La fermeture

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C'est l'été. C'est les vacances. On est tous en famille à la ferme. Tout le monde admire les bébés. Du haut de ses 12 ans, Noëlle prend de la hauteur et observe chaque personne. Elle y voit le passé net, le présent flou et l'avenir sombre, comme éteint, mais pas complètement, de rares flashs ici ou là. Elle essaie de comprendre le début de toute cette histoire. En Aurélie elle voit un destin copié sur une autre, sa mère Aline. Noëlle se concentre pour remonter au plus loin dans l'histoire de sa mère, il y a un fait, un traumatisme lointain, masqué, effacé, par Patrice. Noëlle prend une profonde inspiration, cherche derrière tout ça, cherche la clé pour ouvrir la porte et regarder, mais n'y arrive pas.

Elle se lève, et d'un pas déterminé, se rapproche de Patrice et lui prend la main fermement. Elle le sens, il est son père. Il a la clé. Elle lui prend. Elle ouvre la porte et voit un homme d'église faire du mal à sa mère. On est 33 ans plus tôt, l'âge du Christ à sa mort.

Patrice se dégage discrètement et retient un « Nom de Dieu ! ». Ça alors, quelle puissance. Noëlle le regarde fixement. Elle approche doucement sa main et empoigne délicatement le poignet de Patrice, elle appuie son pouce là où le clou était enfoncé dans les crucifixions et là elle sait qui c'est. Elle ne l'a jamais vu mais elle sait. Et tout s'imbrique. Le puzzle est terminé. L'image est complète. C'est le père de Marwah. C'est l’évêque.

  • Tu le savais.
  • Claude Ostium
  • Ça ne marche pas sur moi.
  • Referme la porte.

Noëlle lâche son poignet. Puis regarde Marwah qui admire les bébés. La porte se referme.

  • Je comprends, papa. D'accord. Tu as raison. Mieux vaut recouvrir tout ça d'amour.

Patrice est soulagé. Il regarde Noëlle s'approcher lentement de Marwah. Elle la tire par le bras pour lui chuchoter à l'oreille « tu habiturus infantem quoque » et l'embrasse sur la joue. Marwah ne comprend pas, sourit et ressent une chaleur dans son ventre. Elle réalise qu'il vient de se passer quelque chose. Ce n'est pas la première fois qu'elle entend des incantations. Elle se tourne, cherche Patrice du regard et lorsqu'elle le voit il acquiesce. Noëlle revient vers lui et passe à côté sans le regarder, juste pour lui dire une phrase que seul lui peut entendre : « ce sera des jumeaux, un garçon et une fille ». Elle prend discrètement le pendentif autour de son cou et l'embrasse en se rappelant la main fermée de Marwah qui s'ouvre pour montrer la chaîne en or et la jolie marguerite en argent.

Noëlle s'assoit à l'ombre d'un arbre, elle empoigne l'herbe, elle ressent la terre. Elle se relève et s'appuit sur le tronc. Elle ressent l'arbre, de ses racines les plus profondes à ses feuilles les plus hautes. Puis elle s'installe sur la petite balançoire attachées aux grosses branches au dessus. Là ça va mieux, surtout lorsque ses pieds ne touchent plus le sol. Elle se balance doucement et ferme les yeux. Là elle est en paix. Comme avant, juste une petite fille. Sage, discrète, qui ne se fait pas remarquer. C'est fini. Maintenant elle doit faire avec toutes ces informations. C'est épuisant. Mais sur la balançoire c'est reposant. Elle ferme les yeux. Que va t-elle devenir ? Une question, une réponse : elle se voit dans l'avenir avec une amie qui fait partie de sa famille. Qui c'est ? Puis elle voit sa mère avec papy dans le passé. Que font-ils ? Puis elle se revoit elle dans l'avenir, avec un papy aussi, qui est-il ? Puis elle voit sa mère dans le passé à l'enterrement du papy, elle pleure. Puis elle se voit très loin dans l'avenir au chevet d'un papy mourrant qui la regarde bizarrement, c'est le même que tout à l'heure. Puis elle ouvre les yeux et elle vomi sur ses jolies chaussures et sur l'herbe. Elle se murmure à elle-même "Claude Ostium", et ça va tout de suite mieux. Elle ne voit plus rien. Il suffisait de fermer la porte.

Nager dans les eaux troubles des lendemains, attendre ici la fin
Flotter dans l'air trop lourd du presque rien, à qui tendre la main
Si je dois tomber de haut, que ma chute soit lente
Je n'ai trouvé de repos que dans l'indifférence
Pourtant, je voudrais retrouver l'innocence
Mais rien n'a de sens, et rien ne va
Tout est chaos, à côté
Tous mes idéaux : des mots abimés...
Je cherche une âme, qui pourra m'aider
Je suis d'une géneration désenchantée
Qui pourrait m'empêcher de tout entendre
Quand la raison s'effondre à quel sein se vouer
Qui peut prétendre nous bercer dans son ventre
Si la mort est un mystère, la vie n'a rien de tendre
Si le ciel a un enfer, le ciel peut bien m'attendre
Dis moi, dans ces vents contraires comment s'y prendre
Plus rien n'a de sens, plus rien ne va.

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