La volonté de Dieu

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La tempête mugissait dehors, menaçante. Le grand saule devant la fenêtre de la chambre était malmené par les bourrasques. Ses branches craquaient et grattaient contre les vitres. Comme si Lizzy n'était pas suffisament effrayée.

Blottie sous les draps, elle serrait le Colonel Hooper contre son cœur. Le Colonel était sa peluche fétiche, son doudou. C'était un lapin à la fourrure brune défraîchie et au museau usé d'avoir tant raclé contre le parquet. D'aussi loin que remontait sa mémoire, Hooper avait toujours été là. Ses parents lui avait offert le lapin en peluche dès le berceau et depuis, ils ne s'étaient plus quittés. Lizzy lui parlait tous les jours, lui racontant ses soucis, sa journée et ses rêves. Colonel Hooper affichait une expression attentive et surtout ne l'interrompait jamais. Peu d'adultes étaient capables d'un tel exploit.

Cependant, la présence réconfortante du Colonel ne suffisait plus face à ses nouveaux problèmes. La petite peluche était incapable de la protéger contre l'esprit qui la tourmentait. Mais personne d'autre ne pouvait la soutenir. Minuit approchait et elle se trouvait seule dans son lit, au bord d'une nouvelle crise de nerf. Rien dans sa parfaite éducation ne l'avait préparée à affronter de tels phénomènes. Alors, dans sa détresse, elle se raccrochait à son vieux doudou, priant de toutes ses forces pour que cette nuit soit différente.

Si Enora l'avait vue ainsi, elle l'aurait probablement traité de bébé.

Du haut de ses douze ans, Enora était l'aînée de la fratrie Allister. C'était une belle fille, à l'esprit divin et cultivé. Depuis toujours, elle charmait les adultes avec ses réflexions pleines de bons sens et ses bonnes manières. Enora avait hérité de la beauté de Lady Allister avec de merveilleux cheveux noir, un teint pâle et une bouche finement dessiné. Contrairement à Lizzy, qui avait hérité de la carrure osseuse de son père, de son menton fuyant et de ses cheveux secs et indisciplinés.

Deux ans après la naissance d'Enora, Katherine avait eu Elisabeth, suivie de peu par Virginia. Le couple Allister était ravi de leurs filles, même si cela risquait d'engendrer des soucis de succession à l'avenir.

Entre l'astucieuse Enora et l'adorable Virginia, Lizzy était aussi transparente que l'eau claire d'une rivière. Elle était de ces personnes discrètes, ni vraiment intéressante, ni totalement ennuyante. Sans être stupide, elle ne brillait pas par son esprit. D'un physique commun, elle ne se démarquait pas parmis les autres petites filles. Dans tous les domaines, Lizzy était dans la moyenne. Et cela lui convenait très bien. De nature timide, elle préfèrait de loin quand l'attention des grandes personnes se portaient sur ses sœurs.

Bien des années après et alors qu'on ne s'y attendait plus, le petit Victor était né. Premier fils de la fratrie, il semblait tombé du ciel aux yeux de son père. L'arrivée du bébé avait bouleversée les habitudes de la famille. Le petit prince enchantait les adultes et rendait les trois filles jalouses. Archibald était le plus heureux des hommes et avait déjà de grands projets pour son fils. Il aurait les meilleurs professeurs, serait un excellent cavalier et deviendrait banquier comme son père. Le bébé était encore incapable de marcher qu'il comptait déjà lui offrir un poney.

Son bonheur ne dura guère.

Victor partit comme il était venu, sans prévenir. Un matin, on avait retrouvé le nourrisson tout raide dans son berceau. Le médecin de famille s'en était fait des cheveux blancs. Le petit être s'était endormi comme tous les soirs et avait simplement cessé de respirer, sans cause médicale apparente. L'homme de science avait parlé de la mort subite du nourrisson, expliquant que cela arrivait parfois. Ce fut la dernière fois que Lizzy vit le docteur Carey.

