sa journée, mais sans jamais y voir une invitation à savourer. Non. Juste une transaction, une économie de gestes, de regards furtifs, de sommes échangées sans âme.

Quand Thierry avait commandé, il s’était abstenu de dire « bonjour », « merci », ou même « s’il vous plaît ». Il avait jeté une pièce sur la table pour payer sa consommation, puis avait observé le serveur comme si celui-ci était une marchandise, un objet dans le monopole de ses désirs. Jean-Michel, qui avait vu des milliers de clients, savait reconnaître le regard d’un radin : celui qui cherche à grappiller chaque centime, chaque service de moins, chaque geste qui pourrait ne pas être payé. Une façon de vivre, une stratégie de survie dans le grand mépris du monde.

Thierry ne s’en cachait pas. Il se savait égoïste, sans doute, mais dans ses yeux brillait une forme de fierté, une conviction profonde : l’argent était le seul maître, et à travers lui, tout s’expliquait. Il n’y avait que l’accumulation, le contrôle, la gestion de son attitude qui importait. Ce n’était pas un homme de partage, de convivialité. Il avait fait de l’individualisme une science, une doctrine.

Et pourtant, ce soir-là, il s’était retrouvé dans un piège qu’il n’avait pas anticipé. Alors qu’il s’apprêtait à partir sans laisser un pourboire, il sentit une main se poser fermement sur son épaule. C’était Jean-Michel. Il ne s’était pas contenté de rester derrière son comptoir. Non, ce soir, il avait décidé de se montrer, de confronter l’inconscient égoïste de Thierry à l’invisible mais néanmoins vital lien humain qui, entre eux, n’avait jamais été brisé.

« Vous me donnez vos pièces, mais ce n’est pas l’argent que vous me devez. C’est la reconnaissance de ce moment partagé. »

Thierry avait cligné des yeux, puis haussé les épaules avec une moue de dédain, s’apprêtant à fuir cette confrontation qu’il n’avait pas choisie. Mais avant qu’il ne puisse réagir, Jean-Michel ajouta :

« Si c’est de cette façon que vous considérez vos relations, vous passerez toujours à côté de ce qui compte. Vous finirez par oublier ce que signifie être humain. »

Le silence s’installa alors entre les deux hommes, un silence lourd de sens, où l’égoïsme de Thierry, si évident dans ses gestes, laissait place à une réflexion qu’il n’avait jamais prise le temps de mener.

Quand il se tourna pour quitter le restaurant, il savait que ce moment, aussi court fût-il, marquerait un tournant dans sa vie. Mais il n’en comprit jamais véritablement le sens. Jean-Michel, lui, savait que parfois, il suffisait de redonner de la valeur à ce que l’on donne pour ouvrir les portes de l’invisible.

Note de l’auteur :

Ce texte est une réflexion sur l’impact de l’égoïsme, de l’attitude des individus vis-à-vis de l’argent, et comment ces comportements influencent nos relations humaines. À travers l’histoire de Jean-Michel et Thierry, j’ai voulu mettre en lumière l’importance de l’humanité face à la froideur des comportements matérialistes. Parce que, parfois, il est nécessaire de redonner de la valeur à ce que l’on pense dû, pour redécouvrir ce qui est essentiel : la dignité humaine.

Dans cette histoire, j’ai voulu rendre hommage à Jean-Michel Palacios, l’auteur du défi qui m’a inspiré ce texte. En plaçant son nom dans l’histoire, j’ai souhaité lui rendre hommage pour la richesse et la profondeur des thèmes qu’il propose. Le défi “Économie(s)” m’a permis de réfléchir à l’impact de nos attitudes économiques et humaines dans un monde de plus en plus focalisé sur l’argent.

La Voix Qui Écrit

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