III. Akerid et feux de guerre

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« Akerid est surnommée « village du sable » par les habitants de la région, car, après des centaines de tempêtes du désert, ses mi'dhana sont toujours debout, ainsi que la majorité de ses maisons. On constate que ce phénomène n'est pas lié aux constructions d'Akerid, entièrement semblables à celles des autres villes mineures proches, mais à une action météorologique qui emporte la force des tempêtes de sable autour de la cuvette désertique où Akerid a été construite. »

Extrait de Rapport planétologique de l'hémisphère Sud, par Tysbet Mochâd, planétologiste officiel du roi Tisgarî Monetep.



 Les deux hommes de main de Feshedia le menèrent à une nouvelle porte, cette fois-ci faite d'un bois noble qu'on avait certainement apporté des forêts centrales. Ils l'ouvrirent grâce à une nouvelle clef, et assirent Ontis quelques mètres plus loin, sur une chaise réhaussée de velours. Puis, l'un d'entre eux dégaina une dague de son fourreau, et d'un geste vif, trancha les liens du prisonnier. Ils repartirent, alors que le jeune homme massait ses poignets rougis par le chanvre, et verrouillèrent l'entrée de la bibliothèque.

 Il s'agissait d'une grande salle tapissée de moquette rouge, et dont chaque mur était dissimulé par une haute étagère remplie de livres en tout genre. La face Est de la pièce était occupée par une immense baie vitrée, d'une transparence remarquable en plein désert. Lorsqu'Ontis s'en approcha, il eut une vue merveilleuse sur le Désert Infini, mer de sable percée de dunes tumultueuses, sous les rayons de la lune. Il se détourna, étourdi par le silence de la bibliothèque. Dans son esprit, la voix juvénile du Parleur fou résonnait encore, et ces mots se distinguaient : « Je suis persuadé que tu es Lui. » Moi ? Le Talhasu ? La folie qui le hante doit être vraiment importante pour ainsi le détraquer ! Mais, quelque part au fond de son esprit, il se souvenait d'autres paroles : « Les yeux plus bleus que la glace primaire... » Il aperçut son reflet dans la vitre, un visage poussiéreux, un menton ensanglanté, une tunique déchirée... Mais des yeux bleu clair, plus perçants que des flèches de glace. Et l'on dit que le Prophète Talhasu a les yeux des glaciers du Nord.

 Du coin de l'oeil, il vit un ouvrage à la couverture d'un turqueoise oasien, dont le titre n'apparaissait que sur le dos, posé sur une table de bois exotique. Intrigué, Ontis s'approcha et prit le livre entre ses mains. Une fine couche de poussière le recouvrait. Il pencha le livre sur le côté pour pouvoir lire les écritures argentées, mais ce qu'il vit était indéchiffrable, des symboles cunéiformes à demi arrachés. Lorsqu'il le feuilleta, les mêmes caractères lui apparurent, inconnus et secrets. Pourquoi ce livre était-il posé là, alors que tous les autres étaient rangés ? se demanda-t-il.

 Un bourdonnement attira soudain son attention. Il se détourna de la table, s'approcha de la vitre doucement. Ses yeux se rivèrent à nouveau sur le Désert Infini, et il observa la nuit, sans que le bruit ne cesse pour autant. Tout à coup, il lui parut apercevoir des formes brillantes, au loin, se confondant avec les piques blanches des étoiles. Les choses grossirent, semblant s'approcher de plus en plus de lui. Le bourdonnement augmenta d'intensité, et, sous les doigts d'Ontis, la vitre commença à vibrer. Ses oreilles reconnurent enfin le bruit des réacteurs des spadassins ailés, petits vaisseaux de combat militaires qui survolaient parfois le désert. Une partie de lui fut rassurée, mais l'autre s'inquiétait. Pourquoi faire un vol de nuit ? Les rues sont désertes et la visibilité est moindre, d'autant que la lune est presque nouvelle ce soir... Les vaisseaux se rapprochaient cependant, leur vitesse ne diminuait pas, la baie tremblait toujours... Ils étaient tout proche...

 Ontis fit un bon en arrière, quelques instants avant que, sous l'attaque d'un explosif largué des spadassins ailés, la vitre et la moitié de la pièce étaient réduits en cendres. Des éclats de verre se plantèrent dans le parquet, juste devant le visage apeuré du jeune homme, qui se recroquevilla derrière une étagère. Peu à peu, la fumée emplit la bibliothèque, et il se précipita vers la porte, qui avait malheureusement été fermée par les deux colosses de Feshedia. Mais des éclats de la bombe avaient formé un trou non loin de la serrure, et après quelques pressions exécutées sur la porte, Ontis parvint à l'ouvrir, et se précipita dans le couloir au moment même où des voix retentissaient derrière lui, dans le nuage de poussière.

 Il courut, ses pieds nus blessés par du verre brisé, alors que l'obscurité du couloir se refermait sur lui. Il passa devant quelques portes anciennes et sales, avant de reconnaître celle qui ouvrait la pièce où lui et le Parleur fou s'étaient rencontrés. Lorsqu'il y pénétra, il vit le visage terrifié de Feshedia, toujours prostré sur son fauteuil. Ses yeux sombres croisèrent ceux du jeune homme, et ses paupières s'abaissèrent paisiblement, avant de s'ouvrir à nouveau.

 « Ils sont venus me chercher », souffla-t-il presque inaudiblement, avant de se lever et de faire signe à Ontis de le rejoindre.

