Chapitre 31

5 minutes de lecture

Écrit en écoutant notamment : Anderex – Be with You


Sur le logiciel, Dimitri navigue dans une banque qui contient des dizaines de kicks de grosse caisse différents. Nous en écoutons un certain nombre en boucle pour déterminer celui qui correspond le mieux à l’ambiance lourde que nous recherchons. Il faut le marier avec une basse, aussi choisie avec soin : ce sera le squelette de notre refrain. En m’intéressant de manière ponctuelle à la musique électronique, je comprends plus ou moins certaines des manipulations opérées par Dimitri. Tous les raccourcis clavier, qu’il utilise sans réfléchir, témoignent déjà d'une grosse maîtrise de sa part. Il est actuellement en train de bidouiller dans le panneau ‘Mixer’.

  • Tu fais quoi là, en fait ?
  • Je mets un sidechain entre le kick de grosse caisse et la basse.
  • Ça sert à quoi ?
  • C’est la base ! En gros, je limite le volume de la basse pile au moment du coup de grosse caisse. C’est ce qui donne une sorte d’effet de pulsation. Tiens, écoute la différence avec et sans.

Il me tend le casque et joue les deux versions l'une après l'autre.

  • Ah ouais, de fou ! Je savais pas que ce genre de détails changeait autant le rendu.
  • Yes ! Maintenant, on arrive sur la partie la plus difficile : trouver un accompagnement pour le kick-basse. Sur de la techno, on a un max de choix, mais je maîtrise pas trop.
  • Je suis sûr qu’on trouvera un truc sympa.
  • J’espère. Donc, je ne sais pas si tu connais le vocabulaire, mais tu voudrais partir sur des synthés en mode stab, ou plutôt screech ? Des chops de voix, de l’acid ? Ou une mélodie au piano ?
  • Euh, peut-être ce que tu gères le mieux.
  • D’habitude, j’aime bien le piano. Rien ne nous empêche de foutre une masse d’effets dessus pour le rendre sale et énervé.

Nous passons l’heure suivante à tester de nombreuses combinaisons sonores ; mine de rien, c'est usant ! Dimitri en profite pour m’expliquer certains éléments techniques de production. Il paraît passionné, plus que par son job d’acteur. Ses émotions sont brutes.

Lorsqu’il tourne, il maîtrise, il connaît par cœur les codes qui exciteront les clients de nos films : la pose lascive devant son partenaire, le long gémissement qui accompagne la pénétration. Ici, je vois à travers ce vernis. Lorsqu’une sonorité lui plaît, il hoche imperceptiblement la tête, un prélude de sourire anime son visage, sans se dévoiler complètement. La musique le fait vibrer et je trouve ça beau. Kenzo vient interrompre un des ces moments de grâce sans le vouloir :

  • Le futur David Guetta est parmi nous ?
  • Pas loin ! réponds-je.
  • Bon, avec Jordan, on va refaire un petit tour. On vous laisse bosser sur le nouveau banger de l’été prochain.

***


Nous finissons par disposer d’une trentaine de secondes de refrain relativement travaillée. Dimitri rajoute encore quelques filtres et automations de volume avant de solliciter mon avis. Je sens qu’il scrute la moindre de mes réactions.

Je repasse la boucle en entier en bougeant ma tête en rythme : malgré une claire parcimonie quant au nombre d’instruments utilisés, c’est costaud et assez entraînant à la fois. Le sourire qui se dessine sur son visage m’émoustille et ajoute une couche épique au son brut qui frappe mes tympans.

  • Je crois qu’on a bien bossé, on continuera demain, ou alors à Nantes, hein ? me dit-il.
  • Ouais ! Enfin, tu as bien bossé, surtout.

Dimitri claque son ordinateur et pose sa main sur ma cuisse. J’imagine que je dois l’interpréter comme une marque d’amitié. Ou peut-être pas.

Il se rapproche de moi et m’entoure de son bras. Ses doigts fins se sont posés sur mon flanc. Il s’amuse à pincer le tissu de ma chemise, puis à tâter mes côtes. Alors que mes doigts viennent effleurer son pantalon, il se sert de sa main libre pour plaquer la mienne contre lui. À chaque fois, j’ai le sentiment de devoir tout réapprendre.

Comme lui l’a fait dans le bus hier soir, je cale ma tête sur son épaule et m’imprègne de la chaleur qui en émane. Je n’ai pas la moindre envie de résister au plaisir de me laisser dorloter.

  • J’ai envie de plus te connaître, chuchote-t-il à mon oreille.
  • Ah, euh, tu voudrais savoir quoi ?
  • Hmm, on peut commencer par la saveur de tes lèvres. J’ai eu un goût de trop peu, la dernière fois. Et je veux que tu prennes du plaisir.

Mon consentement se réduit à un soufflement que Dimitri n’a pas de mal à interpréter. Un puissant vent de tendresse s’abat sur moi et réjouit mes sens. Le baiser me frappe de sincérité ; il résonne différemment de celui volé sur la plage de Saint-Malo, dont on aurait cru que le but était de m’embarrasser. Différent de ceux qui ont précédé notre rapport aussi, un « passage obligé » avant de m’enfourcher.

Nous sommes simplement deux garçons qui profitent l’un de l’autre, d’égal à égal. Ses lèvres restent suspendues pendant une éternité à dix centimètres des miennes, avant qu’il dise :

  • J’ai bien aimé.

Je suis sûr que je rougis à la simple évocation du fait que j’aie pu lui donner du plaisir en me laissant embrasser. Sa main maintient le contact avec mes cuisses, effectuant des mouvements amples et réguliers, sans pour autant remonter jusqu’à mon entrejambe.

  • Moi aussi, dis-je avec une décontraction qui me surprend. Je peux te parler de ma famille, même si tout n’est pas parfait.
  • Ah bon ?
  • Je ne sais pas comment leur avouer que je travaille dans... ce milieu. Et encore, je ne suis pas acteur ! Comment ça se passe, pour toi ?
  • J’ai de la chance, ma mère a toujours été super tolérante et ouverte d’esprit. Et elle sait aussi bien que moi que ce ne sera pas éternel.
  • Tu penses arrêter ?
  • Pas forcément maintenant, il faudra voir. Faut avouer que ça paye bien, surtout pour financer la fac. Mais donc, tu leur racontes quoi, à tes parents, en ce moment ?
  • Euh… j’ai fabriqué un bon bobard, avoué-je en baissant le regard.
  • Ah là là ! Tu m’expliqueras ça plus en détail, mais déjà, je me demande pourquoi t’as accepté ce taf, c'est curieux pour quelqu'un comme toi. Juste le fait que tu sembles timide, hein !
  • Je dirais… sur un coup de tête. Je venais de perdre une opportunité pour un travail dont je rêvais.
  • Ceci dit, je ne vais pas m’en plaindre, dit-il en me passant sa main sur ma joue.

Je ne pense pas lui avouer qu’il a fortement contribué à mon arrivée sans le savoir. D’une, ça me paraît trop direct, et de deux, je ne veux pas le mettre sur un piédestal.

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