La barricade

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Le groupe atteignit la clinique sans encombre. Le pilote s'était réveillé quand ils l'avaient sorti de la barge. Il avait pu marcher, soutenu par Erin, ce qui leur avait permis d'avancer plus rapidement.

Ils s'étaient dirigés droit vers le mur éventré. Depuis qu'ils avaient posé pied sur la terre à peu près ferme, la lumière qui s'échappait de l'ouverture constituait leur seul point de repère. En avançant Erin se demandait pourquoi on n'avait pas déjà commencé à la barricader, et en l'atteignant son inquiétude monta d'un cran. Il n'y avait personne pour les attendre, personne pour surveiller l'ouverture béante, et encore moins pour la calfeutrer. Et personne ne s'était occupé des trois cadavres.

Enjambant les gravats et les corps, Erin, Bow et Vic débouchèrent dans le couloir, intact malgré la poussière et la suie qui s'y étaient déposées après l'explosion. Prenant la direction de l'aile des chambres, il virent arriver vers eux une silhouette qu'Erin reconnut comme étant celle de Cléo, son infirmière. Sa blouse était couverte de sang.

Elle leva les mains pour rassurer sa cheffe de clinique mais elle paraissait perturbée.

- Ça va.

- C'est quoi ce sang ?

- Szpak et Kaer. Quand ils ont vu ce qui s'est passé dehors ils ont réussi à sortir de leur chambre. Ils cherchaient des armes. Alan leur a tiré dessus.

Bow leva un oeil interrogateur vers l'infirmière, qui se sentit pressée de préciser.

- Kaer est mort. Szpak est mal en point, on l'a remis enfermé dans sa chambre,

- Qui c'est Spak et Caer ?

- Deux collègues des morteurs que vous avez fait exploser. Ils étaient soignés ici.

- Quel bordel.

Bow retomba dans son mutisme et se remit à marcher le long du couloir, entrainant avec lui le pilote. Erin adressa à Cléo un hochement de tête qui se voulait rassurant. L'infirmière précisa :

- Je vais bloquer la porte de la réserve.

- Je vais vérifier l'état de Szpak et je te rejoins.

Cléo marqua un temps d'arrêt qui obligea Erin à ajouter.

- Même si c'est Szpak je le laisse pas se vider de son sang.

En entrant dans la chambre des morteurs, une odeur ignoble couvrait celle du marais. En plus de Szpak agonisant sur un lit, son collègue déjà mort était étendu sur le sol, à peine repoussé sur le côté pour laisser le passage.

Erin pris le pouls du survivant, qui réagit en sentant la médecin l'ausculter.

- Me laissez pas crever Doc.

Quand ils se mettaient à la vouvoyer et l'appeler Doc c'est qu'ils n'en menaient pas large, Erin n'avait pas à s'inquiéter d'un geste fou de sa part.

Tous les morteurs n'étaient pas des psychopathes de la trempe de Marguson. La plupart avaient bien conscience que dans un environnement aussi insalubre que le Tecc, le médecin était une assurance vie, on évitait de se le mettre à dos, ou de le tuer.

Ils avaient tous vu des collègues mourir d'un truc dégueulasse. Le marais était particulièrement inventif dans ce registre. Et si vous en réchappiez sur le coup, une blessure du marais était une marque à vie, elle ne vous lâchait pas. Au mieux vous finissiez par mourir de vieillesse, avec 5 ans d'avance.

Szpak lui-même portait dans sa chair les marques d'une erreur d'inattention que le marais ne laissait jamais passer. Et c'est sans doute ces séquelles qui allaient l'achever cette fois-ci.

Il avait pris un tir au niveau du poignet. Son autre main étant déjà amputée de moitié il n'avait pu compresser efficacement la blessure et avait perdu beaucoup de sang.

- Bouge pas.

Erin fit un pansement qu'elle serra plus fort qu'il n'était recommandé. L'objectif était de stopper rapidement l'hémorragie sans pouvoir rester au chevet du patient. Il y avait plus urgent à traiter.

Erin rejoignit Cléo au niveau de l'ancienne réserve, remplacée par un trou béant qui constituait une vulnérabilité critique dans le mur de la clinique. C'était impossible à reboucher, il fallait se retrancher derrière la porte qui donnait sur le couloir.

- Comment on va faire ?

Erin désigna l'ouverture de la pièce d'a côté.

- On peut prendre la porte du bloc pour remplacer l'autre.

- Non, comment on va faire après ça ?

La médecin ne répondit pas immédiatement, elle non plus n'avait pas de réponse pour ça. Elle s'avança vers la porte du bloc et força pour faire sauter les gonds. Cléo lui prêta main forte et relança.

- Ces types, Alan il leur fait confiance.

- Il t'en a parlé ?

- Il en parle, des fois.

- C'est qui ? Des Briscards ? Des contrebandiers ?

Cléo haussa les épaules.

La porte résistait et les deux femmes se concentrèrent sur leurs gestes. Erin ne voulait rien brusquer mais elle avait besoin d'en savoir plus. Cela faisait des années qu'elle n'avait plus essayé de tirer les vers du nez à Alan sur son passé. Les premières fois à son arrivée avaient été très houleuses, et avec le temps c'était devenu inutile. Jusqu'à aujourd'hui.

- Il faut qu'on sache. Marguson, il ne laissera pas passer cette fois.

- Je sais.

- Cleo, on doit en profiter.

- Ça marchera pas, c'est trop dangereux.

- Tu as vu comment ils ont stoppé les tacots ? Et l'autre con sur le toit qui les a fait fuir avec ses grenades ? Et ils ont fait ça à trois.

- Ils avaient un vaisseau. Et ils ne sont plus que deux non ?

- Je sais. Mais c'est pas des manches.

- Je crois que c'étaient des soldats, avant.

A force de persuasion la porte commençait à se soulever, crissant sur ses charnières rouillées. Un petit effort supplémentaire et elle serait dégondée.

- Ils doivent avoir un plan B, des renforts qui vont arriver.

- Je sais pas Erin.

- Alan il nous aidera, il peut pas se barrer sans nous aider.

- Euh, tu crois qu'il va repartir avec eux ?

Cléo relâcha son emprise au moment où les charnières finirent par sauter. Erin retint le panneau de bois qui allait basculer sur son infirmière.

- C'est possible.

- Je partirai aussi.

Le passif de Cléo dans cette histoire était douloureux, Erin ne voulait pas brusquer son amie.

- J'aurai besoin de toi ici. Si on profite de ce bordel on peut faire un truc bien.

- Mais, Alan ...

- ... Cléo, tu ne lui doit rien.

L'infirmière leva un regard acrimonieux vers la médecin.

- Je te dois rien non plus.

Sale petite ingrate à la mémoire courte.

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