Teccis

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Quand le premier mortox fut extirpé de la fange noire qui recouvre l'extrême ouest de Venda, le bruit ne tarda pas à se répandre qu'il y avait quelque profit à en tirer. L'inventeur, un certain Stayn, connut une fin prématurée quelques semaines après son heureuse découverte.

Qu'il perdit la vie d'un coup de lame dans la jugulaire n'est qu'un détail dans cette histoire. Ce qu'il faut retenir c'est que son initiative pour développer l'activité agricole sur les bords du marais de Tecc eut l'effet strictement inverse.

Cultivateur de berries, Stayn avait entrepris d'étendre son exploitation en drainant une partie du marais. Sa herse se coinça un jour sur une tige métallique qui affleurait sous la fange. En rentrant chez lui au soir de sa découverte il constata les propriétés singulières de la tige de "métal" qu'il avait ramenée avec lui. Ne pouvant la dissimuler bien longtemps il n'eut d'autre choix que de révéler sa provenance et bientôt le village entier se mit en quête de plus de " ferrailles du marais". Chaque jour le petit groupe d'ex-cultivateurs traversait les champs tombés en jachère, franchissait la dune terreuse qui marquait le début de la zone inondée et s'enfonçait dans le Tecc pour le sonder au hasard à coup de tiges de bois et en sortir, dans les bons jours, quelques artefacts. On était au printemps, il n'y avait pas de bouniasses à l'époque et les fouilleurs retournaient chaque soir dans leur bourg sur la plaine si bien qu'il n'avaient pas à supporter outre mesure les désagréments du marécage. Stayn prenait à coeur d'organiser tout cela, on le laissait volontiers faire et tout se passait pour le mieux.

Un jour des gens arrivèrent du Nord et firent comprendre de la manière la plus radicale possible qu'ils ne se plieraient pas au patronage de Stayn, tout découvreur qu'il fut. Son corps n'était pas encore exsangue que ses camarades furent invités à s'en retourner à leurs activités antérieures.

Les nouveaux arrivants reprirent à leur compte, et à une toute autre échelle, l'extraction de ce qu'ils appelaient le "mortox". Ils s'installèrent dans une cuvette naturelle, située à peu près au centre de la bordure du marais. Leur camp devint un village et à mesure qu'il grandissait, l'influence de ses habitants se développa. Il fut bientôt impossible de s'approcher du marais sur tout sa longueur sans risquer le même sort que Stayn. Les exploitations agricoles de la plaine furent réquisitionnées et les bourgs abandonnés par leurs habitants. Pendant plus d'un siècle, Teccis vécut en autarcie. Contrôlant le Tecc et sortant toujours plus de mortox. De temps en temps des étrangers parvenaient à s'intégrer, mais la majorité des allochtones qui arrivaient par hasard se voyaient gratifier d'une momification par anoxie dans un marigot du coin.

C'est ce qui aurait dû se produire, cent-quarante ans après la découverte de Stayn, lorsqu'une navette se posa la première fois sur le terre-plein de la clinique de campagne. L'établissement avait été bâti quelques mois plus tôt quand un dénommé Marguson avait pris la direction des opérations. Il y avait placé Erin, native de Teccis qui était déjà habituée à soigner sur le tas et à l'ancienne les bobos des morteurs; et Hockley, un type avec des compétences providentielles en médecine, amené en ville contre son propre gré et contraint à exercer le rôle de chirurgien en échange de la vie de ses proches.

Il faisait chaud ce jour là. L'odeur du marais qui s'asséchait était insupportable. On était allé chercher dans la remise les grands panneaux recouverts de taffa pour calfeutrer les ouvertures des chambres, seules pièces à peu près vivables. Emprunter le couloir constituait déjà une épreuve que les soignants enduraient en pressant sur leur visage un tissu imbibé d'huile. Ils optimisaient leurs déplacements et s'y préparaient mentalement pendant de longues minutes. Tirant parfois au sort qui devrait y aller. Claquemurés dans la clinique, personne ne vit arriver la navette et le bruit étouffé des moteurs fut pris jusqu'au dernier moment pour celui d'un trak qui s'emballait dans la tourbière. Personne ne s'attendait à assister, pour la première fois, à l'atterrissage d'un aéronef sur le terre-plein de la clinique. Ce n'est que lorsque les vibrations avaient commencé à faire vibrer les sommiers métalliques qu'on avait jeté un oeil dehors.

Deux hommes étaient descendus du vaisseau pour déposer au sol un brancard de fortune supportant un troisième homme inconscient. Hockley était allé à leur rencontre. Depuis l'intérieur de la clinique Erin avait vu son collègue parlementer, montrer la route vers le village puis la navette. Il avait tenté de prendre pied sur la rampe d'accès mais un des types, celui avec un grand manteau, l'avait repoussé et l'autre avait sorti une arme. Hockley insistait, montrant cette fois la clinique, lui-même, puis le vaisseau. Plus tard Erin réaliserait qu'il avait tenté de monnayer son exfiltration auprès des deux étrangers.

Deux véhicules avaient surgi à l'angle du bâtiment, et les choses avaient dégénéré. Sans sommation les gars de Marguson avaient ouvert le feu vers les étrangers du vaisseau, qui avaient répliqué. Alors que les propulseurs redémarraient et que les patins de l'aeronef s'extirpaient du sol, Hockley avait tenté de sauter sur la rampe qui se refermait. Après une brève empoignade le médecin était retombé au sol. La navette avait quitté Teccis, laissant derrière elle un inconnu inanimé sur un brancard fait de tôles arrachées d'une coursive.

Le personnel de l'hôpital n'avait pu s'interposer lorsque Marguson avait abattu Hockley en représailles de sa tentative d'évasion, mais ils avaient réussi à épargner le type sur le brancard. Un mot était agraffé à sa veste brûlée : "ALAN, inconscient depuis 6 heures, explosion".

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