54 - La princesse

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À l'arrière, derrière le conducteur, je suis ballottée de tout les côtés tellement il conduit vite. On doit leur échapper. On voit les phrares très près derrière. Parfois il y a des éclairs. Les lampadaires défilent à toute vitesse. Pas moyen d'attraper la ceinture de sécurité. A côté de moi il cri sur le chauffeur, donne des instructions, c'est reparti de plus belle, les lumières derrière s'éloignent. Je regarde la route, on fonce dans la nuit, un tunnel, mal éclairé. Choc, une petite voiture blanche devant nous est touchée, on est comme déporté sur le côté. Notre voiture a déjà eu un grave accident 3 ans auparavant. Elle n'est pas repassée pas par le constructeur. Elle est remise en état par un garagiste indépendant, il fait comme il peut, elle est rendue avec un défaut de stabilité. Notre chauffeur est passé par le bar en nous attendant et il a pris des médicament cet après-midi. La vitesse sous le tunnel est limitée à 50 km/h. Nous sommes à 50 mètres par seconde en heurtant la voiture blanche. Notre Mercedes-Benz Classe S W140 C140 modèle France se déporte et heurte le mur droit, puis, projetée de l'autre côté, elle fait une embardée sur la chaussée à deux voies avant de s'encastrer à 30 mètres par seconde dans le treizième pilier central du pont où elle se disloque et s'arrête brutalement. Nous sommes à Paris, sous le pont de l'Alma, il est minuit et 23 minutes. Je suis dégagée de l'épave, on me soigne sur place, je suis ensuite transportée en ambulance. Sur le chemin vers l'hôpital, je fait plusieurs arrêts cardiaques, ce qui oblige les médecins à s'arrêter pour faire repartir le cœur. L'ambulance roule ensuite lentement pour ne pas trop me secouer, on met environ un quart d'heure pour arriver au bloc opératoire vers 2 heures du matin. Je suis opérée plusieurs fois mais mon cœur s'arrête à nouveau. C'est fini. Il est 4h25, nous sommes le 31 juillet 1997, je m'appelle Diana Spencer, princesse de Galles.

Aline se réveille brutalement de sa sieste de début d'après-midi. Elle fait ce rêve souvent depuis toute petite. À chaque fois il y a des détails en plus, à chaque fois il va un peu plus loin. Cette fois-ci elle a l'impression que c'est fini. Qu'elle est arrivée au bout de l'histoire. Qu'elle ne refera plus ce rève. Son smartphone sonne : c'est Chloé. Elle répond :

  • Bonjour Chloé.
  • Bonjour madame. Est-ce que je peux passer vous voir cet après-midi ?
  • Bien-sûr Chloé, avec Noël ?
  • Non, il est parti à Besançon avec son groupe de travail pour un mémoire à rendre.
  • D'accord, vers 17h ça ira ?

La pendule carillonne 5 fois, la sonnette seulement une. Chloé entre, Aline se penche pour lui faire la bise. Une drôle d'impression, un ange passe. Aline repense à son rêve. Chloé tend un petit paquet :

  • Pour Pauline ! J'ai vu qu'elle avait déjà la chouette alors ...

Aline ouvre le cadeau, c'est une salamandre. Elle remercie Chloé et lui demande :

  • Connaissez-vous l'histoire ?
  • Oui, je pense. C'est lié à la statue de la chouette sur le pilier de l'église Notre-Dame. On fait un vœu avec la main gauche sur la chouette et il faut repartir vers le Palais des Ducs car si on continue la route, on passe sous la salamandre gravée discrètement en bas à gauche de la fenêtre à barreau. Elle est à l’affût et si on passe dessous elle nous vole notre vœu.
  • Mais on ne connaît pas les sculpteurs ni leurs motivations. Un prête du diocèse, le père Simon, fait souvent des recherches, historiques, et il a trouvé des informations supplémentaires. Et si on se faisait un thé plutôt qu'un café ? Je me sens d'humeur britannique aujourd'hui.