 L'homme au tatouage de lunes appuya sur une commande dissumulée sous le siège de son fauteuil, et un cliquetis léger retentit, avant qu'un mur ne s'abaisse doucement en raclant la roche jaunâtre. Les deux hommes se précipitèrent à l'intérieur, mais Ontis gardait ses distances, de peur d'un coup tordu de la part du fou. Le conduit était très étroit, des relents de poussière et de moisi attaquèrent les voies nasales du jeune homme qui suffoqua silencieusement. L'obscurité les engloutit tous deux, lorsque le mur du passage secret se referma avec un crissement de pierre. Seuls les souffles des deux hommes perçaient le calme pesant et étrange. Même le bruit de leur pas était estompé par le sable accumulé dans ce minuscule couloir.

 Ils tournèrent plusieurs fois à droite, puis encore à gauche. Parfois, le sol s'enfonçait en avant, parfois remontait. La chaleur ambiante du tunnel faisait tourner la tête d'Ontis, et il n'y voyait rien. La désagréable sensation s'aveuglement qu'il avait ressenti quelques minutes — ou bien ce furent des heures ? — plus tôt l'assaillit de nouveau, et il concervait une certaine distance avec Feshedia, par précaution. Pourtant, le fou ne cessait d'avancer, avec un empressement notable. Sa forteresse était attaquée, mais par qui ? Et pourquoi ?

 Tout à coup, la terre trembla, et des voiles de poussière tombèrent sur les deux fuyards. Ontis s'accroupit, la main sur les yeux. Une odeur de fumée envahit brutalement tout le couloir de pierre, et, à peine un mètre devant lui, Feshedia poussa un glapissement de stupeur :

 « Ils ont brisé le mur ! Ils vont nous trouver !

 — Est-ce qu'il existe une sortie ? s'écria le jeune homme, qui sentait la panique le gagner.

 — La sortie... répéta le Parleur déchu. Oui ! Je me souviens où est la sortie. Suis-moi, ne me quitte pas ! »

 À peine sa phrase achevée, il s'était élancé dans le conduit sablonneux, ignorant l'air quasi irrespirable et le sable qui rendait ses pas glissants. Ontis s'accrochait à la tunique de l'homme, marchant dans ses traces. Dans leur dos commençaient à résonner des voix étouffées mais chargées d'une violence palpable. Leur vitesse redoubla, jusqu'à ce qu'un filet d'air frais caresse leurs visages terreux.

 Soudain, le sable se déroba sous leurs pieds. Ils furent emporté par la masse piquante et dorée, leurs mains plaquées sur leur bouche pour se protéger. Ontis voulut crier, mais l'épaisse couche de particules qui les recouvraient étouffait les sons comme les gestes. Allons-nous mourir, enterrés vivants dans la terre de notre pays ? s'inquiéta le jeune homme, alors que seul le raclement du sable parvenait à ses oreilles.

 Sa chute s'arrêta finalement, après que, selon lui, une éternité se soit écoulée. Des mais glacées s'emparèrent soudain de ses bras, et il sentit qu'on le hissait hors de son piège de sable. Il se laissa faire, ses muscles semblant déchiquetés par tous les grains dorés qui l'avaient enseveli. Enfin, l'air pénétra ses poumons vides, et il hoqueta, en ouvrant des yeux surpris. Feshedia se tenait devant lui, un sourire amical aux lèvres.

 « Tu ignores tout des enseignements du Désert, Ontis, déclara-t-il juste, un brin moqueur. Vite, debout ! Ils ne tarderont pas à descendre aussi ! »

 D'un rapide coup d'oeil, alors qu'il suivait le fou, il examina l'étrange endroit où il se trouvait désormais. Il s'agissait d'une grotte importante, presque entièrement remplie de sable froid. Il ne restait environ que quelques mètres avant le plafond couvert de stalactites de roche. Une large ouverture à l'opposé laissait apercevoir quelques dunes lointaines et les étoiles qui éclairaient le ciel nocturne. Ils s'engagèrent sous cette arche, et l'air frais, chargé de fumée, leur ébouriffa les cheveux.

 Pourtant, le bourdonnement d'un spadassin ailé jaillit de derrière la falaise brune, et le vaisseau apparut, décrivant un cercle dans le ciel, au-dessus de leurs têtes. Ils voulurent faire demi-tour, retourner dans la grotte, mais des exposifs fusèrent au-dessus de leurs têtes, et condamnèrent cette issue. Feshedia et Ontis furent projetés par le souffle de la détonation, et s'écrasèrent lamentablement quelques mètres plus loin, dans le sable. Les oreilles sifflantes, le jeune homme voulut se relever, mais des bras le saisirent vigoureusement, et on l'attira jusqu'au spadassin ailé, désormais posé sur le sable. Il fut embarqué à l'intérieur en compagnie du Parleur déchu, et eut à peine quelques secondes pour voir les hommes qui se tenaient à bord du vaisseau. Leurs imposantes silhouettes étaient recouvertes de tissus ocre, qui dissimulaient une cuirasse noire sans aucun ornement. Des casques, des coules et des lunettes masquaient leurs visages. Feshedia et Ontis furent assis, non sans brutalité, et attaché avec une telle rapidité qu'ils n'eurent même pas le temps de s'échapper. L'appareil quitta le sol dans un ronflement de moteurs, s'élevant petit à petit dans le ciel.

 C'est alors qu'Ontis les vit. Ces immenses brasiers, qui s'élevaient d'Akerid, brûlant les bâtisse, les tentures. Il aperçut la place du marché et sa fontaine, démolie. Des panaches de fumée grise montaient dans la nuit, et cette désolation fut sa dernière vision d'Akerid, juste avant qu'on ne lui jette un sac sur la tête.

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