La conjuration

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Une seconde chance s'offre à lui. Il n'a pas réussi à sauver la mère, peut-être y arrivera-t-il avec la fille ? Jamais il n'aurait dû accepter ces missions, mais comment dire non à Aline ? Il sent en elle quelque chose de grand, dans son destin, dans son passé et dans son présent. Mais même après plusieurs années de vie commune avec Aline, il n'a pas réussi à maitriser ce qui se joue en elle.

Dans la maison close, des chants grégoriens, des bougies, des boissons chaudes psychotropes, Aurélie étendue nue sur le sol et Patrice en aube noire agenouillé auprès d’elle, l’éponge d’eau bénite chaude et infusée à tous les endroits souillés de son corps en prononçant des phrases en latin.

Ensuite, eux deux nus sur le lit de drap blanc immaculé, il s’écrit en elle à tous les endroits où il avait effacé l’autre. Quelques instruments sont nécessaires. C'est un peu invasif. Mais il va en douceur avec ce qu'il faut pour qu'il n'y ait aucune douleur. Tout est à 37,2°C. Il lui réapprend le contact de l'autre, dans la confiance, dans la tendresse, dans des étreintes, il lui prend ses mains qu'il guide sur lui avec des incantations de réconfort, de belles phrases qui reconstruisent son architecture affective, qu'elle s'approprie les armes et les outils pour ses relations intimes à venir, sans se mettre en danger, sans les mettre en danger, que tout soit consentie, soit voulu par désir, par plaisir ou par amour.

Même et surtout après tout ça, Aurélie ne pense pas se réinstaller dans cette maison. Elle garde ses volets fermés, elle ne veut pas la réveiller. Une pancarte d'agence la signale comme à vendre.

À la libération post confinements, pour l'été, ils partent en camping car. Tous les jours un lieu différent sur les côtes bretonnes. Les gens n'ont pas le temps de se poser de questions sur cet homme et sans doute sa fille ? Aurélie reprend le contrôle, dans leur relation intime, elle veut toujours être au-dessus en position de force mais ce n'est pas toujours possible, comme une fois dehors contre un gros arbre, elle doit aussi apprendre à accepter d'être dominée dans le consentement. Une autre fois, dans les toilettes d'un restaurant, elle se tient aux robinets en le regardant dans le miroir se soulager en elle. Et en bord de mer, derrière les rochers à l'abri du vent, elle pose son gilet, s'agenouille dessus et dans les cris des goélands, elle le goûte du bout de la bouche et plonge en avant d'un coup puis revient, au rythme du bruit des vagues qui explosent sur les rochers en attendant la prochaine. Un jour de pluie ils sont restés toute la journée dans le camping car garé sur les hauteurs de Perros, à admirer le paysage pendant les pauses que leurs corps réclamaient entre deux ébats, de l'amour fractionné pour mettre leur désir à l'épreuve. Et toutes les nuits ils dorment l'un sur l'autre, il se réveille de temps en temps pour s'agiter un peu jusqu'à la petite mort que de son côté elle mime, endormie et passive, dans l'acceptation.

C’est la fin des vacances d’été. Ils rentrent à la maison close, Aurélie se sent tellement heureuse dans ce camping car. Elle espère l’être aussi en dehors. Ils arrivent, elle descend ouvrir le portail. Il rentre le camping car dans la cour. Elle le rejoint à bord, ils se regardent de longues secondes et il coupe le moteur pour symboliser la fin du voyage, la fin des vacances et la fin d'une histoire.

  • C’est comme si tu m’avais reprogrammée.
  • Je t’ai juste libérée. Tu peux maintenant suivre ton chemin.
  • Je veux rester avec toi.
  • Je serai toujours là. On fait partie de la même histoire. Mais la tienne doit continuer, d’autres âmes vont t’aimer et tu vas les aimer.

Des larmes coulent sur les joues d’Aurélie. Elle comprend mais n’accepte pas, pas pour l’instant.

Aurélie doit repartir de l'avant. Mais elle ne se sent pas de rester toute seule dans la maison de son passé. Elle demande à Aline de revenir chez elle. Aline qui vient la chercher, avec Noël et Noëlle, encore une fois. Avant de monter dans le monospace, elle regarde une dernière fois ce qui était chez elle : "Adieu". Adieu la maison de son enfance meurtrie. Elle n'y reviendra plus jamais. Elle s'efface déjà de ses souvenirs. Il y en aura une autre ailleurs, la maison du bonheur pour recommencer. Un jour elle aura son propre monde, son propre foyer et elle va se battre pour. Dans la voiture qui la ramène, Aline allume la radio et on entend une vieille reprise de Johnny :

Amour d'été on le dit ne peut pas durer, ce n'est pas fait pour la vie un amour d'été jusqu'à l'automne il tiendra, toi que je tiens dans mes bras. Peux-tu le jurer ? Amour d'été j'en ai peur me fera souffrir. Il est trop grand ce bonheur pour m'appartenir. Si en automne il n'est plus ton amour pour moi au moins on y aura cru pendant quelques mois. Amour d'été...

  • C'est fini. Les vacances. Lui. Mais c'était bien. Tellement bien.
  • Je peux te prendre la main ?

Et Aurélie embrasse le dos de la main d'Aline qui va ensuite sur son visage essuyer ses larmes. La fin d'un amour d'été pour l'amour d'une vie.

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