Elles s'installent confortablement avec le thé et les petits gâteaux secs. Aline termine son histoire :

  • Il s'agit d'un logo. Une signature d'un auteur. Ce n'est pas l'architecte. Ce ne sont pas les sculpteurs non plus. C'est entre les deux. Ceux qui coordonnent. Ceux qui comprennent l'architecte et qui dirigent les équipes. Sans eux rien ne se ferait. Ils sont toujours anonymes mais très importants. Le responsable de l'assemblage des pierres a fait la chouette. En fait ce n'est pas une chouette. Il s'agit d'un hibou. Le responsable en entendait dans les forêts autour de chez lui quand il était petit. Leur chant mélancolique l'impressionnait. Un jour pendant une messe, il a entendu un chant qui lui a rappelé celui des hiboux. Alors lorsqu'il a eu l'honneur de travailler à la construction de l'église Notre-Dame, il a tout de suite eu l'idée de cette signature.
  • Et la salamandre ?
  • Il y avait un autre responsable, tout aussi important. Sans lui l'église s'écroulerait. Il s'agit du responsable de la fabrication du mortier, le ciment qui maintient les pierres entre elles. Il prépare un ciment qui met 5 siècles à sécher. Une fois sec, il est transformé en pierre. On ne fait plus la différence entre le mortier et la pierre. Au douzième siècle, il n'y avait pas beaucoup de techniciens qui maîtrisait cette technologie. Les deux ne s'appréciaient pas beaucoup. Mais sans le mortier, la chouette tomberait au sol. Et son vœu avec, d'où la légende. Tu vas souvent toucher la chouette ?
  • Non, la dernière fois j'étais petite, mon père a du me porter, elle est un peu haute pour les enfants. Mais maintenant je vais y retourner, toute seule, et je sais déjà quel vœu je vais faire.

D'un côté il y a les cervaux. De l'autre il y a les mains. Pour les relier, il y a ces représentants anonymes. Aline sent que Chloé peut être l'un d'eux. Pas pour construire une église. Juste pour relier les gens importants entre eux. Pas étonant que son père soit dans la politique et qu'elle soit à SciencePo. Une chouette et une salamandre prennent place dans le berceau de Pauline :

  • Tu as remarqué que Noël arrive à deviner les pensées. Ne t'en fais pas pour ça. Ce n'est possible que lorsqu'il te tient les mains et que tu es ouverte d'esprit, d'accord pour communiquer, comme ça.

Aline saisit les mains de Chloé et elles sont secouées par une décharge électrique, sans doute de l'électricité statique. Mais Aline ressent une profonde tristesse, elle regarde Chloé qui a les larmes aux yeux. Elle voit l'avortement. Chloé se jette dans ses bras et avoue: :

  • Je ne voulais pas, je voulais le garder, on ne peut pas dire non à la vie, mais ce n'était pas possible, rien n'était possible, ni ça, ni l'amour que j'avais pour eux, mon premier amant et mon … bébé.

Dit-elle en fondant en larmes. Aline laisse échapper :

  • C'était une fille.

Et Chloé pleure de plus belle.

Le lendemain, Aline prend la poussette avec Pauline et rejoint Chloé au cimetière. Il y a des tombes d'enfants anonymes. Chloé a amené une petite boite d'allumette avec à l'intérieur son bracelet d'hôpital, celui de ce jour là et la bandelette du test de grossesse positif qu'elle avait gardé précieusement. Aline prend la pèle et le rateau de sa fille quand elle joue dans le sable au parc. Au pied de la plus petite tombe, Aline creuse un petit trou et se relève. Chloé embrasse la boite, la dépose et la regarde disparaître en repoussant la terre et les graviers. Aline s'agenouille à côté de Chloé pour faire une prière. Chloé pleure et se concentre pour sortir ces quelques mots :

  • Au revoir ma petite princesse.

En entendant ses mots, Aline s'arrête brutalement de prier et commence à comprendre. Chloé fait ainsi son deuil. Elle peut repartir de l'avant, et avancer, avec un poids en moins dans le cœur qui laisse plus de place à l'amour qui grandit en elle. Aline rajoute :

  • Adieu, princesse.

Elle ne refera plus jamais ce rêve.

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