L'exorcisme

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Cette nuit avec le père Simon, c’est l’ultime essai pour ramener une jeune femme perdue dans les limbes. Diagnostiquée schizophrène, bipolaire et autre, rien de traditionnel n’a fonctionné. Cette fois-ci ça se terminera bien où au fond d’un trou déjà creusé au milieu d’une forêt privée sauf si la crypte officielle est accessible. Un bloc opératoire est en place, des écrans pour les constantes, une collection de seringues prêtes à l’emploi, un défibrillateur, des couvertures chauffantes et réfrigérantes mais aussi beaucoup de croix et d’eau bénite, entre autres objets sacrés. Mais le doute subsiste sur leur efficacité. C’est une musulmane.

Les murs tremblent, le courant se coupe, le lit se soulève ; elle crie et crache du sang dans des convulsions déformant son corps frêle. Le groupe électrogène prend le relais. Le père Simon descend du lit en suspension dans les airs pour aller chercher le défibrillateur. Il l’amène tant bien que mal à Patrice qui se débat pour lui plaquer sur la poitrine. Il reçoit une partie de la décharge qui l’éjecte du lit pour retomber plus bas sur des tapis de gym judicieusement placés. Il lève son regard sur l’écran, tracé plat. Voilà qui va la calmer un moment. Le lit retombe brutalement au sol. Le père Simon est déjà en massage cardiaque, Patrice ouvre l’oxygène à 100 %. Au bout d’une minute, chargé à 300, il choque. Rien. Deux minutes, 360, rien. Le groupe électrogène lâche. Tout s’éteint. Le père Simon arrête le massage cardiaque. Une minute de silence. Patrice ferme l’oxygène et réfléchit en regardant le visage de Marwah. Elle a les yeux ouverts. Du sang lui coule de la bouche. Il la désintube. Il entend le père Simon lui donner les derniers sacrements. Une idée, il se retourne, prend la dernière seringue sur le plateau, enlève le capuchon qui protège l’aiguille, lève le bras en l’air, ferme les yeux pour une dernière incantation, les rouvre et abat son poing comme un marteau à l’endroit du cœur de Marwah qui brusquement ouvre les yeux avant de prendre une grande inspiration. Ses liens s'ouvrent tout seuls comme si le mal acceptait de la libérer. Elle se relève et respire calmement en regardant Patrice dans les yeux.

Après quelques heures en observation, elle est rendue à sa famille. En espérant ne plus la revoir.

Autour d’une bière, Patrice débriefe avec Simon qui demande

  • C’était quoi dans la dernière seringue ?
  • Atropine, bénite.
  • Heureusement qu’ils l’ont baptisé en cachette.
  • Avec Satan, il faut toujours avoir un coup d’avance.

Marwah est la fille naturelle non reconnue de l’évêque. Une pauvre petite condamnée aux institutions spécialisées ou à l'asile de fou. C'est à la puberté que les crises ont commencé. Elle a dû être déscolarisée. Sa mère l'a gardé tant qu'elle a pu chez elle mais ça devenait dangereux. Jusque là ils ont réussi à lui donner un mois de vie normale par saison, à chaque fois elle rechute. Si ça ne marche pas définitivement cette fois-ci, Patrice n'a plus d'idées. Il regarde le parapheur, toutes les lignes du protocole sont cochées. Les enregistrements numériques sont sauvegardés.

  • Patrice, je crois que ça a marché. Lorsque j'étais là-haut sur le lit avec elle, j'ai cru reconnaitre sa voix, ses cris.
  • Prions, mon père. Prions pour qu'elle soit revenue. Mais tu sais, ça ne sera pas du 100% ni même du 50 ou du 25. Ce n'est pas une vraie réincarnation. Elle sera dans ses rêves. Peut-être en dehors une minute ou deux par ci par là. Sinon elle reste Marwah. C'est un peu comme avec Natacha et sa sœur.
  • Oui, on verra. En tous cas elle avait l'air d'aller bien pendant l'observation. Sauf qu'elle n'a pas dit un mot.
  • Est-ce que des objets ont bougé sans raison à l'observation ?
  • Je vais vérifier sur les vidéos. Tu crois que ça va lui rester ?
  • On a rien prévu contre ça dans le protocole. Mais en général c'est lié au reste. Le coup du lit qui se soulève, un grand classique. Tiens, on pas eu de porte qui claque ou de tiroirs qui s'ouvrent... je crois. En tout cas la température de la pièce est descendue vraiment bas. J'en ai encore froid aux pieds.
  • Beaucoup d'énergie a été absorbée, c'est comme pour les fantômes.
  • Bon allez, je coupe l'enregistrement. C'était le sujet Marwah, protocole 26 avec le Père Simon et le Pasteur Patrice, terminé. »

Patrice est lui-même passé par là lorsqu'il avait 4 ans. Sans doute son plus vieux souvenir. Il a eu confirmation dans les archives du Père Simon. Un certain Daniel Mallinus, un exorciste belge, était venu intervenir sur le petit Patrice. Il a noté à la fin de son rapport :

L'Église s'est occupée, au cours des siècles, beaucoup trop de sorcellerie et d'exorcisme et pas assez du bonheur de ses enfants.

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