Premières et dernières Nuits

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——

Tempo lento

I.


Après l’acte, le repos.

Après la brusquerie du Jour, la douceur de la Nuit.

Après la jouissance, la sérénité.

Et la torpeur.

Et l’angoisse…

Et la panique.

Nous avions cheminé — depuis combien de temps déjà ? — Nous avions cheminé des années peut-être le long de cette langue de sable. Il était chaud et sensuel jadis. Il était froid et chaste désormais.

La Mer l’embrassait par à-coups, le mordant par instant, mais toujours épris d’une tendresse maternelle.

Quant à la Forêt. Elle était partie. Elle n’était plus là.

Derrière nous, alors que nous faisions face à l’immense visage noir du sombre océan, il n’y avait plus que du sable à perte de vue.

Derrière nous il n’y avait plus qu’un désert bleu pâle…

Qui faisait miroiter la lune dans ses yeux troublés.

Et nous… nous n’avancions plus.

Trop confus pour partir.

Trop apeurés pour ne pas rester.

VII.


Blottis les uns contre les autres, cherchant tant bien que mal un peu de chaleur dans la torpeur de son prochain, nous tenions contre la brise nocturne.

Et même la flamme orange de notre cœur s’affaissait face à l’œil cuisant de l’immensité bleue autour de nous.

Devant, l’indigo de la Mer.

Redoutable et fourbe.

Derrière, le cyan délavé du Sable.

Alangui et nonchalant.

Et entre les deux, le froid et les ténèbres.

La peur était notre seul secours désormais.

IX.


À force de tenir, nos pieds, nos serres et nos sabots s’étaient ancrés dans le sol.

Comme des racines.

Ce qui était une masse informe d’individus apeurés s’était mué en un petit royaume. Une villa merveilleuse formée du sable rigidifié par l’angoisse.

La torpeur était devenue notre demeure.

Et nous vivions séparés désormais.

Chacun sa chambre.

Chacun une aile de l’immense château qui était le nôtre.

Mais séparés.

Loin les autres.

Et plus encore la chaleur !

Qu’y pouvait-on si la douceur du matelas dépassait de mille lieux celle — supposée — de l’Autre ?

Nous passions notre temps à contempler la Mer sombre devant nous — toutes les fenêtres étaient tournées vers Elle.

Nous ruminions paisiblement l’œil tourné vers les ténèbres agitées qui effritaient toujours un peu plus les contreforts de notre fortin de sable.

Par instant, nous errions dans les couloirs tortueux de la Demeure.

Et nos pieds nus ne sentaient plus certes la chaleur du sable sur lequel nous marchions… mais au moins sa douceur !

Amoindri, il est vrai. Il était fin encore !

Le Sable était de nouveau notre ami.

Mieux !

Notre protecteur !

En lui nous pourrions vivre des siècles au bas mot !

Contents… à défaut d’être heureux.

Apaisés… à défaut d’être sereins.

Tranquilles… à défaut d’être sans peur.

La Vie était bonne… à défaut d’être Belle !


CVI.

Après tout. Cela n’est pas si mal.

La lune est jolie… Et la Mer reste belle elle aussi !

Mais une fois elle a emporté l’un d’entre nous… C’était une triste affaire. Mais nous avons survécu !

Et cela n’est pas si mal.


CXXII.


Il arrive que nous nous demandions comment était la vie avant la nuit… Nous ne savons plus très bien si nous n’avons pas rêvé du soleil…

Existe-t-il finalement ?

Nous nous souvenons lui en avoir voulu. Mais de quoi ? Cela n’est pas si clair… En tout cas ça ne l’est plus.

Il arrive que nous nous demandions à quoi auraient ressemblé nos corps alors… Nos pieds devaient être nus… Comment être près du Sable autrement ? Et le Sable est notre ami et notre protecteur !

Pourtant nous nous rappelons des sabots… des serres… nous nous rappelons des poils et des plumes… nous avons le souvenir de cheveux hirsutes et de crêtes sur la tête !

Et nos mains qui agrippaient le monde sans se soucier de ce qu’elles touchaient.

Nous ne sommes plus vraiment sûrs d’avoir un corps désormais…


CLXXIV.


Qu’y avait-il avant la Nuit ? Et qu’y aura-t-il après ?

Sur cette situation, faut-il ouvrir ou fermer les yeux ?

Ces murs faits de sable… sont-ils faits de notre peur ou nous protègent-ils d’elle ?

Et cet infini bleuté tout autour de nous… Y avait-il quelque chose avant ? Y aura-t-il quelque chose après ?

Et le ciel ocre n’est pas un souvenir moins beau…

Pourquoi le ciel était-il grondeur ce jour-là ? Oh ! Qu’est-ce qu’un jour ? Oh ! Quelle nostalgie !

Pourquoi le ciel était-il grondeur ce jour-là ?

Nous ne faisions que marcher pourtant…

Nous ne faisions que marcher. Et un jour le Sable s’en est allé. Ou plutôt a-t-il été RAPPELÉ. Par qui ? Mais par le ciel évidemment !

Il a toujours jalousé notre relation ! Et la Mer et la Forêt nous enlaçaient de leurs bras aimants…

Mais le ciel… Oh le Ciel ! Lui devra nous maudire toujours… Lui et son œil fourbe !

Mais pourquoi nous maudire ?

Nous, ce que nous voulions, c’est vivre heureux. C’est vivre en paix. C’est vivre dans le plaisir et dans la joie !

Mais lui ne veut que des devoirs. Il faudrait toujours ACCOMPLIR… Il faudrait toujours PROUVER non pas que l’on existe… mais justement que l’on est prêt à ne plus exister !

Mais pourquoi nous avoir donné un corps si c’est pour ne pas en user ?

Pourquoi exister s’il faut immédiatement cesser d’être ?

Non vraiment… Nous nous y refusons. Nous ne VOULONS pas !

Et c’est notre droit de ne pas vouloir ! Nous voulons vouloir ne pas vouloir !

Avant la Nuit était le Jour…

Avant la torpeur… avant la douceur… avant la tranquillité…

Était la Fuite.

Après la Nuit sera…

Après la Nuit sera.

Après la Nuit sera !

La Fugue.

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