L'enterrement s'était passé dans un sinistre silence. Lizzy n'oublierait jamais ce minuscule cerceuil blanc que l'on avait mis en terre. Son père de nature si inébranlable, avait fondu en larmes au milieu de la cérémonie. Enora lui avait tapoté gentiment le coude et Lizzy lui avait tendu son propre mouchoir pour sécher ses larmes. C'était terrifiant de voir son père se mettre dans un tel état en public, tout autant que d'imaginer que le cœur d'un bébé pouvait simplement cesser de battre. En quoi cette tragédie pouvait coïncider avec la volonté du Seigneur ? La fillette ne comprenait décidément rien à Dieu.

Virginia n'avait pas lâché la main de sa sœur une seule fois. Savait-elle qu'elle ne tarderait pas elle aussi à rejoindre la terre ?

Son cœur se serra. Ginny lui manquait terriblement. C'était une fille débordante d'énergie et d'imagination. Elle adorait parcourir les vastes jardins du manoir à la recherche de fées et de gnomes. Son petit crâne fourmillait toujours d'histoires aussi extravagantes que merveilleuses. Enora était si pressée d'être une adulte gracieuse et responsable, qu'elle n'avait pas de temps pour jouer. Au contraire, Lizzy prenait beaucoup de plaisir à poursuivre les chimères avec sa petite sœur. Avec Ginny, elle partageait une vraie complicité qu'elle n'avait jamais pu obtenir avec son aînée, si froide et si sérieuse.

Et puis Ginny était tombée malade.

Un matin de Décembre, alors qu'elles jouaient, Ginny avait été prise de vertiges et s'était écroulée dans la neige. La fillette était incapable de se relever toute seule et c'est avec inquiètude que Lizzy l'avait soutenue jusqu'à un banc de bois. Il avait fallu un long moment à Ginny pour qu'elle reprenne quelques couleurs. Lorsque sa grande sœur lui avait fait part de ses craintes, elle les avait balayées avec insouciance.

— Je me sens mieux, Lizzy. Faut pas te tracasser comme ça.

— Tu es sûre ? Tu as une sale mine...

— Puisque je te le dis. Allez, viens, on va finir le bonhomme de neige !

Ragaillardie, la cadette avait sauté sur ses jambes, comme s'il ne s'était rien passé. Pourtant Lizzy restait perplexe.

— On devrait en parler aux parents. Tu es peut-être malade.

— Oh ne fais pas ça, Lizzy ! Si tu leur dit ça, ils vont me cloîtrer à l'intérieur.

— Juste le temps que tu ailles mieux.

— S'il te plaît, je veux profiter de la neige !

Virginia avait joint ses petites mains gantées dans une supplication déchirantes, le regard larmoyants. Lizzy poussa un soupir et capitula.

— Bon c'est d'accord, je ne dirais rien.

— Merci, merci, merci !

Dans un geste simple d'amour, elle lui avait sauté au cou pour couvrir sa joue de baisers humides.

— Je t'adore, grande sœur !

Gênée, Lizzy l'avait doucement repoussée et elles avaient poursuivi leurs jeux le restant de l'après-midi.

Deux jours plus tard, Virginia Allister était morte dans son lit.

Elle s'était affaiblie de plus en plus. Lord et Lady Allister avait fait venir les meilleurs médecins de Londres, mais ces derniers perdirent trop de temps à se disputer à propos du traitement à suivre. Ginny était une petite fille en parfaite santé, les grandes personnes ne parvenaient pas à comprendre ce qui lui arrivait.

Lizzy se rappellait les cris de sa mère et les menaces de son père. De dépit, Lord Allister en était venu aux mains avec l'un des spécialistes. Mais rien n'avait pu sauver Ginny de son funeste destin.

Dans le hall, la grande horloge sonna les douzes coups de minuit. Cachée sous les draps, Lizzy se recroquevilla, sursautant à chaque sonnerie. Ses mains tremblaient frénétiquement sur la douce fourrure du Colonel Hooper.

"Seigneur, aidez-moi."

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